L'alliance de fait entre la France, le Congrès américain et Israël met Obama et les colombes de la Maison-Blanche sous pression. « Vive la France ! » a tweeté le sénateur républicain John McCain ce week-end après la fermeté de Paris sur le dossier du nucléaire iranien. Les Français ont eu «le courage d’empêcher un mauvais accord avec l’Iran», a-t-il ajouté. Son vieux complice Lindsay Graham est tout aussi positif sur la volonté de Laurent Fabius de ne pas accepter « un accord de dupes » avec Téhéran. « Dieu merci pour la France…», a lancé l’élu de Caroline du Sud sur CNN, qui ne veut pas «d’une Corée du Nord au Proche-Orient ! ».
Cette francophilie en dit long sur les profondes réticences que suscite au Congrès la négociation engagée par l’Administration Obama avec Téhéran. Beaucoup d’élus, démocrates comme républicains, ont peur que les colombes de la Maison-Blanche, soucieuses d’éviter une confrontation armée, ne soient prêtes à accepter un accord mal ficelé, qui ne ferait que donner du temps à Téhéran pour construire la bombe, comme il y a dix ans. En ce sens, «ils sont en phase avec les préoccupations de la France, qui ne veut pas d’un accord au rabais», note une source diplomatique française. Une intéressante alliance des «faucons» se dessine de facto entre Paris, Jérusalem, le Congrès et les monarchies du Golfe, anxieuses d’un accord avec la Perse qui se ferait sur leur dos.
C’est donc sur ces multiples fronts extérieurs et intérieurs que la diplomatie américaine va devoir se mobiliser d’ici au 20 novembre, après un week-end qui a vu capoter l’accord espéré à Genève. L’Iran et le groupe 5 + 1 (qui comprend les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Russie, la Chine + l’Allemagne) continuent de parier sur un succès – Paris y compris. Mais le secrétaire d’État John Kerry, qui rentrait ce lundi à Washington avant d’être entendu sur la colline du Capitole, va devoir convaincre le Congrès de laisser du temps à la négociation, alors que les élus veulent voter dès cette semaine un nouveau train de sanctions.
Arrivée tardive
Aux États-Unis, divisés sur le dossier, certains sont tentés de taper sur la France et de lui faire porter la responsabilité de l’échec du week-end. Le blog de Josh Rogin, The Cable, s’est fait l’écho de propos de diplomates qui dénoncent l’immixtion supposément tardive de Paris dans la négociation et affirment que la fermeté française a pris Kerry par surprise. Mais cette description ne semble pas tenir la route, vu le dialogue étroit que Paris entretient avec Washington et les partenaires du groupe 5 + 1 depuis des mois. «Sous-entendre que la France s’est pointée au dernier moment, alors que nous sommes depuis dix ans en première ligne, c’est très étonnant», note une source française.
Les diplomates de l’Hexagone balaient aussi les arguments des mauvaises langues washingtoniennes qui affirment que Paris a voulu se placer auprès des Saoudiens dans l’espoir de leur vendre armes et centrales. «Il faut être sérieux, le nucléaire iranien est un sujet trop important pour qu’on raisonne à ce niveau: notre position est de principe, note la même source. La France ne voulait pas d’un accord précipité sans mécanismes clairs de vérification et a posé des conditions de bon sens, notamment sur l’arrêt de la construction de la centrale d’Arak et sur les limites du droit à l’enrichissement de l’Iran.» Nombre d’experts à Washington, comme Mark Dubowitz, de la Fondation de la défense des démocraties, font d’ailleurs l’éloge des «compétences techniques» uniques des négociateurs français sur le nucléaire iranien, jugeant qu’ils sont les seuls à faire le poids face aux roués négociateurs persans.
Les Français sont d’ailleurs persuadés que la Maison-Blanche est finalement plutôt contente du partage des rôles (entre bons flics américains et méchants flics français). Même si la fermeté française embarrasse l’Administration Obama, la faisant implicitement passer pour une équipe de mollassons imprévoyants. John Kerry a d’ailleurs évité tout coup de griffe à Paris, remerciant au contraire les Français et soulignant que les négociateurs du 5 + 1 avaient présenté une position unifiée aux Iraniens, qui avaient pris la responsabilité de la rejeter. «Nous ne sommes pas aveugles et je ne pense pas que nous soyons stupides», a-t-il dit sur NBC, précisant qu’il préférerait une absence d’accord à un mauvais accord.
Plus que les Français, ce sont les Israéliens et le Congrès qui réclament son attention. Prolongeant l’action déployée par le premier ministre Nétanyahou, son ministre de l’Économie, Naftali Bennett, arrive ce mardi aux États-Unis pour «mener campagne au Congrès» contre un «mauvais accord». Kerry va donc devoir convaincre le lobby pro-Israël omniprésent sur la Colline de geler tout vote sur les sanctions, le temps de la négociation.
L’Iran et l’Agence nucléaire de l’ONU se sont accordés lundi sur les vérifications que pourront conduire les inspecteurs de l’AIEA, lors de la visite à Téhéran du chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique, Yukiya Amano. Cette feuille de route prévoit une inspection de l’usine de production d’eau lourde d’Arak, à laquelle l’agence onusienne tente d’accéder depuis 2011. Yukiya Amano a affirmé qu’une visite de la base militaire iranienne de Parchin, soupçonnée d’avoir abrité des essais nucléaires, serait discutée après la finalisation de cet accord préliminaire. Téhéran refuse depuis 2012 à l’AIEA l’accès à des bâtiments suspects de cette base, en raison de sa nature militaire et parce que l’agence y a déjà conduit des inspections en 2005, qui n’avaient rien donné.
Source Le Figaro