mercredi 13 mars 2013

Asaf Avidan, la voix surnaturelle



Rencontre à Paris avec Asaf Avidan, connu chez nous pour le remix « One day ». Son concert à l’AB est depuis longtemps complet.

Asaf Avidan, c’est cet artiste né à Jérusalem il y a bientôt 33 ans, actif dans le milieu de la musique depuis 2006, qui a vécu une belle histoire par l’intermédiaire d’un jeune DJ allemand, Wankelmut.
C’est fin 2011 que ce dernier réalise « One day », le remix d’un titre intitulé « Reckoning Song », paru sur le premier album paru en 2008 d’Asaf Avidan. Fin 2012, « One day/Reckoning Song » est un tube un peu partout en Europe. Et du coup, on s’intéresse à cette voix particulière, asexuée, croisement entre Janis Joplin, Robert Plant et Jimmy Scott. Le plus amusant, c’est que l’album The Reckoning, paru chez Sony, ressort aujourd’hui, avec les deux versions (l’originale et le remix de Wankelmut). Telmavar, le label d’Asaf, est dorénavant distribué par Universal qui publie ce mois-ci Different Pulses, le quatrième album d’Avidan. Sur lequel, bien sûr, ne se trouve pas le tube qui fit du chanteur israélien une star internationale. Nous l’avons rencontré, dans le Seven Hotel branché du cinquième arrondissement, au lendemain de sa prestation au Midem de Cannes.

Star en Israël, vous êtes déjà connu en France…

Cela fait trois ans et demi que je travaille sur la France. Je me suis souvent produit à Paris. D’abord au Nouveau Casino devant 70 personnes. C’était énorme pour moi à l’époque. Puis la Maroquinerie, le Trianon, la Cigale et maintenant l’Olympia. Je me sens bien accepté ici. À Bruxelles, je me suis produit une fois il y a longtemps, tout au début, avec les Mojos.

À quel âge vous êtes-vous rendu compte que vous aviez une voix spéciale ?

Juste quand j’ai commencé à faire de la musique, il y a six ans et demi. Ma mère m’a acheté une guitare quand j’avais 13-14 ans mais je n’ai jamais appris à en jouer, je l’ai laissée dans l’armoire. Il a fallu que je passe à travers des moments difficiles pour que je me mette à écrire des chansons. La musique pour moi, ce n’était pas une question de voix mais de besoin de raconter quelque chose. La première fois que je me suis produit sur scène, dans un bar, devant sept personnes qui n’en avaient rien à cirer, j’ai commencé à chanter et là, les gens se sont tus et m’ont écouté. En raison de la dissonance entre ma façon de paraître et celle de chanter. Là, j’ai compris qu’il y avait une différence.

Votre premier métier a été animateur graphique dans le cinéma…

J’ai réalisé quelques courts-métrages. J’ai gagné un prix en Israël, je n’étais pas trop mauvais. J’ai travaillé dans un studio, j’ai fait des pubs… Je ne regrette pas cette période de ma vie car il n’y a pas une grande différence. Les outils sont différents mais le but reste le même : exprimer ses sentiments. Je ne réalise pas mes clips car faire les deux prend trop de temps. Un film animé de cinq minutes prend huit mois… Peut-être que plus tard, au moment de me retirer, j’aurai mon propre studio…

Vous êtes né à Jérusalem avant de vous installer à Tel-Aviv pour y travailler. En 2006, en plein chagrin d’amour, vous plaquez tout et rentrez à Jérusalem pour y écrire des chansons…

Jérusalem et Tel-Aviv ne sont qu’à 40 minutes l’une de l’autre mais c’est comme le noir et le blanc. Le climat est différent. Jérusalem n’est pas une plage, c’est dans la montagne, près du désert, il y fait plus froid… C’est religieux, lourd. À ce moment-là, après la rupture, toute ma vie foutait le camp. En pleine dépression, à écouter Leonard Cohen, Jérusalem est bien pour ça. Je vivais dans la maison d’un ami, j’avais quitté mon appart de Tel-Aviv. Ça m’a aidé à surfer sur la tristesse, la douleur, et à écrire ces chansons. Ça m’a permis de me trouver, de trouver ma voie.

Votre précédent album était un disque concept au sujet de l’immortalité. Vous êtes quelqu’un de spirituel ?

