lundi 14 avril 2014

Le récit de la Haggada


D'eminents rabbins ont accepté de commenter les différents passages de la Hagadah afin de nous eclairer sur le sens de cette fête millénaire. Ces explications nous permettent de mieux comprendre l'importance de Pessah et nous offrent de quoi illustrer notre soirée du séder afin de s'acquitter de la mitzva la plus importante de cette nuit exceptionnelle : parler et expliquer la sortie d'Egypte a nos hotes...cet article est a imprimer avant la fête...


הָא לַחְמָא עַנְיָא – Voici le pain de misèreDans ce passage, nous invitons toute personne nécessiteuse à se joindre à nous pour la soirée du Séder. Ainsi, l’hospitalité précède tous les autres services religieux, le souci d’autrui étant un principe fondamental dans le judaïsme.
En ce sens, nous voyons qu’au moment où les trois anges arrivèrent devant la tente d’Avraham, celui-ci demanda à D.ieu de « patienter » pendant qu’il irait les accueillir : « Éternel, si j’ai trouvé grâce à Tes yeux, ne T’éloigne pas de Ton serviteur… » Nos Sages déduisent de cet épisode que l’hospitalité prime l’accueil de la Chékhina.
Cette idée révèle un fondement essentiel de la Torah : celle-ci a été donnée aux hommes pour qu’ils l’accomplissent ici-bas, dans la réalité du monde physique. Nous ne devons nullement nous préoccuper de « ce qui se passe » dans les Mondes spirituels, notre devoir est au contraire de vivre la Torah au cœur du quotidien. Aussi, quelque importante qu’ait l’apparition de la Chékhina, nous devons quant à nous garder les pieds sur terre et nous soucier des besoins de nos invités. (Rav Yérou’ham Leibovitz)
מַה נִּשְׁתַּנָּה הַלַּיְלָה הַזֶּה – En quoi cette soirée diffère-t-elle de toutes les autres soirées ?Cette soirée ne se distingue pas des autres nuits de l’année uniquement en raison des diverses pratiques qui y sont observées. La soirée du Séder a en effet une nature foncièrement différente, puisqu’il est dit à son sujet : « La nuit sera lumineuse comme le jour » (Téhilim 139, 12). En clair, cette nuit-ci est considérée comme un « jour », et c’est pourquoi la Torah la désigne ainsi : « Tu diras à ton fils en ce jour » (Chémot 13, 8). D’ailleurs, la Halakha stipule qu’il est interdit de réciter le Hallel de nuit. Alors pourquoi le mentionnons-nous au fil de la Haggada ? Précisément parce que cette soirée n’a pas le statut de « nuit » mais celui de « jour » ! (Sfat Emet)
הַלַּיְלָה הַזֶּה כּוּלָנוּ מְסוּבִּין – Cette soirée, nous sommes tous accoudésLa Halakha indique : « Une femme n’est pas tenue de s’accouder pendant cette soirée, sauf si elle est un personnage important. »
On raconte que dans la ville de Volozhin, vivait une femme fortunée, qui avait la fâcheuse habitude de mépriser les personnes de situation modeste. Une année, à l’approche de Pessa’h, elle envoya demander au maître de la ville, rav ‘Haïm de Volozhin, si elle était tenue de s’accouder pendant le Séder. Le rav lui donna la réponse suivante : « Il est vrai que, selon la Halakha, une femme de votre rang est tenue de s’accouder. Cependant, il est stipulé par ailleurs qu’on ne s’accoude pas pour les herbes amères… »
(Birkat ‘Haïm)
