dimanche 20 octobre 2013

Une start-up israélienne transforme les eaux usées en biodiesel


Encore plus vitale que le pétrole, l’eau devient une denrée rare qui n’est pas repartie équitablement à la surface de la planète. Israël cumule les inconvénients : voisinage géopolitique instable et climatiquement pauvre en eau de pluie. De plus, Israël s’est développé sur son agriculture, et a vite compris que la gestion de l’eau serait vitale pour survivre dans cet environnement. Aujourd’hui, Israël est le premier élève au monde en recyclant 80% des eaux usée, l’Espagne arrive en seconde position avec seulement 20% d’eaux usées recyclées. À la pointe de l’innovation dans le domaine de l’eau, AQUANOS, une start-up israélienne, a développé le procédé de recyclage des eaux usées du futur.


Un peu d’histoire
Il y a 200 ans, il n’y avait aucun système de traitement des eaux usées. Ces dernières étaient simplement déversées dans le fleuve le plus proche. D’une ville à l’autre, l’eau se purifiait d’elle même, naturellement, en utilisant l’oxygène de l’air que nous respirons. Seulement voilà, à l’époque, le niveau d’industrialisation et la taille des villes étaient très limités, et donc le niveau de pollution des eaux très faible. Pour se donner une idée, aux endroits les moins industrialisés de la planète, 25 litres d’eau usées sont produits par habitant et par jour, mais ce chiffre monte à 250 litres aux États-Unis par exemple. Si vous considérez que 1 litre d’eau usée contamine 8 litres d’eau propre, on atteint aujourd’hui des montants gigantesques d’eau à traiter.
D’après la légende, c’est à la Chambre des Lords, en Angleterre, considéré à l’époque comme la plus grande puissance mondiale, qu’apparurent des odeurs nauséabondes depuis les eaux du fleuve voisin. Les pouvoirs publiques prennent alors conscience qu’ils doivent faire face à un problème urgent : il faut traiter les eaux, ne serait-ce que pour diminuer les odeurs. Mais d’ou proviennent-elles? En fait, les bactéries, naturellement présentes dans l’eau, qui sont à l’origine du « nettoyage », ne sont plus capables de traiter ces eaux car il y a trop de pollution est pas assez d’oxygène. Les eaux ne sont qu’en partie purifiées et une odeur nauséabonde s’en dégage. Ils décident donc de creuser un grand trou (appelé lagune) ou ils placeront les eaux usées pour que le même processus naturel de purification ait lieu, mais loin des villes. Ainsi naquit la première usine de retraitement d’eau au monde.

Un autre problème
Les algues sont également présentes naturellement dans toutes les eaux contenant des minéraux. Les algues se nourrissent de CO2, de minéraux (phosphore et azote) et de soleil. Les algues se développent donc à la surface car elles ont besoin de lumière, et produisent de l’oxygène par photosynthèse (comme les plantes). Les algues et les bactéries forment donc un couple: l’un a besoin d’oxygène pour grandir et produit du CO2 (les bactéries), tandis que l’autre a besoin de CO2 et produit de l’oxygène (les algues).
Donc, théoriquement, tout est parfait. Pas exactement ! Lorsque l’eau devient trop sale (chargée en bactéries), les algues se multiplient au point d’occuper toute la surface et alors le soleil ne passe plus. Les algues ont donc plus de difficulté à grandir et ne peuvent pas produire assez d’oxygène pour que les bactéries agissent correctement !
La technologie classique d’aujourd’hui consiste donc à injecter de l’oxygène dans l’eau pour produire plus de micro-organismes (bactéries) et d’enlever de temps en temps les algues de la surface pour laisser le soleil pénétrer dans l’eau et ainsi maximiser les performances du couple bactéries – algues.
En général, les micro-organismes sont en suspension dans l’eau, et il faut ensuite filtrer la biomasse issue de l’oxydation des molécules organiques contenues dans les eaux usées. De plus, l’air ne contient que 20% d’oxygène, et le procédé a lui-même un rendement de 20%, ce qui fait une efficacité totale de 5%. Pour améliorer ce rendement, on augmente la quantité d’oxygène injectée dans le bassin avec d’énormes souffleurs très consommateurs d’énergie électrique.

Du container à l’usine pilote
En 2011, Udi Leshem , un ingénieur en biotechnologie environnementale, rencontre Remy Blanc , le manager de la plus grande usine de retraitement d’eaux usées d’Israël.
Ils se lancent dans le défi de traiter les eaux usées sans dépenser autant d’énergie, mais tout simplement en imitant la nature. Ils fondent alors la start-up AQUANOS avec des fonds personnels. Ils démarrent leurs tests à Ra’anana, au centre d’Israël, avec une micro usine et leurs bureaux dans un container. Grâce à leurs réseaux, ils recrutent Gilad Horn , un autre ingénieur environnemental qui travaillait dans une boite dédiée à la désalinisation des eaux.

