«Viens passer shabbat tu vas voir c’est très sympa !» me propose un copain installé au-delà de la ligne verte, avec l’enthousiasme d’un ado qui dit à un autre de ses congénères puceau «Putain mais viens y aura des meufs, de la bière et des capotes !». La vue est à couper le souffle. En fermant les yeux, sentant le vent chaud te balayer le visage, tu te croirais revenu aux temps des pionniers juifs labourant la Terre Sainte encore sous mandat britannique. Le bip de son réseau wifi et les 300 m² de penthouse que tu surplombes te rappellent qu’on est en 2014, et que t’es pas tout à fait en Israël. Évite donc de dire ça…
« Je ne trouve pas ta rue sur Waze » : complètement perdue sur la route tu l’appelleras désespérée. Lui se marrera en t’indiquant le chemin. «Donc là tu passes le Check Point. T’inquiètes, c’est des soldats israéliens. Enfin je crois… J’ai pas lu les journaux ce matin». Oui tu le constateras, le colon est taquin. Quand tu lui dis que ce n’est pas normal que Waze ne trouve pas, il te lance «Tu devrais télécharger Emouna sur AppleStore» Avantage de faire le trajet de nuit : tu ne vois rien. Donc tu ne te rends pas compte des villages arabes que tu traverses. Résultat : tu flippes quand un chat traverse la route. Ce qui équivaut à sursauter à la vue d’un sac plastique quand tu surfes à Gracestone juste sous un requin blanc. L’inconvénient, de nuit, c’est que ne connaissant pas la route, tu fais du 13 à l’heure. Machinalement, un peu comme si tu conduisais un Porsche Cayenne sur la route de Menton, tu actives la fermeture centralisée des portes «C’est plus prudent», comme si le pire qui pouvait t’arriver était un car-jacking.
« Pourquoi tu as été t’enterrer en Cisjordanie, y a même pas la mer » : «Territoires occupés», heu pardon… «Territoires disputés ». Toi tu te sens comme Jean-Marie Bigard en représentation chez les bonnes sœurs de Saint-Nicolas-du-Chardonnet… Tu enquilles les bévues devant la bonhommie de ton hôte qui ne s’offusque de rien. Devant ta 56ème excuse, il te coupe : «La plupart des gens nous traitent de fous, d’obstacles à la paix. Je n’ai pas les moyens d’être susceptible. D’ailleurs en parlant de moyens… Moi, financièrement, j’avais le choix : soit venir ici avec mes 7 enfants, soit me payer une 34 m² à Baka et les abandonner. Moi j’ai réfléchi, mais ma femme n’était pas d’accord. Tu connais les femmes, pour la paix du ménage, je n’ai pas insisté».
«Tu crois vraiment que ça vaut le coup de creuser la piscine ?» : ta question est logique. Toi, à Paris, t’es locataire, tu ne t’imagines pas installer un dressing sur mesure à tes frais. Bon, ok, lui il est proprio, mais à chaque rapprochement diplomatique entre israéliens et palestiniens, sa maison perd 20% de sa valeur. Quand tu lui dis «Mais un jour, tu devras filer les clés aux arabes, comme les juifs d’Algérie qui ont bradé leurs commerces aux Arabes», il te répond, « C’est pas pour demain !». Si tu argumentes «Dans le Goush Katif, les mecs disaient pareil. Les évacuations c’est comme les accidents de la route, tu crois que ça arrive qu’aux autres», il rétorque, « C’est Hachem qui s’occupe de tout ». Toi tu lui répondrais bien que dans ces conditions, faudrait prévenir John Kerry, mais il s’est levé subitement de son siège, car il a entendu un bruit suspect venant de la terrasse.
« T’es sûr que c’est judicieux de laisser entrer ce journaliste de l’Effet Papillon ?» : il a accepté de lui faire visiter son yishouv dans sa voiture blindée. Toi, tu as prévu de t’enfermer dans ta chambre pour éviter d’être dans le champ de vision de la caméra. À une semaine de négocier une promotion, ton boss appréciera moyen de t’apercevoir derrière un type qui fait de grands gestes en évoquant le droit divin, et qui répond à la question «Qu’avez-vous ressenti le jour de la mort de Sharon ?», par un « T’as déjà vu une famille expulsée envoyer des fleurs à l’enterrement de l’huissier qui a posé les scellés sur l’appartement ? C’est aussi con que de demander à Leonarda si elle a liké la page fan de Manuels Valls».
Source JewPop