עֲבָדִים הָיִינוּ לְפַרְעֹה בְּמִצְרָיִם – Nous avons été esclaves de Pharaon en ÉgypteLa servitude et l’oppression infligées aux Hébreux en Égypte atteignirent des proportions inimaginables. Ainsi, il est dit dans ce contexte : « Voilà pourquoi ils élèvent des cris [tsoakim] ! » (Chémot 5, 8). Le Baal HaTourim note que l’expression « tsoakim » n’apparaît qu’une seule autre fois dans la Torah, dans le verset où D.ieu condamne Caïn après qu’il tué son frère : « La voix des sangs de ton frère élèvent des cris jusqu’à Moi depuis la terre » (Béréchit 4, 10). Nous apprenons de là qu’en Égypte, les cris des enfants d’Israël s’échappaient aussi de la terre. En effet, Pharaon avait décrété que si les briques venaient à manquer, les esclaves devraient « y engager leur propre personne », en utilisant des nourrissons à cette fin.
Si la servitude d’Égypte a précédé le Don de la Torah, c’est pour que l’asservissement égyptien nous serve de modèle dans notre fidélité à D.ieu, et que nous apprenions à Le servir avec la même abnégation. Ainsi, nous devons « y engager notre propre personne » – c’est-à-dire que nous devons nous vouer à Son service corps et âme, exactement comme Pharaon l’avait exigé en son temps.
(‘Hachouké ‘Hémed)
וַאֲפִילוּ כֻּלָּנוּ חֲכָמִים – Même si nous étions tous des sagesNous savons qu’en Égypte, nos pères étaient dépourvus de mérites justifiant qu’ils soient délivrés. Il se pourrait qu’en vérité, leur délivrance fut rendue possible précisément parce que leurs descendants – c’est-à-dire nous-mêmes – raconteraient à l’avenir les prodiges du Saint béni soit-Il. En ce sens, nous disons dans la suite de la Haggada : « En vue de ceci l’Éternel a agi en ma faveur » – c’est-à-dire en vue du récit que nous dressons chaque année des miracles de la sortie d’Égypte. C’est la raison pour laquelle nous annonçons au fils méchant : « En ma faveur – et non en la sienne, car s’il avait été là-bas, il n’aurait pas été délivré ! » De fait, comme il ne participe pas au récit de la Haggada, il n’aurait donc pas mérité d’être sauvé de la servitude.
C’est pourquoi nous disons dans ce passage : « Plus on s’étend dans le récit de la sortie d’Égypte, plus on est digne de mérite » – car c’est ce récit lui-même qui a jadis suscité la délivrance.
(Panim Yafot)
מַעֲשֶׂה בְּרַבִּי אֱלִיעֶזֶר – Il arriva que Rabbi Eliézer et Rabbi Yéhochoua…La Haggadah raconte que ces cinq Sages se trouvaient cette nuit-là à Bné-Brak pour célébrer ensemble le Séder. Pourquoi leur lieu de séjour est-il précisé ici ?
Pour résoudre cette question, le Bné Issakhar rapporte que selon le Talmud, « les petits-fils de Haman étudièrent la Torah à Bné-Brak » (Guittin 57/b). Bné-Brak était en effet dans le territoire de la tribu de Dan, lieu où, pour la toute première fois en Israël, une idole fut érigée et servie par des Juifs, à savoir la statue de Mikha. Or, lorsque D.ieu opère des délivrances, Il « extrait ce qu’il y a de précieux du misérable » (Jérémie 15, 19) – c’est-à-dire qu’Il sépare le grain de l’ivraie et dégage les parcelles de sainteté de l’impureté. Voilà pourquoi les petits-fils de Haman étudièrent la Torah précisément à Bné-Brak, pour indiquer que des ténèbres – symbolisées par Haman leur ancêtre et par Bné-Brak, ville du culte idolâtre –, jaillira la lumière.
Pour cette même raison, la Haggada précise ici que les cinq Sages se réunirent à Bné-Brak – dont la valeur numérique équivaut à celle de : « Le Satan » –, car c’est à l’intérieur même de l’impureté que D.ieu viendra chercher Son peuple et l’extraire de l’exil.

