mercredi 2 janvier 2013

Les contradictions du Mossad



La poursuite des criminels de guerre nazis n’a pas été la mission prioritaire du Mossad.

Les experts des services secrets ont longtemps spéculé sur la responsabilité du Mossad dans les tentatives d’élimination d’Aloïs Brunner, secrétaire et bras droit d’Adolf Eichmann. Dans le documentaire du cinéaste Yarin Kimor, diffusé récemment sur la chaîne 1, Isaac Nofi a confirmé que le Mossad poursuivait bel et bien ce criminel de guerre. Selon Hofi, le Premier ministre de l’époque Menahem Begin avait autorisé la mission. Dans le documentaire, Hofi décrit comment le Mossad a rassemblé les informations sur Brunner. 

Des détails sur sa vie, ses habitudes, sa manière d’agir et de penser. Tout a été analysé avec précision. Les agents ont ainsi appris que Brunner, réfugié à Damas après la défaite nazie, était un fervent adepte de la médecine par les plantes et se faisait régulièrement envoyer des livres sur le sujet par une entreprise autrichienne. « C’est ainsi qu’un jour, Brunner a reçu un paquet bourré d’explosifs de la ‘Société autrichienne de médecine naturelle.’ Nous avons fait de notre mieux sans parvenir à le supprimer », raconte Hofi. 

Brunner a perdu plusieurs doigts mais, emmené d’urgence à l’hôpital, il a eu la vie sauve. 


Un SS de 19 ans 

Né en 1912 en Autriche, Brunner avait 19 ans lorsqu’il a rejoint les forces SS en 1931. Après avoir envoyé 56 000 Juifs autrichiens dans les camps de concentration, il déporte 43 000 Juifs de Salonique et, en à peine deux mois, 23 000 Juifs français sont envoyés à la mort, dont 340 orphelins juifs. Ce, à peine quelques semaines avant la libération de la France. Adolf Eichmann, dans ses mémoires, en parlait comme de son « meilleur homme ». Les survivants des camps sous son administration le décrivent comme une « brute sadique ». Les témoignages ne manquent pas : il forçait des Juifs à courir pendant des heures puis quand ils n’en pouvaient plus, il ordonnait qu’ils soient battus jusqu’à ce qu’ils tombent de fatigue. Dans d’autres circonstances, il demandait de tuer de sang-froid et publiquement. Un témoin décrit comment il a forcé neuf Juifs nus de se tenir au garde-à-vous durant 12 heures consécutives. En même temps, ils recevaient des coups des gardes SS. 



Après la guerre, Brunner est un des criminels de guerre les plus recherchés par les Alliés. A son arrestation, il est emprisonné dans une prison alliée en cachant sa véritable identité. Un fois libéré, il retourne en Autriche où il prend l’identité d’un ami, Georg Fischer, qui lui ressemble. Il s’enfuit alors en Egypte. Là, il rencontre le mufti Haj Amin al- Husseini, dont il avait fait la connaissance pendant la guerre, au cours d’une réunion avec Hitler. Husseini le convainc de se réfugier en Syrie, qui était un endroit plus sûr. Brunner suit le conseil et s’installe à Damas comme homme d’affaires allemand. Il entretient alors des relations avec les membres de l’ambassade allemande en Syrie. Ceux-ci connaissent probablement sa véritable identité et l’aident à se cacher. 


Après Eichmann, Brunner ? 

En 1950, juste après que le Mossad a kidnappé Eichmann en Argentine, Brunner est arrêté par la police syrienne pour trafic de drogues. Pour établir son innocence, il avoue sa véritable identité. Les autorités syriennes le relâchent alors et l’aident dans son plan de libérer Eichmann, alors emprisonné en Israël. Plan qui n’a jamais été mis à exécution. Selon les services d’intelligence israéliens et allemands, Brunner travaillait pour la police syrienne. En lui apprenant les différentes techniques d’interrogation et de torture. En échange, les autorités syriennes le protégeaient par des gardes du corps. Malgré cela, au moins deux autres tentatives d’élimination sont perpétrées. La première sous la forme d’une lettre piégée en septembre 1961. 



