Vous n’imaginez pas tout ce qui papote à l’intérieur de vous. Derniers-nés au pays des bavards: les virus. Des chercheurs ont découvert que certains émettaient des signaux encourageant leurs semblables à «épargner» momentanément leur hôte pour éviter la destruction complète de leur habitat. Si l’on savait que les bactéries échangent des signaux, c’est la première fois qu’un tel système de communication est mis en évidence chez des virus.....
Publiés dans la revue Nature , les travaux portent sur les bactériophages, des virus particuliers qui s’attaquent aux bactéries.
Les phages utilisent les bactéries comme des «usines à reproduction»: lorsqu’un phage infecte une bactérie, il s’y multiplie, jusqu’à ce que cette dernière meure en rejetant les multiples phages fabriqués en son sein qui iront à leur tour infecter d’autres bactéries. C’est la phase dite «lytique».
Mais certains phages peuvent aussi entrer en phase «lysogénique»: ils intègrent leur génome dans la bactérie et s’y «endorment» au lieu de se multiplier.
«Arbitrium»
Les plus belles découvertes sont souvent faites de hasard, et c’est bien le cas des travaux présentés par les chercheurs de l’Institut Weizmann (Israël). Ils souhaitaient savoir si la bactérie Bacillus subtilis pouvait alerter les autres bactéries d’une invasion de phages.
Ils ont donc infecté des cultures de B. subtilis avec quatre types de phages… et ont trouvé une molécule sécrétée non par la bactérie, mais par l’un de ses envahisseurs, et capable d’encourager ses semblables à la lysogénie!
Le système est d’une élégance redoutable. Lors d’une infection, un gène (aimX) est chargé d’empêcher le virus d’entrer en phase «dormante».
Mais en parallèle, le phage émet une molécule qui va s’accumuler dans les bactéries voisines. Les auteurs l’ont nommée «arbitrium», car elle va permettre aux autres phages de choisir entre multiplication effrénée, ou sommeil en l’attente de jours meilleurs…
Au bout de plusieurs cycles d’infection, l’arbitrium s’accumule au sein des bactéries non encore infectées. Lorsqu’elles sont à leur tour envahies par des phages, l’arbitrium empêche l’activation du gène aimX. La mise en sommeil redevient possible.
«La logique biologique d’un tel système semble évidente, explique Gregory Resch, microbiologiste à l’université de Lausanne. Il est nécessaire pour le phage de ne pas tuer l’ensemble de ses hôtes, ce qui l’empêcherait de continuer à se multiplier et conduirait à sa disparition.»
Si le virus entre en lysogénie, «la bactérie peut se multiplier à nouveau. Lorsque la population bactérienne atteint une taille conséquente, l’arbitrium est dilué et le cycle de lyse (multiplication du virus, NDLR) recommence.»
Stratégies complexes
La découverte des chercheurs israéliens est «fascinante», s’enthousiasment les spécialistes.
«D’un point de vue écologique, c’est très intéressant, note Antoine Danchin, biologiste, spécialiste de génétique microbienne et membre de l’Académie des sciences. Jusqu’ici, on voyait les virus comme des agents “égoïstes”», ne se souciant que de la qualité de la bactérie qui les héberge.
«Cela montre que même au niveau viral, la compétition brutale n’est pas toujours la meilleure solution !»
«Cette idée que les phages seraient capables de propager des informations pour gérer le bien commun est très intéressante.
On a du mal à imaginer que quelque chose d’aussi petit et aussi “simple” qu’un virus puisse avoir des stratégies aussi complexes !», renchérit Michael Hochberg, directeur de recherche CNRS à l’université de Montpellier et spécialiste de biologie évolutive.
Les virus feraient, en somme, ce que fait l’homme lorsqu’il réglemente la pêche pour laisser les populations de poissons se régénérer…
Les chercheurs israéliens précisent toutefois que le système qu’ils ont observé n’est pas absolu : «Même à une concentration maximale d’arbitrium », le virus peut décider de se multiplier à l’intérieur de la bactérie.
«Les auteurs ont fait un premier pas et leur résultat est excitant, concède Michael Hochberg. Mais il faut encore savoir si le même mécanisme existe dans la nature dans des conditions moins contrôlées qu’en laboratoire, et si cela permet aux phages de mieux se propager.»
Les Israéliens précisent avoir trouvé des systèmes de communication similaires dans plus de 100 autres types de phages. «Ces chercheurs ont découvert un nouveau langage, et on peut tout à fait imaginer que d’autres virus utilisent un mode de communication similaire, s’enthousiasme Olivier Schwartz, responsable de l’unité Virus et immunité à l’Institut Pasteur (Paris).
Certains virus, comme l’herpès ou le VIH, sont eux aussi confrontés à cette problématique : se multiplier ou entrer en phase latente. Sont-ils comme les phages informés de l’état d’infection des cellules voisines?»
Et si c’était le cas, pourrait-on imaginer détourner ce langage viral pour développer un «somnifère à virus » qui les empêcherait de nuire? «On est très en amont de cela, tempère Olivier Schwartz.
Mais cela reste très intéressant de déterminer si ce phénomène identifié pour des virus de bactéries existe aussi pour les virus qui infectent les humains. Ces travaux ouvrent des perspectives passionnantes, et vont probablement donner lieu à d’autres découvertes.»
Source Le Figaro
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