mercredi 8 janvier 2014

Proche-Orient : l’économie au chevet de la politique ?



Les pourparlers entre Israël et les Palestiniens épuisent un énième secrétaire d’Etat américain. Multipliant les allers-retours, John Kerry s’entête à arracher une paix à laquelle personne d’autre ne semble vraiment croire. En cas d’échec, l’Autorité palestinienne promet de déplacer ses revendications sur la scène des organisations internationales, comme son statut d’Etat observateur à l’ONU le lui permet, pour faire reconnaître officiellement l’Etat de Palestine.



La diabolisation d’Israël a de beaux jours devant elle et de nouvelles sanctions menaceront de s’abattre sur l’Etat hébreu. La stratégie américaine dans la région a toujours été d’essayer d’intégrer Israël au monde arabe sur le plan économique. Ses efforts ont stimulé les liens entre les milieux d’affaires et donné l’impulsion décisive à des traités de paix soutenus par les gouvernements arabes. Cet exemple à suivre rencontre encore une farouche opposition des leaders palestiniens. A moins que les nouveaux développements autour de l’exploitation du gaz et du pétrole ne changent la donne.
 

Pionniers des lendemains qui chantent ?
 Il serait cependant faux de penser que le conflit israélo-palestinien a usé toutes les bonnes volontés. Ceux qui croient toujours à la coopération continuent de marquer des points. Le coup d’envoi à la construction d’un accélérateur de particules qui verra le jour en Jordanie d’ici 2016, vise ainsi à faire de la science un vecteur de collaboration entre des scientifiques de pays en conflit, avec l’espoir d’ouvrir des portes dans des domaines aussi variés que les recherches environnementales, la biologie, la chimie et l’archéologie. Sous la houlette d’un vice-président israélien, le chercheur Eliezer Rabinovici, Israël, l’Iran, la Turquie, l’Autorité palestinienne, l’Egypte, le Pakistan, la Jordanie et Bahreïn participent au projet appelé Sésame, tout comme certains pays européens, les Etats-Unis et le Japon, en tant que membres observateurs, selon le site internet de l’organisation.
De son côté, le président israélien Shimon Peres, verra son vieux rêve devenir réalité : l’assèchement de la mer Morte sera endigué grâce à la construction d’un canal entre la mer Rouge et le bassin salé. Cet accord historique signé à Washington en décembre 2013 entre Israël, la Jordanie et l’Autorité palestinienne, « poursuit un objectif stratégique et aura d’importantes conséquences pratiques pour la région », promet Silvan Shalom, ministre israélien de l’Energie et de l’Environnement. En prime : une usine de dessalinisation dans le port jordanien d’Aqaba permettra l’approvisionnement en eau d’une partie du royaume hachémite, des populations de Judée-Samarie et du désert du Néguev.
Cet accord est au désavantage d’Israël qui a les moyens techniques et financiers de construire une usine de ce type à son usage exclusif aux abords d’Eilat. Pourtant, après mûre réflexion, il a été signé par l’Etat hébreu, qui voit dans ce partenariat économique triangulaire un levier de stabilité régionale et l’espoir d’ouvrir des brèches vers la paix, là où la diplomatie piétine.
L’incubateur judéo-arabe NGT (New Generation Technologie) à Nazareth semble lui aussi inspiré par cette tendance. Créé sous l’impulsion de Sarah Kramer et Helmi Kittani, membres du Centre pour le développement économique judéo-arabe (CJAED), « il permet de valoriser le potentiel des entrepreneurs arabes dans les hautes technologies », se réjouit Daniel Rouach, président de la chambre de commerce Israël-France et coauteur avec Edouard Cukierman du livre Israël Valley.
C’est aussi dans cet esprit que les fervents adeptes d’une paix économique ont créé le premier cours universitaire en ligne du Technion qui fait le buzz dans le monde arabe, avec à ce jour plus de 32 000 vues dans le monde, 5 500 en Egypte, 1 900 au Koweit, 1 250 en Arabie Saoudite et 1 250 en Syrie. Les cours de nanosciences et nanotechnologies seront assurés en arabe, entre autres par le Pr Hossam Haick du département de génie chimique, originaire de Nazareth, et père d’un dépistage innovant et non invasif du cancer par les voies nasales. Le coup d’envoi de cet Institut israélien d’un genre nouveau sera donné en mars 2014, avec déjà près de 3 000 étudiants inscrits pour les cours en arabe, 700 candidats en provenance d’Arabie Saoudite, 600 Egyptiens et 400 Syriens. Un vent de nouvelle coopération ? Oui, mais. La stratégie américaine se casse les dents sur l’irréductibilité des Palestiniens.