Une idée toute simple
Puisqu’il existe un point où les algues et les bactéries ne peuvent plus fonctionner ensemble, sans utiliser d’énormes quantités d’énergie, serait-il possible de séparer les 2 processus dans 2 endroits différents ?
C’est l’idée sur laquelle se base la start-up israélienne AQUANOS. Le premier bac est celui des micro-organismes et permet d’éliminer les composés organiques grâce à l’action des bactéries. Cette technologie utilise un film (biofilm ) qui fixe les bactéries et la biomasse créée lors de la réaction pour améliorer la purification.

L’eau qui sort du premier bac est ensuite introduite dans le second bac.
Cette eau ne contient plus de composés organiques mais est pleine de composés soufrés et azotés, qui vont servir de nourriture aux algues. Avec la lumière du soleil, les algues peuvent grandir et produire de l’oxygène. Apres le second bac, l’eau ne contient plus de composés organiques ni de phosphore ou azote, mais elle est extrêmement riche en oxygène (grâce à l’action des algues). Donc une partie va retourner alimenter le premier bac pour fournir de l’oxygène aux bactéries.

Des possibilités infinies
Le but principal est de purifier les eaux usées en utilisant un minimum d’énergie. Mais, en utilisant la technologie d’AQUANOS, les produits issus des réactions chimiques mises en jeu peuvent aussi être réutilisés !
Le gaz carbonique dégagé par les bactéries peut être réinjecté dans le second bac pour faire grandir les algues.
Les plus grosses algues peuvent aussi être recueillies et placées dans un bac de décantation pour ensuite produire du méthane, gaz qui permettra d’alimenter un générateur d’électricité. Etant donné que les algues ne sont rien d’autre que de la biomasse, elles peuvent également être récoltées pour être transformées en biodiesel, en fertilisants ou encore en nourriture pour animaux.

Le futur
Deux années après leur premiers essai à Raanana, AQUANOS attire un gros investisseur qui leur a permis de construire 2 unités pilotes sur le site de la principale usine de traitement d’eau d’Israël, dans le complexe de traitement des eaux usées Igudan à Rishon LeZion au sud de Tel-Aviv. Le complexe Igudan souhaitait créer un incubateur et a sélectionné 2 start-ups pour des projets de traitements des eaux usées, dont AQUANOS.
Aujourd’hui AQUANOS compte 4 employés, et les unités pilotes ont été mises en route en Juillet 2013. Le brevet est en cours de validation et AQUANOS recherche des fonds pour développer son activité en Afrique et en Inde, car le système a besoin de beaucoup d’espace et de beaucoup de soleil.

Le secret Israélien
Les performances d’un petit pays comme Israël concernant la problématique de l’eau sont facilement explicables par une combinaison de plusieurs facteurs d’après Udi Leshem.
Le facteur culturel : Israël est un jeune pays et « les premiers arrivants étaient pour la plupart des réfugiés : ils n’avaient rien et, dés la première minute, ils ont dû se battre et s’adapter, ou mourir. Ils ont vite compris que sans changements ils ne survivraient pas ». Ceci fut particulièrement vrai pour l’eau, étant donné qu’Israël fut créé en s’appuyant fortement sur son agriculture dans un pays désertique encerclé de voisins hostiles. L’innovation en Israël n’est pas un choix, mais bien une obligation. La peur des risques liés à l’entrepreneuriat a donc moins de poids dans les décisions, car entreprendre est une nécessité.
D’autre part, il n’y avait aucune structure systémique rigide : « En Europe, si vous étudiez la chimie, vous entrez ensuite dans un circuit, une carrière où tout est organisé et structuré » affirme Udi Leshem. En Israël, il a donc fallu créer les structures et les israéliens ont développé une mentalité qui s’adapte aux constants changements apportés à cette structure naissante.
On peut également compte sur notre « très haut niveau d’éducation » Sans oublier l’armée, qui est un facteur très important dans la formation des jeunes mais également un réseau de collaborateurs potentiels très puissant.
Lorsqu’on lui parle de limitations à l’innovation, Udi Leshem répond simplement que « l’innovation en Israël est illimitée, c’est un petit pays mais qui regarde constamment vers l’extérieur, un marché immense; 7 milliards de personnes ».
Pour conclure, Udi Leshem nous confie « qu’Israël est entré dans un cercle vicieux dans lequel les jeunes entrepreneurs regardent leurs aînés qui ont réussi » Puis il conclut en affirmant « Israël est un des meilleurs endroits au monde pour immigrer en ce moment et travailler dans les technologies innovantes ».
La semaine prochaine, Tel Aviv accueillera le WATEC 2013 , salon international sur des technologies de l’eau. AQUANOS sera, comme une multitude d’autres Start-Ups Israéliennes, au premier plan.

Source SiliconWadi