Tandis que Stallone, Schwarzy, Harrison Ford, Mel Gibson, Dolph Lundgren et leurs camarades d'"Expendables 3" défilaient en costards sur les marches ou en tanks sur la Croisette, deux autres figures légendaires du cinéma d’action des années 1980 profitaient du Festival - et beaucoup moins des projecteurs - pour raviver leur légende : Menahem Golan et Yoram Globus. Deux noms mythiques pour qui a eu treize ans dans les années 80....Interview...
Les Weinstein du cinéma reaganien
Golan et Globus sont cousins, israéliens, mais leur collaboration symbiotique du temps de leur gloire à la tête de la société Cannon Group (en gros, de 1979 à 1989) rappelle celle des grandes fratries de producteurs-distributeurs hollywoodiens. Les Warner du cinéma d’exploitation bourrin, les Weinstein du film d’action reaganien, ce sont eux. On leur doit Chuck Norris, Jean-Claude Van Damme, Bo Derek nue sur un pur-sang ("Bolero"), deux des pires Stallone ("Cobra" et "Over the Top"), des sagas ninjas, des ersatz de blockbusters à succès (les deux "Allan Quatermain", pendant ringard d''Indiana Jones"), des suites affligeantes ("Superman IV", "Un justicier dans la ville 2", "Massacre à la tronçonneuse 2")… Ainsi que "Love Streams", de Cassavetes, "King Lear", de Godard, et quelques autres films de grands auteurs en perte de vitesse.
"Notre dieu, c’est le public", professent Golan, l’artiste, et Globus, l’homme d’affaires, dans "The Go Go Boys", le documentaire présenté à Cannes Classics qui leur ait consacré. En interview, Globus, 73 ans, assure la parlotte. Sa faconde de marchand de tapis intacte. Golan, 84 ans, qui se déplace difficilement et s’exprime non sans effort, ne manque pas de le reprendre. Et les deux acolytes de s’engueuler en hébreu dans une sorte de version casher des deux papys du Muppet Show, débordant d’amour pour ce métier qu’ils n’auront jamais la prétention d’appeler "7ème Art".
Le jour où l'association Golan/Globus est née
Yoram Globus : "Golan est un Globus, nous sommes cousins [Golan est un pseudo emprunté à la région d’Israël, NDLR]. J’ai grandi en travaillant dans le cinéma que possédait mon père. A 5 ans, j’accrochais les affiches ; à 7 ans, je tenais la caisse ; adolescent, je projetais les films. J’étais à l’armée quand, de son côté, Menahem s’est mis à réaliser. C’est lui qui m’a fait venir à Tel-Aviv. Il m’a dit : 'Le type qui sort nos films n’est pas bon. Je veux que tu changes nos méthodes de distribution'. J’ai commencé sur 'Sallah Shabati' qui a rencontré un énorme succès, s’est vu nominé à l’Oscar du meilleur film étranger et a tenu 40 semaines à l’affiche du Little Carnegie de New York."
Le jour où nous sommes arrivés à Los Angeles avec 500 dollars en poche
Yoram Globus : "On a quitté l’Israël après avoir produit 16 des 20 plus gros succès du cinéma israélien à l’époque. Déjà, là-bas, on produisait des comédies et des films d’actions dont on réinvestissait les recettes dans des films plus artistiques. Mais, à cette époque, nous n’avions pas le droit de sortir notre argent du pays. On a tout laissé : nos familles, nos salles de cinéma, notre pognon. On est parti avec 500 dollars en poche. Nous avions des vues sur la société Cannon que possédait un jeune juif de Wall Street. Il avait engagé son père, un ancien tailleur, pour s’occuper des ventes ; le type n’avait jamais réussi à vendre un film !
On lui a dit : 'Confie-nous ton catalogue de films. On part à Cannes gratuitement pour les vendre et à partir de 2 millions de dollars de vente, on s’octroie une commission de 25%'. On a imprimé des brochures publicitaires, on les a distribués sur les pare-brises des voitures, on a pris un petit bureau au sous-sol du Martinez : à la fin du Festival, on avait dépassé les 2,5 millions de dollars. Notre truc ? On négociait sans langue de bois. Et si on nous fichait à la porte, on revenait par la fenêtre.
C’est nous qui, à la fin des années 1970, avons initié la pratique des préventes à l’étranger pour financer le tournage. Les ventes package aussi : 'Je te donne le nouveau Chuck Norris si tu prends le dernier Cassavetes'. Un film d’action contre un film d’auteur. On a aussi anticipé l’importance de la vidéo. On produisait beaucoup de films d’action, très à la mode dans les années quatre-vingt. Et on utilisait l’argent qu’ils nous rapportaient pour offrir à de grands cinéastes l’opportunité de tourner les films dont ils rêvaient : Godard, Cassavetes, Zeffirelli, Lina Wertmuller, Liliana Cavani, Barbet Schroeder… A notre apogée, en 1986, nous avions 6 films en compétition à Cannes. Certains le surnommaient même, le Festival de la Cannon !"
