Professeur au département des relations internationales de l'Université hébraïque de Jérusalem, l'économiste Alfred Tovias analyse les ingrédients du «modèle » économique israélien et ses principaux défis, à l'occasion du soixantième-cinquième anniversaire de l'Indépendance de l'Etat hébreu.
Quel sont les ressorts du « miracle » économique israélien?«L'économie israélienne s'est tournée vers l'extérieur dans les années 70 et 80, en signant des accords de libre-échange avec l'Union européenne et les Etats-Unis. Le pays s'est alors spécialisé sur des niches lui offrant un avantage concurrentiel. Il a commencé par exporter des produits chimiques, des produits agricoles issus de l'innovation agronomique, ainsi que des médicaments génériques. L'industrie high tech dont on parle beaucoup aujourd'hui n'est pas tombée du ciel. L'armée israélienne a eu besoin d'être en position de leadership technologique de façon permanente. Son secteur high tech est un dérivé des industries de la défense. Et puis il y a le facteur humain: le pays a bénéficié de l'apport d'un million d'immigrants de l'ex-Union soviétique principalement tournés vers l'électronique. Les Israéliens sont par ailleurs très flexibles, agressifs sur le plan commercial, et ils considèrent l'échec comme quelque chose de normal dans la vie d'un entrepreneur. Tout cela confère un avantage certain. Sur le plan conjoncturel, l'Etat hébreu a bien résisté à la dernière récession mondiale... Dans les années 80, Israël a connu un sérieux épisode de stagflation. Le pays a appris à ses dépens qu'une mauvaise gestion de l'économie se paye très cher. Il s'est alors soumis à une stricte discipline budgétaire, a mené des réformes de libéralisation sous la direction de plusieurs ministres des finances. L'Etat hébreu a aussi eu la chance d'être pris en main par des gouverneurs de banque centrale de stature internationale comme Jacob Frenkel et Stanley Fischer. Au total, la crise de 2007 est survenue alors que le pays était en bonne posture. Contrairement à la Grèce ou l'Espagne, Israël avait déjà « fait ses devoirs » sur le plan macro-économique... Enfin, le pays a eu la sagesse de diversifier très tôt ses marchés export. Israël vendait déjà à l'Inde et à la Chine avant que le monde occidental se rue vers les Bric.
Ces dernières années, l'économie israélienne semble particulièrement résiliente aux guerres....Oui et c'est aussi inquiétant d'une certaine façon, car les Israéliens tendent à oublier quels pourraient être les bénéfices économiques de la paix avec les Palestiniens... Ce qui est clair, c'est que le pays arrive à maintenir sa sécurité en déployant moins d'efforts, du fait des avancées technologiques, de la construction du Mur de sécurité etc. Le pays consacre près de 10% de son budget national à sa défense, trois fois moins que dans les années 70.
Les découvertes de gaz naturel vont-elles modifier le « modèle de business »?Il s'agit d'une bonne nouvelle puisque le pays n'aura plus à se soucier de savoir comment il payera sa facture énergétique. Mais en même temps, c'est préoccupant car l'industrie pétrolière et gazière sont des secteurs peu consommateurs de main d'oeuvre. Il faudra faire en sorte que ces trouvailles bénéficient à l'ensemble de la population...
Israël est à la fois confronté à un phénomène de pauvreté et de paupérisation de ses classes moyennes:
Comment en est-on arrivé là?Le développement d'une économie libérale à outrance, fondée en partie sur le secteur high-tech, a donné lieu à des inégalités socio-économiques importantes. Les ultra-orthodoxes et les arabes israéliens, qui ne participent pas ou peu au marché du travail, sont devenus plus pauvres en termes relatifs. Un autre facteur tient à la politique fiscale: l'impôt est devenu moins progressif. On a notamment diminué la pression fiscale pour lutter contre la fuite des cerveaux... Tout cela s'est fait au détriment du bien-être. Les classes moyennes qui occupent des postes à faible productivité, et subissent de plein fouet la hausse du coût de la vie, ne peuvent pas prétendre à de meilleurs salaires. Au final, le « modèle » économique israélien comporte à la fois un élément génial et un élément dysfonctionnel. Il ne peut en aucun cas être dupliqué ailleurs ».
Source Les Echos