mardi 27 novembre 2012

Ce que cache la mort d'Arafat ...

Le corps de Yasser Arafat est exhumé ce mardi. La découverte de traces d'un poison dans ses affaires a relancé l'hypothèse d'un assassinat.


C'est un bagage à main de couleur noire. Souha Arafat ne l'a jamais ouvert. "C'était quelque chose d'intouchable pour moi", a-t-elle expliqué, récemment. Le sac noir contient les derniers effets de Yasser Arafat, son mari.
Les vêtements qu'il a portés et les objets qui l'entouraient durant sa longue agonie à Percy, l'hôpital militaire de Clamart. Brosse à dents, tricot de corps, caleçons, lunettes, pantoufles, chapka kaki ou survêtement bleu pervenche avec fermeture à glissière... Sans oublier la sourate du Coran, la médaille de la Vierge et la croix de Lorraine qui pendaient à son cou telles des amulettes, ainsi que son keffieh à damiers, son emblème qui, après de savants pliages, était censé reproduire la silhouette de la Palestine perdue.

Son exhumation lèvera-t-elle définitivement le mystère ?

Après la mort du chef de l'OLP, le 11 novembre 2004, le personnel soignant a rassemblé ses affaires et les a remises à sa veuve. Souha Arafat vivait alors à Tunis, sous la protection du président Ben Ali et de son épouse Leïla.
Elle n'a pas voulu ou pas pu s'embarrasser de toutes ces reliques. Le sac noir a fini chez son chauffeur et garde du corps parisien. Il n'a été sorti du placard que tout récemment pour être soumis à des analyses dans un laboratoire suisse.
Par une ironie involontaire, il porte l'inscription "Bon voyage". N'a-t-il pas accompagné son propriétaire dans son dernier périple ? Aujourd'hui, c'est son repos éternel qu'il vient perturber. C'est à cause de ce simple petit bagage que la dépouille du leader palestinien est exhumée, huit ans après sa mort.


Ramallah, le 29 octobre 2004, Yasser Arafat quitte la Palestine pour se faire soigner en France.

Un journaliste au profil très particulier

Quand son mari s'est éteint, Souha Arafat n'a pas réclamé d'autopsie. Pourtant, dès le premier jour, elle le croit victime d'une action criminelle. "Ils l'ont assassiné ! Ils l'ont empoisonné !", ne cesse-t-elle alors de répéter devant son amie de l'époque Leïla Ben Ali, en se gardant de désigner un coupable. Après, plus rien. Le silence. Jusqu'à sa rencontre, en décembre 2011, chez elle, à Malte, son nouveau lieu de résidence, avec Clayton Swisher, qui travaille pour la chaîne en langue anglaise de la télévision satellitaire du Qatar, Al-Jazeera.


Clayton Swisher

Un journaliste au profil très particulier. Avant de devenir reporter, cet Américain a servi dans les marines, puis a travaillé dans la police fédérale. Affecté à la protection de hautes personnalités, il faisait partie des agents chargés d'assurer la sécurité de Yasser Arafat durant le sommet avorté de Camp David en 2000.
Depuis, il enchaîne les scoops : la divulgation, en 2011, des archives secrètes palestiniennes, c'est lui. 1 600 mémos, verbatim, mails, révélant les importantes concessions que l'OLP était prête à faire pour parvenir à la paix avec Israël. Après ces révélations, le chef des négociateurs palestiniens, Saeb Erekat, violemment pris à partie par l'opposition islamiste et taxé de trahison, a accusé à son tour l'Américain d'être un espion à la solde de la CIA, avant de se rétracter.

Sur les traces du Polonium

Lorsque Clayton Swisher lui fait part de son projet d'enquêter sur la mort de Yasser Arafat, sa veuve lui donne tout : son dossier médical au complet, un mandat pour interroger les médecins français qui l'ont soigné et, bien sûr, ses effets personnels, qu'elle va spécialement chercher à Paris. Le journaliste confie aussitôt le sac à l'Institut de Radiophysique appliquée de Lausanne, le meilleur laboratoire suisse pour l'étude des radiations.
Nous avons cherché des traces de tous les poisons possibles, comme le thallium, puis nous avons pensé au polonium, explique son porte-parole, Darcy Christen. Nous avons une certaine spécialité dans ce domaine."
Bingo ! Sur les dix pièces examinées, deux - un sous-vêtement imprégné d'urine et un bonnet d'hôpital taché de sang - révèlent "un taux anormalement élevé de polonium", cette matière radioactive hautement toxique présente en quantité infime dans la nature. "Ici, il ne s'agit pas du Po 209 mais du Po 210, dont l'origine est artificielle", précise Darcy Christen. Seul un réacteur nucléaire peut en produire.
Le grand public n'a entendu parler du polonium que récemment, lors de son utilisation fatale en 2006 contre Alexandre Litvinenko, un ex-espion russe devenu un opposant au Kremlin. Un poison rare, mal connu.
Outre Litvinenko, on ne lui attribue que cinq victimes : Marie Curie, qui l'a identifié en 1898, et quatre employés de la centrale nucléaire de Dimona en Israël. Le laboratoire suisse reste donc prudent. "D'autres éléments matériels sont nécessaires pour tirer des conclusions", insiste Darcy Christen. Il faut faire vite. Le taux de radioactivité du Po 210 diminue de moitié tous les 138 jours.