Le commerce au centre des échanges

Nul doute que la paix économique a ses sirènes. 2014 promet des échanges supplémentaires entre Israël et les Territoires disputés grâce à la mise en place d’une procédure d’optimisation du transit des marchandises entre l’Autorité palestinienne, Israël et la Jordanie via le passage Allenby. Et ce, afin de booster l’économie de Ramallah. Signé conjointement par Silvan Shalom et le ministre des Finances Yaïr Lapid, cet accord prévoit une augmentation d’environ 30 % des échanges commerciaux. Estimé à 35 millions de dollars, le coût de ces nouvelles infrastructures douanières sera financé par divers ministères israéliens pour une exploitation prévue dès cette année. L’installation d’un scanner pour inspecter les conteneurs et les camions sera financée par les Pays-Bas qui souhaitent contribuer à renforcer l’économie palestinienne.
« Le commerce est le secteur privilégié entre Israël et les Palestiniens. L’import-export représente des milliards et le tourisme n’est pas en reste », explique le Dr Gil Feiger, spécialiste en économie du Proche-Orient, « mais il est entravé par une bureaucratie invalidante et des compétitions internes. Sans oublier la guerre économique à laquelle se livrent Palestiniens et Jordaniens qui sont en forte concurrence sur le terrain » poursuit-il. Les investissements israéliens dans l’économie palestinienne demeurent néanmoins modestes. On note quelques coopérations dans les domaines de la santé, des énergies propres, les secteurs de l’eau notamment et le traitement des eaux usées, des partenariats dans les activités de communication et d’information, et les nouvelles technologies, auxquelles les Israéliens participent pour générer des emplois majoritairement dans le secteur informatique. Rien de bien significatif en termes de part de marché.
« L’objectif israélien est davantage de soutenir l’emploi que de faire des affaires. Et c’est bien dommage, car ce serait dans l’intérêt de Jérusalem », déplore l’expert. « Faire des affaires permet de se connaître et de s’apprécier. Les Palestiniens sont de brillants entrepreneurs qui pourraient faire de grandes choses dans le monde arabe. Ils ont davantage en commun avec les Israéliens qu’avec les Européens », souligne-t-il.


Un effort qui reste marginal

Le secteur des hautes technologies représente 8 % de l’économie palestinienne et emploie 6 000 salariés. Selon la Palestine Information Technology Association of Compagnies (PITA), plus de 500 ingénieurs et analystes sont employés par des sociétés palestiniennes qui travaillent en partenariat avec les sociétés informatiques israéliennes. Le secteur agricole, pilier économique historique palestinien s’est vu ainsi pour la première fois coiffé au poteau par le secteur des technologies de l’information, passé de 0,8 % du PIB des Territoires en 2008, à 11 % en 2013. Principalement grâce aux Américains Cisco, Intel, Microsoft, mais également à l’Israélien Ness qui ont investi dans des sociétés relais à Ramallah. Ce secteur a ainsi donné naissance à 300 entreprises et généré 7 000 emplois en Judée-Samarie et dans la bande de Gaza.
Sadara Ventures, le tout premier fonds capital-risque palestinien fondé par Saed Nashef, ancien programmeur de Microsoft et l’investisseur israélien Yadin Kaufmann, qui aura 3 ans en 2014, est présent sur le terrain et contribue à lever des fonds pour des start-up palestiniennes. Quant à Bashar Masri, à la tête de la société holding Massar International Ltd, qui développe notamment l’ambitieux projet immobilier de la ville palestinienne de Rawabi, au nord de Ramallah, et le Siraj Fund Management Company, spécialisés dans les petites et moyennes entreprises (PME) dans un large éventail de secteurs, il dit préférer éviter les pourparlers avec les investisseurs israéliens, au vu du contexte actuel. Masri connaît bien Israël pour avoir coopéré avec les fonds de capital-risque israéliens après les accords d’Oslo et créé un fonds israélo-palestinien dans le milieu des années 1990. Il déplore que le contexte actuel n’y soit plus favorable. Et d’expliquer que les sociétés israéliennes doivent avoir des accointances et des projets de grande envergure avec l’Autorité palestinienne pour décrocher un marché. « Dans les faits, ce sont souvent les instances dirigeantes qui concluent des affaires et engrangent des bénéfices pour leur compte personnel, sans en faire profiter les acteurs plus modestes de la vie économique », regrette Gil Feiger.