אָמַר רַבִּי אֶלְעָזָר בֶּן עֲזַרְיָה – Rabbi Elazar fils d’Azarya dit…
D’après les Sages, le récit de la sortie d’Égypte devra être évoqué même dans les temps messianiques, selon leur interprétation du verset : « “Les jours de ta vie” – c’est-à-dire dans le monde présent. “Tous les jours de ta vie” – cela vient inclure l’époque du Machia’h. »
Pourquoi l’ultime sauveur du peuple juif est-il couramment appelé Machia’h [litt. : « oint »] ? La réponse apparaît dans la discussion talmudique suivante : « Quel est le nom du Messie ? Chez Rabbi Chila, on enseignait : “Son nom est Chilo.” Chez Rabbi Yanaï, on enseignait : “Son nom est Yinon.” Chez Rabbi ‘Hanina on enseignait : “Son nom est ‘Hanina.” Et certains avis affirment qu’il s’appellera Ména’hem fils de ‘Hizkiya » (Sanhédrin 98/b). Or, si l’on réunit les premières lettres de ces noms : Ména’hem, Chilo, Yinon et ‘Hanina, on obtient le mot Machia’h !
(Explication rapportée au nom du Gaon de Vilna)

כְּנֶגֶד אַרְבָּעָה בָּנִים דִּבְּרָה תוֹרָה – La Torah s’adresse à quatre enfants…
Pourquoi la Torah s’adresse-t-elle spécifiquement à des « garçons », alors que les femmes étaient tout autant impliquées dans la délivrance égyptienne ?
C’est que les décrets de Pharaon ciblaient tout particulièrement les garçons hébreux. En effet, en un premier temps, il ordonna aux sages-femmes : « Si c’est un garçon, faites-le périr ! » Par la suite, le roi égyptien décréta : « Tout mâle nouveau-né, jetez-le dans le fleuve ! » Quant à ceux qui furent épargnés, il les fit emmurer à la place des briques. Et enfin, lorsqu’il fut frappé par la lèpre, il fit tuer les garçons hébreux pour se baigner dans leur sang ! (comme le rapporte le Midrach). C’est la raison pour laquelle le récit de le Haggada s’adresse plus spécifiquement aux garçons. (Toldot Moché)
מָה הָעֲבוֹדָה הַזֹּאת לָכֶם – Quel est donc ce service que vous pratiquez ?Dans la Torah, la question de l’enfant méchant fait suite au verset : « Quand vous serez arrivés dans le pays, (…) vous observerez [ouchmartem] ce service » (Chémot 12, 25). L’observance [chemira] renvoie au principe des garde-fous que l’on doit ériger autour des mitsvot, comme le suggère ce verset : « Protégez Mon observance » (Vayikra 18, 30) – c’est-à-dire « placez des barrières autour de Mes préceptes » (Moed Katan 5/a).
En clair, lorsque cet enfant demande : « Quel est donc ce service que vous pratiquez ? », ce sont les décrets rabbiniques qu’il remet en question. « Pourquoi vous encombrez-vous avec des ‘houmrot superflues ? questionne-t-il. N’est-il pas suffisant d’observer les mitsvot simplement telles qu’elles figurent dans la Torah ? »
À cette question, nous lui répondons : « C’est pour cette raison que l’Éternel a agi en ma faveur » (Chémot 13, 8). Le Midrach explique que les enfants d’Israël méritèrent d’être délivrés d’Égypte parce qu’ils avaient conservé leurs noms et leur langue, de sorte qu’ils purent rester à l’écart du peuple égyptien. C’est donc grâce à ces « protections » face à l’assimilation qu’ils purent être sauvés. Voilà pourquoi nous disons à l’enfant méchant : « S’il avait été là-bas, il n’aurait pas été délivré. »
(Oumatok Haor)
יָכוֹל מֵרֹאשׁ חֹדֶשׁ – On aurait pu croire qu’il faille faire le récit dès Roch ‘Hodech…En effet, explique le ‘Hatam Sofer, on aurait pu croire que l’on peut relater aux enfants la sortie d’Égypte spontanément, même s’ils ne nous interrogent pas à ce sujet. La Torah vient donc nous apprendre que le récit de la Haggada doit être effectué uniquement lorsque « la matsa et les herbes amères sont posées devant toi ». C’est-à-dire que la cérémonie du Séder est impérative pour attiser la curiosité des enfants et susciter leur questionnement. Et c’est seulement si, malgré nos efforts, ils ne posent pas de question, que l’on devra prendre les devants et « entamer nous-mêmes le récit » (comme on le fait avec le quatrième enfant, qui ne sait pas questionner).
מִתְּחִלָּה עוֹבְדֵי עֲבוֹדָה זָרָה – À l’origine, nos ancêtres étaient idolâtresSi nous rappelons ici nos origines idolâtres, c’est en vertu du principe suivant : « On doit commencer le récit par des faits dépréciateurs et conclure avec des louanges » (Pessa’him 116/a). Rav Chlomo Bravde explique cette idée à l’aide de la parabole suivante : au terme de longues recherches, un orphelin rescapé de la Shoah découvre qu’un de ses oncles vit aux États-Unis. Il prend contact avec lui par voie de courrier, et l’oncle d’Amérique lui fait parvenir l’argent nécessaire pour le voyage. Aussitôt sur place, on découvre que le jeune orphelin souffre de plusieurs affections, et son parent prend en charge la totalité des soins médicaux. Par la suite, il lui paie ses études, il l’aide à monter sa propre affaire et lorsqu’il est en âge de fonder une famille, il débourse l’intégralité des frais du mariage.
Vingt ans plus tard, notre homme célèbre le mariage de son propre fils. Là encore, l’oncle répond présent à ses sollicitations et il l’aide généreusement à payer les frais du mariage. Pendant les festivités des noces, le père du marié glisse à l’oreille de son oncle : « Merci beaucoup ! » Le visage de ce dernier vire à l’écarlate, il prend son neveu à part et lui dit en contenant sa colère : « Merci beaucoup ?! C’est là tout ce que tu as à me dire ? Si tu veux me remercier, il faudrait que tu reprennes le récit de tout ce que tu as enduré, de tout ce que j’ai fait pour toi pendant toutes ces années, et à ce moment-là, ton “merci” prendra certainement un autre sens !… »
Pour exprimer convenablement notre gratitude au Saint béni soit-Il, nous ne pouvons nous contenter de quelques mots de remerciement. C’est en nous remémorant nos origines et tout le chemin qu’Il nous a fait parcourir que nous pourrons vraiment ressentir combien nous Lui sommes redevables…
וְהִיא שֶׁעָמְדָה – C’est cette promesse qui nous a soutenusAu moment où l’on prononce ce passage, l’usage veut que l’on soulève la coupe de vin. Cette coutume peut s’expliquer comme ceci : nos Sages ont interdit de consommer du vin qu’un non-Juif aurait touché, de crainte que l’on en vienne à boire en sa compagnie. En effet, comme le vin « réunit les cœurs » – puisque c’est autour de cette boisson que se crée une certaine intimité entre les hommes –, on pourrait en venir de fil en aiguille à contracter un mariage mixte.
En proclamant : « C’est elle qui nous a soutenus », nous faisons donc allusion à cette coupe de vin que l’on soulève. Nous déclarons que c’est grâce à la prudence avec laquelle nous buvons le vin que notre peuple a été préservé de l’assimilation, et que « le Saint béni soit-Il nous sauve de leurs mains ». (Kessef Niv’har)

