lundi 6 juillet 2015

Un ancien officier du Mossad raconte (presque) tout


Au milieu des années 1960, le lieutenant Yossi Alpher, à l’époque, jeune officier du renseignement militaire a été chargé d’aller en pleine nuit dans une base militaire aérienne israélienne pour vérifier minutieusement des équipements militaires et s’assurer qu’aucun signe distinctif israélienne figurait sur le matériel...


A l’époque comme c’est toujours le cas aujourd’hui, le Yémen était le théâtre d’une guerre civile abominable, entre les royalistes (les Chiites zaïdites, devenus aujourd’hui les Houthis), soutenus par l’Arabie saoudite et les rebelles républicains, soutenus par l’Egypte et les Soviétiques.
Les Saoudiens ont demandé de l’aide auprès des Britanniques, qui ont à leur tour sollicité Israël, la plus grande puissance de la région et le principal ennemi d’Egypte.
Pendant plus de deux ans, un avion-cargo a effectué 14 vols nocturnespérilleux au Yémen afin de livrer aux royalistes les armes égyptiennes saisies lors de la guerre de Suez en 1956, avec l’aide d’un dispositif israélien du Mossad établi sur place.
Pour leur part, les Britanniques ont envoyé deux hauts responsables des SAS (Special Air Service, ndlr) en Israël, l’un répondant au nom de Gene et l’autre Tony, servant du nom de code non officiel pour l’opération “Gin Tonic”.
“Le’objectif majeur était de cerner les forces égyptiennes et de les épuiser. Nous sommes dans cette période entre la campagne de Suez (de 1956, ndlr) et de la guerre des Six-Jours en 1967. Nous savions qu’une autre guerre allait arriver. Nous savions aussi que les Egyptiens utilisaient du gaz moutarde au Yémen. Cela nous effrayait beaucoup”, affirme Alpher.
Tous les détails de cette opération ont été, pour la première fois, autorisés à la publication dans le livre d’Alpher, intitulé Périphérie : Israël en quête d’alliés au Moyen-Orient.
Un responsable du Mossad qui a servi dans l’agence pendant de longues années et dirigé le Centre Jaffee d’Etudes stratégiques a déclaré qu’Alpher a mené une étude complète sur la stratégie secrète élaborée par David Ben Gourion pour anéantir l’anneau arabe hostile qui cerne Israël.
“Nasser parlait régulièrement de son désir de jeter les Juifs à la mer. Le Mossad recherchait donc des alliés pour faire face à ce souhait et être capable de dire : nous ne sommes pas seuls”, explique Alpher.


L'alliance “Trident”

Le point culminant de la “doctrine périphérique” fut le pacte tripartite de renseignement impliquant Israël, la Turquie et l’Iran, d’où le terme “trident”.
“Lors de la première rencontre trilatérale qui se déroula en Turquie à la fin du mois de septembre et au début du mois d’octobre 1958, les participants – à savoir les chefs des agences d’espionnage de chaque pays- se sont mis d’accord sur la mise en œuvre d’une série d’opérations de renseignement communes, telles que des activités subversives pour contrer l’influence de Nasser et des Soviétiques”, révèle Alpher.
La dimension américaine était également critique. “Dès que l’alliance ‘trident’ a été concrétisée, nous avons couru l’annoncer aux Américains”, affirme Alpher. “Nous nous en sommes même vantés : regardez, nous avons conclu notre propre pacte de l’OTAN”.
“Ben Gourion a exposé l’alliance à l’administration Eisenhower comme étant un moyen efficace de contrecarrer l’infiltration soviétique au Moyen-Orient, mais aussi comme servant de contrepoids face aux Etats arabes radicaux…”.
L’Agence centrale de renseignement (CIA, ndlr) n’est pas restée indifférente. Sur une colline déserte au nord de Tel-Aviv, l’agence américaine a financé la construction d’un bâtiment de deux étages qui servit de siège à l’alliance Trident. “Le rez-de-chaussée comprenait ‘une aile bleue’ pour les Iraniens et ‘une aile jaune’ pour les Turcs”, se rappelle Alpher.
“Bobby, un excellent cuistot, cuisinait de la nourriture hongroise non-kashère, et les invités étaient très satisfaits”, se souvient Alpher.
Depuis la fin des années 1950 et ce jusqu’à la révolution islamique de Khomeiny en 1979, les réunions semestrielles entre les dirigeants des trois agences de renseignements se tenaient à chque fois dans un pays différent.
“Je me rappelle de mon excitation lorsque je suis arrivé à ma première réunion et que j’ai été présenté au général Nassiri, l’impressionnant commandant de la SAVAK, le service de renseignement du Shah d’Iran.
L’alliance impliquait également l’échange de renseignements sur une base quasi quotidienne. “Nous avions l’habitude de recevoir des rapports quotidiens sur le passage de navires soviétiques par le détroit de Dardanelles”, affirme Alpher. “C’était d’une double importance. Non seulement c’étaient des informations sur les fournitures soviétiques aux Etats arabes, mais nous pouvions aussi les partager avec la CIA”.
La coopération entre l'Iran et Israël était encore plus forte : les Juifs qui fuyaient l’Irak pour l’Iran, en passant par la région kurde au nord de l’Irak, poursuivaient ensuite leur chemin vers Israël, des officiers de l’armée israélienne entraînaient les forces iraniennes et Israël vendait des armes à l’Iran.