Souha Arafat, le 11 novembre 2004, lors de la cérémonie pour la mort de son mari, à Villacoublay


C'est le 31 juillet dernier que Souha Arafat dépose une plainte contre X pour assassinat auprès du tribunal de Nanterre, exigeant des prélèvements sur la dépouille de son époux. Trois juges français, accompagnés de policiers de la brigade criminelle, d'un médecin légiste et de deux experts en toxicologie et radioactivité, ont prévu de se rendre à Ramallah, capitale provisoire d'un Etat en perpétuel chantier, afin de procéder à l'exhumation de son père fondateur, puis à l'examen de ses os et de ses tissus.
Une équipe du laboratoire vaudois, mandatée par la veuve elle-même, y est déjà à pied d'œuvre. Quant à l'Autorité palestinienne, elle a demandé l'assistance d'enquêteurs russes. Leur objectif à tous ? Découvrir les raisons du décès de Yasser Arafat. Et s'il a été empoisonné, l'identité de ses assassins.

Le 12 octobre 2004 : nausées, vomissements, maux de ventre

Le 12 octobre 2004, deux heures après son dîner, frugal, comme à son habitude, Yasser Arafat est soudainement pris de nausées, de vomissements, puis, les jours suivants, de diarrhées et de maux de ventre. Assiégé trois ans durant par l'armée israélienne, reclus dans les ruines de son palais, la Mouqataa, sur une colline de Ramallah, l'homme, surnommé affectueusement, "al-Ikhtiyar" (le Vieux) par ses compagnons d'arme, montre depuis déjà plusieurs mois des signes de fatigue.
A 75 ans, il soufre de tremblements, d'une dépigmentation de la peau, des séquelles d'un accident d'avion, mais aussi d'absences de plus en plus répétées. "C'était un homme âgé qui par moments avait des fulgurances", se souvient Régis Koetschet, alors consul général à Jérusalem, l'un des rares diplomates à lui rendre encore visite.
Dans un premier temps, les médecins palestiniens et égyptiens croient à une gastro-entérite. Le 23 octobre, une autre équipe accourue à son chevet, des Tunisiens cette fois, constate une thrombopénie, une diminution du nombre des plaquettes sanguines. Arafat ne mange plus, sombre dans l'apathie.
Alertée par son entourage, Souha, qui ne l'avait pas vu depuis deux ans, débarque à la Mouqataa. Les docteurs recommandent son transfert dans un hôpital. Le vieux chef refuse de peur que les Israéliens ne le laissent pas revenir. Abou Ala'a, son Premier ministre, lui suggère la France. Il accepte.

Ils ne trouvent ni infection ni cancer 

L'Elysée lui envoie un avion médicalisé. Le 29 octobre, Yasser Arafat est accueilli à Percy, en hématologie. Affaibli mais lucide, presque confiant, il insiste pour répondre lui-même aux questions du chef de service. "Je vomis tout ce que je mange, je ne sais pas ce que j'ai, dit-il. Ai-je attrapé un virus ?" Des caillots minuscules se forment dans tout son organisme et provoquent à leur tour, en empêchant une coagulation normale, des hémorragies.
Les médecins identifient rapidement une "coagulation intravasculaire disséminée" ou CIVD. Mais ils ne parviennent pas à en établir l'origine. Ils ne trouvent ni infection ni cancer.
Biopsies, IRM, myélogramme, endoscopie... Ils procèdent à toutes sortes d'examens. Arafat a-t-il été empoisonné ? La rumeur court déjà en Palestine. A Paris, l'hypothèse est prise au sérieux. Des prélèvements sont envoyés, sous les faux noms de "Frédéric Martipon" et "Etienne Louvet", à l'Institut de Recherche criminelle de la Gendarmerie nationale.
Les tests sur l'ensemble des toxines connues ne donnent rien. Sans mesurer spécifiquement le taux de polonium, le Service de Protection radiologique des Armées explore même une éventuelle contamination par des isotopes. Négatif. Pas de trace de rayonnement radioactifs alpha, bêta ou gamma.

Le 11 novembre, il meurt d'une hémorragie cérébrale

Pendant ce temps, sous l'effet d'une transfusion sanguine et des corticoïdes, Yasser Arafat reprend des forces. Il recommence à redonner des ordres, à vouloir appeler la terre entière. Mais dans la nuit du 2 au 3 novembre, son état se détériore de nouveau.
A la mi-journée, il entre dans le coma. Le 11, à 3 h 30 du matin, il meurt d'une hémorragie cérébrale. Conclusion du médecin-chef Bruno Pats, dans son compte rendu : "La consultation d'un grand nombre d'experts de spécialités multiples et les résultats des examens réalisés n'ont pas permis de retenir un cadre nosologique expliquant l'association des syndromes." En clair, les causes du décès restent mystérieuses.