צֵא וּלְמַד – Vois et apprends…

À ce stade de la Haggada, nous entamons le récit de la servitude proprement dit. Nous y mentionnons notamment ce verset : « Les enfants d’Israël avaient augmenté, pullulé, ils étaient devenus prodigieusement nombreux. » Rabbi Ra’hamim ‘Hawita de Djerba expliquait ce phénomène à l’aide de la parabole suivante : un agriculteur voulait enseigner les rudiments de son métier à son fils. Il lui confia donc la culture d’un potager, et il lui montra une pousse sauvage dont le feuillage empêchait les rayons du soleil d’atteindre les légumes. « Si tu veux tirer le meilleur de ta terre, il faut que tu arraches cette plante jusqu’aux racines ! » Mais comme le fils n’était pas particulièrement travailleur, il se contenta de couper les branches superficielles. Comme on s’y attend, la plante redoubla de vigueur et produisit des feuilles bien plus abondantes qu’à l’origine. Au final, son potager n’offrit que quelques légumes bien maigres.
Telle fut également l’erreur de Pharaon : il pensait qu’en accablant les Hébreux de travaux forcés, ils s’affaibliraient et finiraient par s’éteindre. Mais le Saint béni soit-Il lui prouva que son calcul était totalement erroné, comme en témoigne la Torah : « Plus on l’opprimait, plus sa population grossissait et débordait »…