En 1958, des armes ont été fournies par l’Iran à des groupes chiites au sud du Liban via Israël, et au nom des Iraniens, les responsables des renseignements israéliens ont formé un corps chargé de recruter et de gérer des agents, en se concentrant sur l’Irak et la lutte contre les activités subversives de Nasser auprès des Arabes de la province du Khouzistan, au sud-ouest de l’Iran.

Rabin avec une perruque blonde

Les relations d'Israël avec le Maroc étaient une autre composante de l'alliance périphérique. L’Etat hébreu a aidé l’agence marocaine de renseignement à mettre en place son unité de gardes du corps des personnalités et d’autres encore, y compris l’établissement d’une division technologiquement sophistiquée. En retour, les Marocains ont fourni à Israël des renseignements de qualité, y-compris l’accès secret aux délibérations de la conférence du Sommet arabe à Casablanca en septembre 1965.
Près de douze ans plus tard, ce pays du Maghreb a servi de relais pour organiser la visite historique du président égyptien Anouar Sadate à Jérusalem, avec la médiation du roi marocain Hassan.
“Une réunion entre le roi et le chef du Mossad Yitzhak Hofi a conduit à une autre réunion royale, cette fois avec le Premier ministre Yitzhak Rabin, qui est arrivé au Maroc incognito sous une perruque blonde”, témoigne Alpher.

A la réunion suivante, Hofi s’est entretenu avec Hassan Tuhami, l’adjoint de Sadate, ce qui ouvrit la voie à une rencontre entre Tuhami et Moshé Dayan, le ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Menachem Begin. Lors de son voyage secret au Maroc, Dayan a retiré son fameux bandeau et mis un chapeau Borsalino. Même des responsables du Mossad qui ont vu sa photo sur le passeport ne l’ont pas reconnu”.

Le "non-assassinat" de Khomeiny

Dans les années 1970, lorsquele souffle de la révolution devient de plus en plus chaud à Téhéran et partout ailleurs dans le pays, Alpher est chargé du dossier iranien dans l’unité de recherche du Mossad. “Et c’est alors que je découvre une terrible ignorance”, dit-il. “En dépit du fait que nous nous sommes plus qu’investis dans ce pays, avec 1500 Israéliens vivant et travaillant là-bas, nous ne savions pratiquement rien sur l’opposition”.
Au milieu du mois de janvier 1978, Alpher fut convoqué d’urgence dans le bureau de Hofi, le directeur du Mossad.
En présence des plus hauts responsables de l’agence, Hofi explique la raison de la réunion. Le Premier ministre laïc nommé par le Shah pour gouverner l’Iran à sa place, Chapour Bakhtiar, a contacté le chef de bureau du Mossad à Téhéran, Eliezer Tsafrir, pour lui demander d’assassiner Khomeiny, exilé en France.
“Hofi déclaré que par principe, il est opposé à l’assassinat de dirigeants politiques, mais il tient à entendre l’avis des participants à la réunion”, raconte Alpher.
Le chef d’un des départements répond : “laissons Khomeiny rentrer à Téhéran. Il ne durera pas”, Alpher aussi était opposé à l’assassinat.
Le Mossad a fini par rejeter l’idée. “Seulement deux mois après cette réunion, j’ai réalisé avec nous avions affaire, et je regrettais déjà de ne pas avoir soutenu la demande de Bakhtiar”, explique Alpher.

Source I24News