dimanche 4 mai 2014

Jour du Souvenir : le consensus brisé


Année après année, affligé par la douleur en cette journée du Souvenir pour les soldats tombés au champ d’honneur, Israël présente la même image accompagnée d’une série de rituels. A distance, tout semble pareil. Cependant, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que les cérémonies du Souvenir, comme les festivités du Jour de l’Indépendance illustrent les changements spectaculaires de la société israélienne au cours de ces dernières décennies...



Ce qui marquait naguère le point de ralliement de l'"israélianité", une série d’événements conventionnels symbolisant l’unité du jeune Etat étreint par la douleur, est devenu au fil des ans une nouvelle scène de controverse et la manifestation ultime de l’érosion du fragile consensus.
C’est toujours le jour le plus triste du calendrier israélien, celui du deuil non seulement des 23.169 militaires et civils victimes de la terreur jusqu’à aujourd’hui, mais également du 23.170, celui que nous savons que nous allons perdre à l’avenir.
Mais le ton solennel des voix officielles en cette journée douloureuse est maintenant souvent accompagné par des nuances de défi.
Ce qui était autrefois l'incarnation de l'unité autour de la simple notion de gratitude à l’égard de ceux qui ont sacrifié leur vie pour nous permettre de vivre, le profond respect vis-à-vis des familles endeuillées, a souvent été remplacé par la colère, la frustration et les doutes.
Parfois, ces doutes et ces colères sont exprimés par ces mêmes parents endeuillés.
Autrefois considérés comme des monuments vivants en faveur de leurs fils, ces parents tiennent maintenant les politiciens pour responsables, posent des questions et exigent des réponses.
Cette année, le fossé atteint un nouveau summum.
Dans une lettre au Premier ministre Benyamin Netanyahou, une organisation de familles endeuillées a demandé au Premier ministre de ne pas prononcer le traditionnel discours au cimetière militaire du Mont Herzl à Jérusalem où se déroule également la cérémonie pour les victimes du terrorisme.
C’est leur manière à elles d’exprimer leur colère envers l’assentiment du gouvernement de libérer des prisonniers palestiniens impliqués dans le meurtre d’Israéliens.
Ce n’est pas le seul acte de défi dans un contexte considéré autrefois au-dessus de toute polémique.
Le sacrifice ultime, celui de la vie, n’est plus systématiquement considéré comme le plus généreux des dons; trop souvent, il est maintenant ressenti comme une perte inutile, un gaspillage de la vie qui n’est plus pleinement justifié.
Plus que toute autre chose, ce jour de deuil reflète le fait que dans l’esprit collectif des Israéliens la nécessité de toutes les guerres n’est plus tenue pour acquise, que les dirigeants n’inspirent plus une confiance aveugle et par conséquent la perte de le vie n’est plus toujours considéré comme la seule option.
Le processus de perte de confiance, qui a débuté après la guerre tragique de Yom Kippour en 1973, un traumatisme collectif qui a marqué Israël à jamais, est en fait en train de gagner du terrain avec les années.
Ses racines sont profondément implantées dans les controverses israéliennes fondamentales, à savoir la poursuite de l’occupation, le conflit non résolu avec les Palestiniens, la vie permanente sous la menace et la perte de confiance à l’égard des dirigeants. Tous les dirigeants. Cette journée du Souvenir dédiée à l’unité nationale n’est plus en mesure de compenser cette perte d’innocence.
Le changement est visible et tangible. Il peut être facilement détecté en lisant simplement les nombreuses annonces invitant les Israéliens à participer à des “commémorations alternatives”.
L’alternative prospère sur le terrain évacué par le consensus. Cette nouvelle réalité est accentuée par la proximité de la Pâque juive, de la Journée de l’Holocauste (Yom HaShoah) et du Jour de l’Indépendance, soit le triangle englobant le narratif israélien: depuis la Sortie d’Egypte et la création du Peuple juif, en passant par l’extermination et l’avènement de l’Etat.
Ces trois expérience de transformation, autrefois solennisées par des rituels fédérateurs, offrent aujourd’hui des des possibilités alternatives.
Au début, on assista à l’arrivée des Haggadot alternatives (livres relatant la sortie d’Egypte), maintenant aussi à des alternatives au Yom HaShoah, à celles de la Journée du Souvenir des soldats et des alternatives à la façon dont est célébré le Jour de l’Indépendance.
Certaines de ces alternatives, comme le project conjoint des “Combattants pour la Paix”, rassemblent des jeunes Israéliens et Palestiniens réunis dans le combat pour la Paix invitant le public à des événements bi-nationaux combinant deux narratifs historiques: l’un pour le Jour de l’Indépendance, l’autre pour la Nakba, définie par les Palestiniens comme la tragédie causée par la naissance de cet Etat issu de cette même Indépendance.
D’autres célébrations alternatives remettent en question les rituels offerts par l’Etat. "Yesh Gvul", une association d’anciens combattants ayant refusé de participer à certaines opérations militaires et soutenant les objecteurs de conscience, invite ses sympathisants à des célébrations alternatives d’allumage de torches au moment précis où se déroule la cérémonie protocolaire d’allumage des 12 torches sur le Mont Herzl qui marquent le passage de la douleur du Jour du Souvenir aux festivités du Jour de l’Indépendance; des associations sociales proposent des événements similaires, créant ainsi un univers parallèle de symboles.
Les deux jours sont l’occasion de proposer une sélection une sélection de représentations artistiques exprimant une nouvelle interprétation parfois subversive.
Bien que différentes, ces nombreuses alternatives envoyent un message similaire: nous ne parlons plus désormais d’une seule voix.
La manifestation la plus significative de ce changement réside dans les cérémonies habituelles de commémoration dans les établissements scolaires israéliens à la mémoire des soldats tombés au champ d’honneur.
Pensant des décennies, elles s’appuyaient sur les mêmes textes. Les mêmes chansons pouvaient être entendues dans toutes les écoles, pratiquement les mêmes discours louant la bravoure et le sacrifice des soldats tombés étaient prononcés presque au même moment dans toutes les écoles. C’est fini. Seule la douleur demeure un facteur unificateur. Tout le reste est sujet à changement.
Les étudiants, les parents, parfois même les enseignants, expriment désormais ouvertement leurs colère et frustration, souvent accompagnées par la critique ouverte de la part de responsables politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite.
Selon la professeure Edna Lomsky-Feder, une sociologue israélienne qui effectue des études de recherches sur ces cérémonies dans les établissements scolaires, “la représentation héroïque de soldats portés aux nues est souvent remplacée par des manifestations personnelles de grief, de sentiments de gâchis et soulève la question du coût”.
Pourtant, même dans ces cérémonies les plus diverses et dans celles qui ont subi des changements, il y a un moment unificateur: Yizkor (souviens-toi), l’ancienne prière juive récitée à la mémoire des disparus qui n’est jamais sujet à polémique.

Source I24News