L’explosion tue deux employés des postes et blesse Brunner, rendu aveugle d’un oeil. Non revendiquée, l’action semble avoir été organisée par le Mossad. Les années suivantes, plusieurs pays, dont Israël, réclament son arrestation. Mais la Syrie, qui ne reconnaîtra jamais publiquement la présence de Brunner sur son territoire, ignore ces demandes. A deux reprises, Bruner est condamné par contumace en France à la prison à vie. En 1980, Brunner sort de l’anonymat par le biais des médias américains et allemands. Dans ces entretiens, il se montre toujours adepte de l’idéologie nazie et déclare sa haine de la « race juive » et traite les Juifs de « fils du Diable » 


Une mort mystérieuse 

Aucune nouvelle officielle du sort de Brunner mais, selon Efraïm Zuroff, directeur du centre Simon Wiesenthal à Jérusalem, il serait mort il y a quatre ans. D’après un ancien officier de la BND, l’agence des services secrets allemands, Brunner aurait disparu en Syrie. Il y a environ un an, la BND a détruit des documents des années 1990 qui concernaient Brunner. Il semble que ces documents prouvaient que Brunner avait travaillé pour les services secrets allemands après la guerre et aurait même reçu la protection de plusieurs officiels allemands des différents gouvernements d’après-guerre. En fait, la confirmation de Hofi sur les tentatives d’élimination de Brunner est surprenante. Tout d’abord, une fois n’est pas coutume, le Mossad reconnaît avoir échoué dans ses missions. 

Deuxièmement, alors que l’on croyait que la poursuite des criminels nazis avait pris fin dans les années 1960, il semble qu’elle ait continué jusqu’aux années 1980. La vérité, on s’en doute, est un peu plus complexe. D’un côté, et contrairement au mythe qui a suivi la capture d’Adolf Eichmann en 1960, la poursuite des criminels de guerre nazis n’était une priorité ni pour Isser Harel, directeur du Mossad de l’époque, ni pour son successeur Meïr Amit. Zvi Aharoni, décédé en mai 2012 à l’âge de 91 ans, est l’un des quatre agents secrets israéliens qui a capturé Eichmann. Il confirme : « La poursuite des criminels nazis n’était pas un devoir pour les dirigeants du Mossad. » D’ailleurs, si Harel a été encensé à l’enlèvement d’Eichmann, il n’a pas vraiment cherché à poursuivre Josef Mengele, « l’ange de la mort » d’Auschwitz. 


 
Une priorité ? Sûrement pas ! 

Amit, qui a remplacé Harel à la tête du Mossad, a, sans l’encourager, autorisé la poursuite de criminels nazis. C’est durant cette période, en 1965, que l’unité Césarée dirigée par Yossef Yariv, tuera Herbert Curkus, connu sous le nom du « boucher de Riga », à Montevideo en Uruguay. Curkus était directement impliqué dans les meurtres de Juifs de Latvie pendant la Shoah. 



Plus tard, en avril 1967, deux agents du Mossad de l’unité Keshet sont arrêtés par la police allemande alors qu’ils tentent de pénétrer dans l’appartement de la femme d’Heinrich Muller, jadis à la tête de la Gestapo. Ces agents cherchaient des indices sur l’endroit où il se cacherait. Ils seront relâchés après trois mois, grâce à l’intervention du Premier ministre de l’époque Lévi Eschkol. A côté de ces actions, qui déjà ne témoignent pas d’une véritable politique pour la poursuite des criminels nazis, le Mossad n’a pas hésité à utiliser les services d’officiers SS pour se renseigner sur les services secrets des pays arabes. On ne peut qu’y voir un opportunisme effronté, un acte immoral et un total manque de conscience historique. L’exemple le plus flagrant est celui du colonel Otto Skorzeny, des Waffen SS (qui avait sauvé Benito Mussolini de la captivité).



En 1962, Rafi Eitan, dirigeant des services de sécurité du Shin Bet et plus tard du Mossad, et Abraham Ahitouv, futur dirigeant du Shin Bet, ont rencontré Skorzeny à Madrid. Ce dernier leur a fourni une liste de scientifiques, anciens nazis, qui travaillaient pour le gouvernement égyptien. Le Mossad essayera d’en supprimer quelques-uns et menaça les familles des autres. 

Pragmatisme ou vengeance ? 

La dichotomie entre la poursuite et la collaboration avec des criminels nazis est symptomatique de l’attitude schizophrénique du Mossad sur cette question. D’un côté, il y a le poids de l’histoire et le devoir qui en découle et de l’autre des questions prioritaires, plus pragmatiques et urgentes sur la sécurité du pays. 

  Source JerusalemPost