mercredi 14 novembre 2012
Le Hezbollah amplifie sa propre guerre en Syrie
Voilà des mois que la milice chiite soutenue par Téhéran et partie prenante du gouvernement de Beyrouth tente de prendre le contrôle d’une cinquantaine de bourgs et villages syriens à prédominance chiite pour les arracher au contrôle des opposants sunnites au régime Assad en espérant en faire plus tard un mini État chiite-alaouite. Lequel, en cas d’éclatement ethnique de la Syrie, serait rattaché aux zones chiites du Liban…
On savait déjà que les commandos les plus aguerris du Hezbollah multipliaient depuis mars 2011 leurs interventions meurtrières contre les opposants au régime d’Assad : soit en tirant, eux aussi embusqués aux côtés des tueurs spécialisés d’Assad, sur les cortèges de manifestants civils dans les rues des principales villes sunnites de la Syrie ; soit en intervenant avec l’infanterie blindée et les chars de l’armée officielle dans les localités des zones sud de la Syrie.
Censées défendre les intérêts stratégiques bien compris du régime des mollahs de Téhéran et de son protégé Bachar Assad en prise à une opposition armée sunnite de plus en plus efficace, ces actions du Hezbollah se voient aujourd’hui doublées d’un autre type d’interventions en Syrie même, elles aussi commanditées par Téhéran : les incessantes tentatives - effectuées depuis des mois - de prise de contrôle de plus d’une cinquantaine de villages syriens situés le long de l’axe nord-est de la frontière montagneuse avec le Liban et tous à majorité chiite. Des bourgs que les hommes du Sheikh Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah - qui vient d’ailleurs de perdre lui-même un neveu dans ces combats -, disent vouloir « protéger » contre les évidents progrès militaires réalisés sur le terrain par l’Armée Libre de Syrie (ALS) - laquelle fédère les opposants sunnites au régime Assad.
C’est, entre autres, ce qui explique la multiplication, ces derniers temps, des incidents armés au Liban même entre miliciens du Hezbollah et factions sunnites anti-Assad, tout comme les tentatives d’enlèvements plus ou moins réussies par l’ALS de « pèlerins chiites » en Syrie…
Une frontière floue dont le contour n’a jamais été finalisé
Profitant du fait que les tenants de la Grande Syrie - artificiellement créée en 1916 par la France et la Grande-Bretagne lors des accords Sieyès-Picot - ont toujours considéré le Liban comme l’une de leurs provinces, et du fait encore plus aggravant que le tracé de cette frontière entre le Liban et la Syrie n’a jamais été finalisé (ni en 1920 au moment de la création du protectorat par la France du Grand Liban, ni plus tard lors des tentatives effectuées jusqu’en 1934 par Paris et Londres), le Hezbollah profite de la situation d’anarchie engendrée par la guerre civile syrienne actuelle pour prendre le contrôle militaire, voire annexer purement et simplement un à un ces villages chiites frontaliers - lesquels servent depuis longtemps aux incessants trafics d’armes iraniennes (dont de nombreux missiles ensuite pointés sur Israël) destinées à la milice chiite en provenance de Syrie.
Deux autres faits illustrent cet encastrement ethno-politique du tracé frontalier : quelque 460 km² du territoire libanais sont de facto occupés depuis des années par la Syrie, pendant que l’ALS elle-même possède des camps d’entraînement à l’est du Liban !
Le Hezbollah semble donc être en train d’édifier un corridor de 20 km de profondeur le long de l’enclave alaouite (pro-Assad) du côté syrien de la frontière, afin notamment de lui conserver l’accès stratégique au bassin hydraulique de la rivière Oronte et en vue de créer plus tard - au cas où la Syrie d’Assad éclaterait en quatre principautés (l’une sunnite, l’autre alaouite, l’autre kurde et la dernière druze) un miniÉtat chiito-alaouite placé sous sa protection. Lequel serait rattaché, tant que faire se peut dans la confusion qui sera engendrée par ce démantèlement, aux zones chiites que la milice de Nasrallah contrôle déjà au Liban même…
Comme l’ont fait justement remarquer nombre d’experts des Affaires libano-syriennes, ce nouvel axe stratégique du Hezbollah inspiré par Téhéran, mais aussi par ses craintes assez fondées sur son propre devenir en cas de chute du régime d’Assad, présente de nombreux risques quant au devenir de sa propre influence au Liban : en exportant ainsi en Syrie leur savoir-faire politico-militaire pour défendre « l’intégrité » des Chiites - à leurs yeux de plus en plus menacée dans cette région par le regain d’influence des Frères musulmans sunnites -, les hommes de Nasrallah sont en train de « baisser les masques ».
« Après que le Hezbollah a agi pendant des années pour affermir son influence au Liban, note l’ex-colonel (de réserve) dans Tsahal, Jacques Nériah, spécialiste des questions syriennes au Centre des Affaires publiques et de l’État (CAPE) à Jérusalem, combattre ainsi aux côtés du régime alaouite syrien risque fort de le ramener à ce qu’il a toujours été : une autre milice armée libanaise au service de ses sponsors chiites de Téhéran - un profil sectaire ethno-religieux pas du tout national ou supranational, et en tous cas très loin de ce qu’il a prétendu être : un mouvement panislamique censé combattre Israël et l’Occident »…
Source : Hamodia