וַיָּרֵעוּ אֹתָנוּ הַמִּצְרִים – Les Égyptiens nous maltraitèrent…
Comme introduction à l’oppression égyptienne, la Torah indique : « Yossef mourut, ainsi que tous ses frères, ainsi que toute cette génération » (Chémot 1, 6). Le Or Ha’haïm voit dans ce verset une allusion au fait que, tant que les fils de Yaacov étaient en vie, les Égyptiens n’osèrent pas les soumettre à la servitude, car ils les avaient en estime. En vérité, les enfants d’Israël perdirent le respect des populations locales de manière progressive : la mort de Yossef en fut la première étape, suivie par celle de ses frères, et enfin, quand « toute cette génération mourut », les Égyptiens n’avaient plus pour eux que dédain et mépris.
Nous voyons de là que tant que Pharaon éprouvait du respect envers les Hébreux, il ne pouvait les dominer. Et en vérité, il apparaît que la servitude ne put débuter qu’à partir du moment où les enfants d’Israël perdirent l’estime d’eux-mêmes et qu’ils commencèrent à se voir comme des esclaves. Car c’est le regard que l’homme porte sur lui-même qui détermine sa condition et celle que les autres lui impose. (Rav ‘Haïm Chmoulevitz)
וַנִּצְעַק אֶל ה' – Nous avons crié vers l’Éternel, D.ieu de nos pèresDans ce passage, nous citons le verset suivant : « L’Éternel considéra notre misère, notre labeur et notre détresse. » « Notre misère », explique la Haggada, fait allusion à l’entrave à la vie matrimoniale ; « notre labeur » – ce sont les enfants ; « notre détresse » – c’est l’oppression.
À l’origine, l’exil égyptien était censé durer quatre cents ans, mais en fin de compte, D.ieu nous libéra au terme de deux cent dix ans. Qu’en est-il des cent quatre-vingt-dix ans manquants ? Trois réponses ont été données à cette question : 1. Les Hébreux travaillèrent jour et nuit, de sorte qu’ils fournirent pendant cette période tout le travail prévu à l’origine. 2. Comme les femmes mettaient au monde six enfants par grossesse, le nombre d’esclaves hébreux permit de produire plus de travail. 3. L’intensification de l’oppression permit de raccourcir le délai de l’exil.
Selon le ‘Hanoukat HaTorah, ces trois réponses apparaissent dans l’exégèse précitée : « l’entrave à la vie matrimoniale » était due au fait que les Hébreux travaillaient de jour comme de nuit ; « les enfants » fait allusion aux sextuplés que les femmes accouchaient. Et enfin, « l’oppression » renvoie à l’intensification des travaux forcés.

אֵלוּ עֶשֶׂר מַכּוֹת – Ce sont les dix plaies…

Les plaies qui s’abattirent sur l’Égypte furent plus ravageuses les unes que les autres. Au fil des exégèses de nos Sages, il apparaît que chacune d’elles aurait pu totalement anéantir les Égyptiens. Pour que cela ne se produise pas, D.ieu dut donc « réfréner » ces fléaux – en faisant intervenir l’attribut de Miséricorde – afin de les épargner. De même, après que chaque plaie sévissait, Moché implorait le Saint béni soit-Il pour qu’Il la fasse cesser. Là encore, D.ieu lui répondait favorablement en vertu de Sa Miséricorde.
Cela signifie qu’en vérité, au cœur même de ses malheurs, l’Égypte bénéficiait de la clémence divine et jamais la bonté du Créateur n’a cessé de jouer en sa faveur. Car cette guerre menée contre les Égyptiens avait un idéal sacré : faire savoir au monde que l’Éternel est le seul D.ieu. C’est donc la Miséricorde qui réclama tous ces fléaux. Et pour cette même raison, lorsque les Égyptiens se noyèrent dans la mer des Joncs, D.ieu interdit aux anges de célébrer cet évènement en leur disant : « Mes créatures se noient et vous voulez entonner un chant ?! » (Rav Yé’hezkel Lewinstein)

