mardi 12 novembre 2013

Jacob Kaplan, un rabbin dans l’enfer de Verdun


  
 
En 1914, les juifs de France se mobilisent pour la défense de leur patrie. Sur 180 000 citoyens français juifs, 36 000 (dont 14 000 venus d’Algérie) combattront sur le front, rejoints par 8500 juifs étrangers. Parmi ces soldats, un jeune séminariste dont le nom reste indissociable de l’histoire de la communauté juive française du XXème siècle, Jacob Kaplan.
 



Entré au séminaire israélite de la rue Vauquelin en 1913, Jacob Kaplan, né à Paris le 7 novembre 1895 dans une famille originaire de Minsk, en Lituanie, est mobilisé en décembre 1914, alors qu’il vient d’avoir 19 ans. Affecté au 128e régiment d’infanterie, il est désigné pour un régiment de marche, le 411e, formé en Bretagne et composé de parisiens, bretons et nordistes, au sein duquel il restera pratiquement toute la guerre. Dans « Justice pour la foi juive », un livre d’entretien avec Pierre Pierrard (Le Centurion, 1977), le Grand rabbin de France Jacob Kaplan raconte son expérience de poilu.
« J’étais parti comme fantassin et simple soldat. Au front, je me suis lié avec les hommes de mon escouade ; il s’était créé entre nous une véritable camaraderie que connaissent tous ceux qui ont fait la guerre. On a parlé, à ce propos, de la fraternité des tranchées : le mot n’est pas exagéré. Cette fraternité des tranchées, je l’ai connue » explique le Grand rabbin de France. « En septembre 1915, à la veille de l’offensive de Champagne, à ma grande surprise, je reçus une lettre du Grand rabbin de France, Albert Lévy, qui me proposait un poste d’aumônier israélite sur un navire-hôpital (ndlr : les aumôniers militaires étant assimilés au grade de capitaine). Nous manquions d’aumôniers israélites » poursuit Jacob Kaplan. « J’avais cependant une réponse à donner : réponse extrêmement grave, parce qu’elle engageait l’avenir, ma vie même. Il ne faisait pas l’ombre d’un doute que si j’acceptais, je serais beaucoup moins exposé qu’en restant au front comme combattant… ».



Face à cette proposition, le jeune soldat-séminariste se trouve confronté à un « véritable conflit de devoirs », selon ses propres termes. « D’un côté, comme aumônier, je savais que je pourrais rendre bien des services ; d’un autre côté, des considérations d’ordre moral m’obligeaient à rester au front. Je sentais profondément que, parce que Juif, je devais rester avec mes camarades : je ne voulais pas donner l’impression que je cherchais à me planquer » raconte Jacob Kaplan, qui décide alors de ne pas quitter le 411e RI. Blessé par un éclat d’obus en avril 1916 dans les tranchées de Champagne, il vivra l’enfer de Verdun avec ses camarades pendant seize mois, de mai 1916 à août 1917, au sein de ce régiment quatre fois cité à l’ordre de l’armée, tandis que lui-même recevra la croix de guerre et une citation à l’ordre du régiment pour ses actes de bravoure.
L’histoire de ce jeune soldat juif s’arrêterait là si une question fondamentale – et sa réponse particulièrement extraordinaire en ces circonstances – n’était posée par Pierre Pierrard, professeur d’histoire contemporaine à l’Institut catholique de Paris : « Compte-tenu de votre qualité de Juif religieux, est-ce que vous avez été dans la nécessité de tuer ? ». Le Grand rabbin de France explique : « à un certain moment, je suis devenu agent de liaison, et je préférais y rester. Car, en courant les mêmes risques que mes camarades, je n’avais pas à tirer, je n’avais pas à causer la mort. Je ne pouvais pas supporter l’idée que moi, futur rabbin, je sois responsable de la mort d’un homme, fût-il mon ennemi ».



La suite de l’extraordinaire parcours de Jacob Kaplan est connue. Figure emblématique du judaïsme français du XXème siècle, il accepta avec courage la charge de grand rabbin de France par intérim pendant l’Occupation, eut un rôle essentiel dans l’amélioration des relations judéo-chrétiennes, veilla à l’intégration des rapatriés juifs d’Afrique du Nord en France, intervint publiquement avec force chaque fois que la communauté juive ou l’image d’Israël fut mise en cause, et surtout, réalisa autour de sa personne l’unanimité des différentes tendances du judaïsme français, sans exclusion aucune et dans le respect de toutes les diversités. Son expérience de la Grande guerre, comme la suite de sa vie, reste exemplaire de ce que signifie « Être juif et français ».

Source
JewPop