mercredi 14 mai 2014

Les Israéliens, entre Varsovie et Berlin

 
Le mois dernier, en chemin vers l’aéroport de Varsovie, après quatre jours fascinants dans la capitale polonaise, j’ai croisé le chemin d’un jeune Israélien habitant et étudiant en Allemagne, qui a été envoyé à Varsovie pour une rapide visite professionnelle par la compagnie allemande pour laquelle il travaille. Il m’a confié que ses visites précédentes dans cette ville avaient toutes un lien avec la Shoah (Holocauste des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale, ndlr); il était allé en Pologne en délégation avec son unité militaire ainsi qu’avec ses parents en voyage pour retrouver les racines ancestrales de sa famille...



C’est alors que je me suis rendu compte que mon cas n’était pas si différent. Mon unique visite en Pologne, il y a plusieurs dizaines d’années, fut également un pèlerinage de la Shoah. Et bien qu’aujourd’hui, je voyage fréquemment et facilement en Allemagne et en Autriche, je n’avais jamais envisagé de faire un saut à Varsovie jusqu’à ce que j’y débarque un jour pour des motifs professionnels. Et cela en dépit des informations récurrentes relayées dans les médias israéliens et internationaux sur les efforts couronnés de succès déployés par la capitale polonaise pour attirer les jeunes touristes du monde entier sur la renaissance de la Pologne concernant des événements, projets et festivals axés sur la culture juive et sur l’identité juive.
En effet, alors que nombreux sont ceux parmi la jeune génération d’Israël à être heureux d’explorer les nombreuses facettes de Berlin souvent dans le but de s’y installer, la Pologne est largement associée par cette même génération aux sombres rituels des commémorations dans les Camps de la Mort.
Le mois dernier, le ministre de l’Education, Shaï Piron, a même confessé lors d’une émission télévisée s’être “très, très” ennuyé au cours d’une cérémonie commémorative à laquelle il a récemment assisté au camp d’extermination de Sobibor. A tel point, a souligné le ministre, que pour atténuer son ennui, il a dû prendre un cachet de Ritaline.
Il n’est pas très difficile de comprendre quelle est l’origine de ces écarts d’attitude.
Chaque année, environ 30.000 lycéens et militaires israéliens effectuent des voyages organisés sur les sites de la Shoah en Pologne. Si vous êtes un Juif israélien de moins de 35 ans issu d’une famille de classe moyenne non-orthodoxe, il est très probable que vous ayez participé à au moins un de ces voyages.
Malgré certaines critiques de chercheurs israéliens pour lesquels ces voyages exacerbent les sentiments nationalistes et militaristes, sont devenus des rituels “kitsch” de culte de la mort, et négligent d'élaborer sérieusement ​​la vie juive en Europe avant la Shoah, la popularité de ces voyages en Pologne au sein du grand public israélien est plus forte que jamais.
Oui, la Pologne a été l’arène principale de l’exécution par les nazis des horreurs de la Shoah. Elle a également été le fondement des cruelles attaques et pogroms antisémites polonais tout au long de son histoire. Mais le sol polonais fut également le lit d’une communauté juive prospère qui a produit une œuvre culturelle, religieuse, sociale et idéologique immense, des éléments marginalisés durant ces voyages par une fixation rigide sur les monuments aux morts.
Les participants à ces voyages comptent pour plus d’un quart des touristes israéliens se rendant en Pologne. Cependant, pendant ces visites, ils font à peine attention à l’histoire de la Pologne, y compris à l’insurrection contre les nazis ou à la période de dictature communiste. Généralement, les programmes d’excursion ignorent également la vaste et riche culture du pays, ne tiennent pas compte de sa politique et montrent à peine de l’intérêt pour sa population.
Le visiteur le plus impartial de Varsovie trouvera cependant ses rues débordant de possibilités de commémoration viables offrant la voie au dialogue, plutôt que cet important comportement israélien de repli sur soi.
Des projets comme la maison d’Etgar Keret, par exemple. Cette œuvre architecturale de Jakub Szczesny est un espace de vie fonctionnel d'une largeur d'environ un mètre, construit dans une fissure entre deux bâtiments dans le centre de Varsovie. Le bâtiment, qui traite des vides dans le passé et le présent de Varsovie, tient lieu de résidence pour l'écrivain israélien d'origine polonaise Etgar Keret, lors de ses visites à Varsovie.
Ou alors prenez les chevaux de Pégase en métal coloré paissant sur la vaste et verte pelouse près de la place Krasinski et d’une section de la Bibliothèque Nationale. Ils font office de compagnon idéal pour la lecture contemplative d’une des plus belles traductions hébraïques des poèmes humanistes de Zbigniew Herbert. Des poèmes qui sont une sorte d’ “antidote aux dangers de sentimentalité ou d’inflation” comme les a naguère décrits l’auteur Eva Hoffmann. Les sculptures de chevaux ailés, œuvre des artistes Beata and Paweł Konarski, faisaient partie initialement de l’exposition de 2008 dédiée à ce grand poète polonais à la Bibliothèque et se dressent maintenant en tant qu’exposition extérieure permanente comme un équilibre pensif à la vue monolithique du Monument de l’insurrection de Varsovie situé juste en face dans la rue.
Il y a aussi, bien entendu, le Musée d’Histoire des Juifs de Pologne, ouvert il y a un an, devant le fameux monument des Héros du Ghetto réalisé par Nathan Rapoport. Le Musée, logé dans un immeuble intrigant mais au design chaud et engageant réalisé par le studio finlandais Lahdelma & Mahlamaki, inaugurera en octobre prochain son exposition phare sur les 1.000 ans de vie juive en Pologne.
Espérons que ce projet ambitieux permettra d'élargir les horizons non seulement de ses visiteurs polonais et internationaux, mais aussi des groupes de jeunes Israéliens que nous avons évoqués.
Dans une interview à Berlin l’année dernière, Irit Dekel, docteur en sociologie à l’université Humboldt de Berlin et au collège académique Bard de Berlin m’a parlé de certains effets du nouveau regain d’intérêt des jeunes Israéliens à l’égard de la capitale allemande. “
“Ils font des allers retours en Israël”, dit-elle, “ils sont actifs localement, et n'ont aucun problème - grâce au passeport européen dont beaucoup sont détenteurs - à ouvrir les portes, ou a assumer leur choix de vivre en Allemagne.
De par ce choix, ils peuvent également modifier les manières dont les Allemands voient leurs relations avec les Israéliens et les Juifs. N’étant plus en proie au complexe de victimisation, les Israéliens à Berlin remettent souvent en question les narratifs allemands à l’égard des Juifs ".
Une interaction similaire entre Polonais et Israéliens n’est plus une vision imaginaire. Mais apparemment, il va nous falloir, nous Israéliens, éliminer ce désintérêt absolu avec lequel nous appréhendons la Pologne lorsque nous nous rendons et que nous séjournons là-bas.
Source I24News