רַבִּי יוֹסֵי הַגְּלִילִי אוֹמֵר – Rabbi Yossi le galiléen dit…

Au moment de la plaie de la vermine, les devins égyptiens dirent à Pharaon : « Le doigt de D.ieu est là ! », car à ce moment-là, ils furent incapables de reproduire les prodiges opérés par Moché et Aharon.
Cependant, les commentateurs s’interrogent : puisque D.ieu savait pertinemment que les devins égyptiens maîtrisaient la sorcellerie, et qu’ils étaient capables d’imiter les miracles du sang et des grenouilles, pourquoi suscita-t-Il ces plaies ? N’aurait-il pas été plus pertinent d’envoyer directement la vermine, afin d’éviter d’emblée toute confusion ?
La réponse est que le Créateur savait qu’un jour ou l’autre, viendraient des « libres penseurs » qui contesteraient la puissance phénoménale des dix plaies d’Égypte. Ils soutiendraient que la nation égyptienne était un peuple primitif, dépourvue de savoir, et de ce fait, il n’était guère difficile de les soumettre avec quelques tours astucieux…
Pour aller au-devant de ce genre de « thèses », le Saint béni soit-Il suscita deux prodiges – la plaie du sang et celle des grenouilles – que les magiciens égyptiens réussirent à reproduire. La preuve fut ainsi établie qu’en ces temps, les hommes maîtrisaient la nature de façon prodigieuse, puisqu’ils changèrent l’eau en sang et « créèrent » des grenouilles de leurs propres mains ! Par conséquent, si ces mêmes sages attestèrent à la troisième plaie que « le doigt de D.ieu est là », leur témoignage est assurément le plus probant qui soit. (Oumatok Haor)

כַּמָּה מַעֲלוֹת – De combien de bienfaits D.ieu nous a comblés !

« S’Il avait divisé pour nous les flots de la mer sans nous la faire passer à pied sec, cela nous aurait suffi ! » Quel aurait été l’intérêt de fendre la mer, si ce n’était pour nous permettre de la traverser ? La réponse apparaît dans ce verset : « Israël reconnut alors la haute puissance que l’Éternel avait déployée (…) et ils eurent foi en l’Éternel et en Moché Son serviteur » (Chémot 14, 31). C’est-à-dire qu’à la vue du miracle, le peuple juif accéda à un très haut degré d’émouna et il s’en remit totalement au Créateur.
C’est pour cela que l’ouverture de la mer était du plus grand intérêt : même si les Hébreux n’avaient pas traversé les flots, ils se seraient enrichis grâce à ce miracle d’une foi inébranlable en D.ieu. Or, la émouna constitue le fondement de toute notre vie spirituelle, car notre évolution dépend entièrement d’elle. Nos Sages enseignent en ce sens : « Six cent treize mitsvot furent transmises à Moché sur le mont Sinaï (…) et ‘Habakouk les synthétisa en une seule, comme il est dit : “Le Juste vivra par sa foi !” » (Makot 24/a). C’est-à-dire qu’à travers la émouna, il est possible de remonter jusqu’à l’ensemble des commandements de la Torah. (Avi Ezri)
רַבָּן גַּמְלִיאֵל הָיָה אוֹמֵר – Rabban Gamliel disait…Nous mentionnons ici les trois composants essentiels de Pessa’h : le sacrifice du Pessa’h, la matsa et les herbes amères. Mais pourquoi sont-ils énumérés dans cet ordre ? Compte tenu du fait que les herbes amères représentent l’asservissement égyptien, on devrait les mentionner en premier, avant les symboles de délivrance !
C’est que pour ressentir l’amertume d’une situation donnée, il est impératif de « goûter » auparavant à la liberté. Dans le cas contraire, le phénomène d’accoutumance fait que l’on est incapable de réaliser la gravité de notre condition. Le verset témoigne en ce sens qu’après le décès du premier Pharaon, « les enfants d’Israël gémirent du sein de l’esclavage » (Chémot 2, 23). Pendant ces quelques jours de répit dus à la mort du souverain, les Hébreux prirent conscience de leur tragique situation et ils purent ainsi prier D.ieu. C’est donc bien grâce au Pessa’h et à la matsa – cités ici en premier – que l’on découvre le sens des herbes amères.

