A 50 ans, Viktor Orban est un homme comblé. En remportant haut la main son deuxième scrutin législatif, ce dimanche 6 avril, le premier ministre de la Hongrie vient de s’assurer quatre année de plus d’un pouvoir sans partage, confirmant ainsi une « voie hongroise » unique dans le paysage européen. Certes, il fait moins bien qu’en 2010, lorsque son parti Fidesz avait obtenu le score mirobolant de 52,7%. Mais, avec 45,5% et 133 sièges au parlement sur 199, il devrait tout de même s’assurer la majorité des deux tiers qui lui permettrait de continuer à légiférer et à modeler la Constitution à sa guise. Loin derrière lui, l'Alliance de gauche et libérale, une coalition de cinq partis menée par les socialistes du MSZP (héritier du PC d’antan), se traîne avec moins de 26% de voix et 37 sièges...
Comment s’expliquent ces résultats ? D’abord, par une mainmise sans exemple dans d’autres démocraties sur tous les rouages du pouvoir. En quatre années de règne absolu, Orban a fait passer quelque huit cent cinquante lois qui ont profondément transformé les institutions du pays, les mettant sous la coupe du parti au pouvoir. Un découpage électoral savant, couplé à une baisse drastique du nombre des parlementaires, l’octroi du droit de vote aux Hongrois des pays voisins, dont 90% ont voté pour lui, des média à la botte du premier ministre, une justice intimidée, l’Université mise au pas, une banque centrale soumise, tout a été conçu pour faire de la Hongrie l’« Orbanistan » que n’ont cessé de dénoncer, sans effet apparent, l’Union européenne, les Etats-Unis et une opposition hongroise de plus en plus inaudible.
Ensuite, par une politique économique habile, ni droite ni gauche, ou plutôt droite et gauche, qui a manifestement les faveurs de l’électorat. D’un côté, la nationalisation des fonds de pension, une taxation « de crise » impitoyable des sociétés étrangères, une réduction de l’impôt sur le revenu, l’aménagement des prêts hypothécaires au détriment des banques étrangères et une baisse de 20% des prix de l’énergie domestique ; de l’autre, une politique néo-libérale de démantèlement de l’Etat providence et de hausses des taxes indirectes. Ce qu’on ne dit pas aux Hongrois, c’est que les investissements étrangers ont fondu et que l’économie du pays survit grâce aux fonds européens.
Enfin, peut-être surtout, le « Viktocrator » de Budapest est le produit d’une histoire particulière. Amputée des deux tiers de son territoire et du tiers de ses habitants par le traité de Trianon du 1920, au sortir de la Première Guerre mondiale ; rangée dans le mauvais camp pendant la Seconde ; maltraitée un demi-siècle durant par la domination communiste, contre laquelle elle s’est révoltée en 1956 pour être abandonnée par l’Occident qui l’avait pourtant fortement encouragée à se soulever, la Hongrie est un pays malade de son passé. Viktor Orban a exploité ce concentré de frustrations, lui qui s’est posé en champion des valeurs traditionnelles, chrétiennes et nationales, d’une Hongrie dressée contre les empiètements de l’étranger, notamment de « Bruxelles ». Au passage, il pose aussi au rempart contre plus extrême que lui, en l’occurrence le sinistre Jobbik.
Ce dernier est l’autre grand gagnant du scrutin. Avec près de 21% de voix et 24 sièges, le Mouvement pour une meilleure Hongrie (« Jobbik » veut dire « meilleur », mais aussi « à droite »), s’affirme comme le parti d’extrême droite le plus puissant d’Europe, en même temps que l’un des plus virulents. Comme d’autres partis de la même eau en Europe, Jobbik a tenté d’adoucir son image sulfureuse pendant la campagne. Mais il faut être particulièrement indulgent, ou amnésique, pour oublier ce qu’il est : une formation ouvertement néo-fasciste, antisémite, anti-Rom et homophobe, nostalgique du régime pro-hitlérien de l’amiral Horthy, dont un buste a été érigé par ses soins place de la Liberté, en face d’une église gérée par un de ses dirigeants. Sa Garde magyare, fondée en 2007 et dissoute depuis, ressemblait à s’y méprendre aux Croix-fléchées de sinistre mémoire. Au printemps 2012, ses représentants au parlement n’ont rien trouvé de mieux que de célébrer une affaire de meurtre rituel de 1882. Et, lorsque le Congrès juif mondial a tenu son assemblée annuelle à Budapest, en mai 2013, le président de Jobbik, Gabor Vona, a déclaré que les « investisseurs [juifs] seraient bien inspirés de se chercher un autre pays, car la Hongrie n’est pas à vendre ». On ne trouve guère en Europe que les néonazis grecs de l’Aube dorée pour faire aussi bien.
Au total, la question du défi que pose à l’Union européenne la dérive autoritaire de la Hongrie se posait déjà voici quatre ans : comment traiter un État membre qui manifestement enfreint les principes de la démocratie libérale ? Autrement dit, comment imposer aux membres de la famille européenne le respect des règles censées régir leur maison commune ? Car il est évident que, sans même évoquer le score de Jobbik, Viktor Orban et son parti FIDESZ ont façonné et continuent de façonner un régime tel que, si la Hongrie en avait été pourvue au moment où elle frappait à la porte de l’Union européenne, sa candidature eût été bonnement rejetée.
A cette question, l’Europe n’a toujours pas de réponse satisfaisante.
Source I24News