La tombe du dirigeant palestinien historique Yasser Arafat


A l'Hôpital, sa femme joue les cerbères

Quelques jours plus tôt, tandis que le raïs lutte contre la mort, une autre bataille fait rage, dans les couloirs de l'hôpital, cette fois. Souha interdit l'accès de Percy à Abou Ala'a et Mahmoud Abbas, les deux principaux dirigeants palestiniens, et menace les autorités françaises de poursuites si elles les laissent entrer. Elle s'oppose même à la visite de Jacques Chirac, qui passe outre. Erigée en cerbère, elle campe sur place, filtre les allées et venues, donne des ordres aux médecins, injurie Nasser al-Qidwa, le neveu d'Arafat et ambassadeur de l'OLP à l'ONU, venu aux nouvelles. Elle censure les communiqués médicaux entretenant la confusion sur l'état de santé de son époux.
Le 8 novembre, alors qu'il est déjà plongé dans un profond coma, elle lance en direct sur Al-Jazeera :
Une poignée de comploteurs qui cherchent à hériter du pouvoir est venue à Paris pour tenter d'enterrer vivant Abou Ammar [le nom de guerre d'Arafat]... Mais il est en bonne santé et il reviendra."
La voilà enfin en possession de son époux, elle, la paria, méprisée par la vieille garde palestinienne, qui a dû se marier dans la clandestinité, qui, même en temps de paix, n'a jamais trouvé sa place dans une chambre nuptiale transformée en bivouac, qui a vécu les quatre années de l'Intifada loin des combats à Paris ou à Tunis.
Pour la première et dernière fois, Souha peut jouer pleinement son rôle de "Mme Arafat". Et aussi régler de vieux comptes. En 1993, Mahmoud Abbas qui devait signer l'accord d'Oslo, à Washington, avait menacé de bouder la cérémonie si elle était présente. "C'est elle ou moi", avait-il dit. Souha avait suivi l'événement devant son poste de télé.

Une guerre de succession politique et financière

La mort de son mari ouvre une guerre de succession, pas seulement politique, mais aussi financière. "Elle est venue dire à la direction que l'argent de l'OLP lui revenait en héritage", confie un représentant palestinien. La confusion est aisée. "L'OLP n'était évidemment pas inscrite au registre du commerce.
La plupart de ses placements étaient donc au nom d'Arafat", explique Gabriel Banon, qui fut son conseiller économique. Un an plus tôt, Souha avait quitté précipitamment la France pour Tunis. Motif ? La brigade financière comptait l'interroger sur le transfert de 9 millions d'euros d'une banque suisse sur ses comptes parisiens. Tous ceux qui la connaissent la décrivent comme une "femme d'affaires". Dans un livre revanchard écrit en exil, son ex-amie Leïla Ben Ali l'accuse de s'être servie de la Tunisie "comme d'un marchepied pour s'enrichir".
Quoi qu'il en soit, Souha n'assistera pas aux funérailles du chef de l'OLP à Ramallah. "Elle aurait été lapidée", lâche un officiel palestinien. Arafat est enterré comme il a vécu, dans le chaos et la ferveur, entouré de son peuple. Bousculé par la foule, le mufti n'a même pas le temps de prononcer la prière de l'absent. Il doit rouvrir la sépulture durant la nuit pour accomplir les derniers sacrements et sortir le corps du cercueil, conformément à la tradition islamique. Son exhumation va-t-elle permettre de connaître la vérité ?
A la demande du "Nouvel Observateur", des médecins de renom ont étudié son dossier médical, mis en ligne début juillet par son neveu, Nasser al-Qidwa. Leurs avis divergent. Ils sont unanimes sur un point : Arafat ne peut pas avoir été assassiné au polonium. "En l'absence de diagnostic, toutes les hypothèses sont possibles, mais pas celle-là, insiste l'éminent professeur Jean-Philippe Derenne. La moelle aurait été touchée, or ce n'est pas le cas." Même conclusion de Zahir Amoura, chef de service de médecine interne à la Pitié-Salpêtrière :
Le patient aurait dû perdre ses cheveux. Et si, dans un premier temps, la moelle est perturbée, la remontée du taux de globules blancs observée par la suite prouve qu'elle fonctionne de nouveau. Si elle avait été exposée à une matière radioactive, elle n'aurait pas récupéré."
L'hôpital Percy aurait-il pu passer à côté du polonium, mal connu avant le meurtre de Litvinenko ? Difficile à imaginer pour le professeur Amoura : "Cet établissement a une grande habitude des irradiations. C'est là que des victimes japonaises de Fukushima ont été hospitalisées." Les experts suisses reconnaissent eux-mêmes que leur découverte "ne colle pas avec le tableau clinique" de Yasser Arafat.

La sécurité palestinienne protège le cercueil du leader palestinien