פֶּסַח שֶׁהָיוּ אֲבוֹתֵינוּ אוֹכְלִים – Le Pessa’h que nos ancêtre mangeaient…

La Haggada explique ici que nos ancêtre consommaient le sacrifice de Pessa’h, à l’époque du Temple, parce que le Saint béni soit-Il épargna les premiers-nés hébreux et « sauta » [passa’h] au-dessus de leur maisons.
Le Midrach rapporte une autre explication à cette mitsva. Pendant tous ces siècles de servitude, les Égyptiens avaient adopté une fâcheuse habitude : ils chassaient des cerfs ou des boucs dans les déserts environnants et ils faisaient cuire leur chair tout près des maisons des Hébreux. Ces derniers, affamés par les travaux forcés, sentaient les bonnes odeurs s’échappant des demeures égyptiennes, mais on leur interdisait de goûter cette viande savoureuse. À ce constat, le Saint béni soit-Il annonça aux oppresseurs : « Vous mangiez cette viande sans la partager avec vos esclaves ?! J’agirai donc de même à votre égard : les Hébreux viendront un jour égorger ces agneaux devant lesquels vous vous prosternez, ils en mangeront la chair sous votre nez et vous en éprouverez la plus vive répulsion ! »

מָרוֹר זֶה שֶׁאָנוּ אוֹכְלִים – Ces herbes amères que nous consommons…

Les herbes amères rappellent les travaux que les Égyptiens imposèrent à nos ancêtres « avec dureté » [béfarekh]. Nos Sages interprètent ce terme ainsi : « Béfé rakh – avec une bouche tendre », c’est-à-dire qu’ils attiraient les Hébreux aux chantiers avec des paroles suaves, et finalement, ils leur infligeaient des corvées insoutenables. À cet égard, nous consommons des herbes amères qui sont au début douces au palais, et dont l’amertume apparaît lorsqu’on les avale.
Pourquoi rappelle-t-on également cette « bouche tendre » pendant le Séder ? Parce que les égards dont firent preuve les Égyptiens envers les Hébreux au début, étaient dus au profond respect qu’ils avaient pour Yaacov et ses fils. C’est seulement au fil des ans qu’ils commencèrent à asservir les Hébreux durement, jusqu’à faire preuve d’une cruauté inhumaine. Or, rien n’est plus douloureux pour un homme que de voir un ami changer d’attitude à son égard et devenir son ennemi. C’est pour marquer cette profonde frustration que nous rappelons combien la bouche des Égyptiens était au début douce et tendre. (Ktav Sofer)

בְּכָל-דוֹר וָדוֹר – À chaque génération, chacun a le devoir…

« Chacun a le devoir de se considérer comme s’il était lui-même sorti d’Égypte. » Dans certaines communautés juives, la coutume veut que le soir du Séder, un homme frappe à la porte de chaque famille, avec un épais sac sur le dos. On lui ouvre la porte et on lui demande : « Qui es-tu ? » et lui répond : « Je suis un juif. » L’interrogatoire continue : « D’où viens-tu ? » – « Je viens d’Égypte. » ; « Et où te rends-tu ? » – « Je vais en Erets-Israël ! »
Cette coutume symbolise parfaitement ce que nous déclarons ici dans la Haggada, à savoir que chacun doit se considérer – et même agir – comme s’il était en train de sortir d’Égypte. Et c’est précisément au moyen de symboles que nous accomplissons notre devoir ici-bas, dans l’existence concrète. Les symboles constituent notre « outil » sur terre, grâce auquel nous pouvons donner une forme aux plus hauts concepts spirituels.
(Rav Yérou’ham Leibovitz)

Source Hamodia