Le jour où Menahem a tenté de se suicider à l'avant-première de son film
Yoram Globus : "Menahem avait écrit et réalisé 'The Apple', une comédie musicale futuriste qu’on adorait et à laquelle on croyait beaucoup. Je pense qu’il était en avance sur son temps. Le Festival de Montréal la programme en ouverture. On est dans la salle, le film commence et, au bout de cinq minutes, les gens se mettent à siffler, huer, certains quittent la salle. Menahem me dit : 'Il faut que j’aille au petit coin'. On ne le voit pas revenir, on le cherche, pas de Menahem. On le retrouve sur le toit de l’hôtel ; il s’apprêtait à sauter.
Menahem Golan : Du huitième étage.
Yoram Globus : Je lui dis : 'Menahem, courage. Pense au film d’après'. Aujourd’hui, 'The Apple' est un film culte. Il y a deux ans, il passait au Lincoln Center de New York qui nous consacrait une rétrospective. La salle était bondée, les spectateurs étaient venus déguisés, des bougies à la main… On se serait cru à une séance du 'Rocky Horror Picture Show'."
Le jour où on a signé avec Godard sur un coin de table
Menahem Golan : "Godard m’appelle. Il me dit : 'Je suis Jean-Luc Godard, je suis au bar du Carlton, pouvez-vous me rejoindre ?' Il me propose deux adaptations de Shakespeare dont 'King Lear'. Une demi-heure plus tard, il avait rédigé un contrat sur une serviette en papier et on signait pour 1,5 million de dollars. Godard était alors le roi des auteurs, ses films se vendaient partout. Pour jouer Lear et sa fille, j’ai l’idée d’engager Norman Mailer et sa propre fille. Un jour, Mailer m’appelle : 'Menahem, je me tire, il veut que j’embrasse ma fille'. 'Eh bien, je lui réponds, fais-le'. 'Non, non, non. Il tient absolument à ce que je mette ma langue dans sa bouche ; c’est MA fille !' Et vous savez quelle était le vrai rôle principal ? Un cheval blanc ! Godard avait fait du cheval la star du film. Un désastre ! Après deux semaines de tournage dans son jardin, on a dû reprendre le casting à zéro. Chaque semaine, Godard prenait le Concorde pour venir chercher l’argent à Los Angeles et repartait tourner en Suisse.
Yoram Globus : Godard est un génie. Et comme tout génie, il fait des bons et des moins bons films. Malheureusement, on a eu droit à la seconde catégorie."
Le jour où on a découvert Jean-Claude Van Damme
Menahem Golan : "Nous sommes en 1986. Je dîne dans un restaurant français de Los Angeles. Un des serveurs s’approche de moi, une assiette de soupe dans chaque main. Il me dit : 'Vous êtes monsieur Golan ?'. A peine lui ai-je répondu oui que je vois son pied me passer au-dessus de la tête ; pas une goutte de soupe n’avait débordé des assiettes. Sur ce, je lui donne ma carte et l’invite à passer le lendemain au bureau. Trois semaines plus tard, on tournait 'Bloodsport, tous les coups sont permis'. On a produit 5 films avec Van Damme.
Puis les grands studios lui ont offert des ponts d’or, on n’a pas pu s’aligner.
Yoram Globus : Avant Van Damme, on avait signé Chuck Norris pour sept ans. Les films d’action et le marché de la vidéo étaient en plein essor à l’époque. Norris était une vedette montante, on en a fait une star. Charles Bronson, lui, était sur une pente descendante ; on a relancé sa carrière.
Le jour où Barbet Schroeder nous a menacés de se trancher les doigts
Yoram Globus : "Cette année-là [1986, NDLR], nous avions 45 films en production. Et on nous a proposé 'Barfly', de Barbet Schroeder, avec Faye Dunaway et Mickey Rourke. Un 46e ? Je ne voulais pas le faire, c’était trop. Barbet est venu avec un couteau et il nous a menacés de se trancher les doigts si on ne faisait pas son film. Faye et Mickey Rourke nous ont aussi suppliés et on a fini par produire 'Barfly' qui- devinez quoi ?- a rencontré un énorme succès aux Etats-Unis."
Le jour où on a produit notre meilleur film
Menahem Golan : "Faire venir Andreï Konchalovsky à Paris puis à Hollywood est une de nos plus grandes réussites. Il nous a apporté un scénario jamais tourné de Kurosawa qu’il a mis en scène pour nous : 'Runaway Train'. A mes yeux, le meilleur film américain de son temps."
Propos recueillis par Nicolas Schaller
Source Le nouvel Observateur