Pas spécialement, sinon préoccupé par la mort comme beaucoup. Je ne suis pas du tout religieux. J’aime la Bible mais enfant déjà, je n’étais pas croyant. Mon père vient d’un kibboutz (l’endroit le moins religieux qui soit, plutôt communiste). Et ma mère vient d’une famille religieuse mais n’est pas croyante. On respecte les traditions juives, c’est tout. Je n’aime pas les mots religieux et spirituels. C’est plus une recherche philosophique, afin de mieux me comprendre. Je n’ai pas de réponses… Pourquoi suis-je ici ? Je ne le sais pas…

Votre voix n’est pas seule à faire la différence. Votre musique aussi est originale. Difficile de vous comparer à d’autres…

Je suis heureux que vous disiez cela car d’habitude on me demande en quoi ma musique est israélienne. Israël n’a pas d’identité musicale. C’est un jeune pays constitué d’émigrants principalement. Ma musique ne se conforme pas à un genre. Ça ne s’entend pas sur le disque mais les artistes que j’ai pu écouter par le passé sont Frank Sinatra et Lee Hazlewood. Lui, avec sa façon d’arranger les cordes, a eu une grande influence sur moi. Nigel Godrich aussi… On a fait ce disque à deux, avec le producteur Tamir Muskat (cfr Balkan Beat Box). Et lui a une influence plus balkanique. L’électro est venu du fait que je n’avais plus les Mojos avec moi.

Vous avez vécu en Jamaïque mais le reggae n’a eu aucune influence sur votre musique…

Non, j’étais trop jeune. J’y ai vécu de 7 à 11 ans. J’ai des souvenirs bien sûr. Mais à l’époque, je n’étais pas connecté musique. J’ai commencé à m’y intéresser à 12 ans avec l’arrivée de Nirvana et Pearl Jam. Puis j’ai découvert les trucs d’avant comme Led Zeppelin et le blues.

Vous comptez vous installer à Paris ?

Mon manager, oui car il a une petite amie française. Mon marché principal est l’Europe, avec la France comme centre, vu que c’est là que se trouvent mon label et mon éditeur. Tout m’attire ici. J’y pense sérieusement. Je viens de signer un nouveau bail d’un an de mon appart à Tel-Aviv, donc je vais y rester encore un peu. Ça dépendra aussi des élections. Je ne veux pas non plus laisser Israël entre les mains des extrémistes.

Comment expliquez-vous que la gauche israélienne soit aussi impuissante ?

Je sais, c’est triste. Mais les Etats-Unis ont connu ça avec Bush, l’Italie avec Berlusconi et même la France avant Hollande. Les partis conservateurs sont toujours très forts en Israël mais aux dernières élections, Netanyahou a tout de même reçu un avertissement. Le débat a porté sur les taxes plus que sur la question palestinienne. C’est effrayant. Je ne suis pas un sioniste. Parce que mes parents sont diplomates, que j’ai beaucoup voyagé… Je pense que c’est ma maison malgré tout.

Avez-vous déjà souffert en tant qu’artiste de la mauvaise image d’Israël dans le monde ?

Plus j’aurai du succès, plus ça deviendra un problème. Même si je dis toujours que je ne suis pas un artiste israélien mais un artiste venant d’Israël. C’est très différent. Il existe des artistes folk retournant aux sources de la judaïté mais ce n’est pas mon truc. J’ai appris l’anglais très tôt, j’ai été élevé dans une école internationale en Jamaïque… Je lisais des livres en anglais… Je me sens plus à l’aise avec l’anglais que l’hébreu. Je chante les questions universelles : je pourrais venir d’Iran ou de n’importe où, ça ne changerait rien à mes chansons.

Vous avez un pouvoir, une star que les gens écoutent

J’ai essayé, aux dernières élections municipales, quand j’ai commencé à être connu. C’était à Jérusalem. Pour éviter que la ville ne devienne plus religieuse et extrémiste. Ça a marché. Pas uniquement grâce à nous, bien sûr. Mais rien n’a changé. Je crois en la politique, pas dans les politiciens. Je ne suis pas Bob Marley ni Bob Dylan. Ou Rage Against The Machine. Je n’écris pas sur des sujets politiques. J’estime que je n’ai pas le droit en tant qu’artiste d’imposer mes opinions politiques à mon audience. Quand vous allez acheter quelque chose dans un magasin, vous ne vous attendez pas que le vendeur commence à vous donner son avis sur la situation politique.

Vous êtes dans une situation étrange, très connu grâce à un remix d’une vieille chanson…

Oui. C’est une situation ambivalente. Je suis content du succès du remix qui m’a fait connaître. Et permettra à mon nouveau matériel de se faire connaître. J’espère traduire ce succès aujourd’hui avec les nouvelles chansons.

Source Lesoir.be