Corruption et népotisme


Reste cependant que l’ampleur de la tâche a de quoi décourager les meilleures volontés. Et si les objectifs sont ambitieux et enthousiasmants (selon les estimations, les salaires palestiniens pourraient augmenter de 40 % environ si l’économie était stimulée), les obstacles sont nombreux. « Encore faudrait-il que les efforts de lutte contre la corruption soient couronnés de succès de façon à renforcer la confiance des investisseurs », confie Feiger. Dans la région, les principales causes des flux financiers illicites demeurent la corruption et les pots-de-vin selon un rapport de Transparency International qui met en garde contre « le népotisme, la corruption et le clientélisme profondément ancrés dans la vie quotidienne de l’économie proche-orientale et sur lesquels même les lois anticorruption existantes n’ont que peu d’impact ».
Ignorant ces obstacles, certains continuent d’attribuer le piétinement palestinien à l’indifférence des Israéliens pour leurs voisins. « Il faut réhabiliter l’économie palestinienne, même sans concessions politiques », a récemment confié David Brodet, président de la banque Leumi au magazine économique Globes. « Il est nécessaire de venir en aide à l’économie palestinienne afin d’optimiser sa transition vers une démocratie stable », a déclaré de son côté l’ambassadeur américain en Israël Daniel Shapiro, et « pour que cela réussisse, la classe moyenne doit pouvoir se développer ». Quant à Nechemia Peres, cofondateur et directeur général de Pitango Venture Capital associé, qui investit dans des sociétés arabo-israéliennes en partenariat avec Masri, il affirme que les Palestiniens n’ont pas besoin des Israéliens dans la mesure où ils parviennent assez facilement à lever des fonds, notamment aux Etats-Unis, en grande partie en raison de l’implication idéologique et des implications sociales que représentent ces investissements, chez des investisseurs pour lesquels les considérations commerciales sont secondaires.
En annonçant en mai dernier, en amont des négociations de paix, l’investissement de 4 milliards de dollars dans huit secteurs privés de l’économie palestinienne à fort potentiel, John Kerry a voulu donner le « la » : « un investissement visionnaire peut contribuer à changer le monde », a déclaré le vice-président des Etats-Unis, Joe Biden, pour inviter à lui emboîter le pas. Emissaire du Quartette pour le Proche-Orient, Tony Blair élabore d’ailleurs depuis des mois, dans la plus grande discrétion, un plan de relance de l’économie palestinienne par des capitaux privés.


La bonne volonté palestinienne ne suit pas

Reste que Mahmoud Abbas, contrairement à ses dires à l’attention des Occidentaux, soutient farouchement dans les faits et dans ses déclarations à la presse arabe, le mouvement BDS (Boycott Desinvestissement Sanctions). Le président de l’AP s’est ainsi empressé de décourager les trop zélés partisans du partenariat économique après les généreuses déclarations de Kerry. Et ce, bien que les premières analyses prédisent une augmentation du PIB palestinien de 50 % en trois ans, et une réduction du chômage de 21 % à 8 %. « Les dirigeants palestiniens n’offriront pas de concessions politiques en échange d’avantages économiques », martèle de son côté Mohammed Moustafa, président du Fonds d’investissement palestinien après les déclarations du secrétaire d’Etat. L’important étant de ne pas donner l’impression qu’une paix économique puisse se substituer au processus politique conduisant à une solution à deux Etats.
« Les accords d’Oslo avaient suscité un immense espoir de prospérité économique commune », rappelle le Dr Gil Feiger, « mais les investisseurs ont été découragés par le leadership palestinien qui, aujourd’hui comme hier, s’y oppose farouchement. C’est, entre autre, motivé par la crainte de voir l’occupation économique se substituer ou se conjuguer à l’occupation géographique », explique l’expert.
Du côté des Arabes israéliens, qui n’en sont pas à un paradoxe prêt, les mêmes difficultés semblent à l’œuvre. Une tension croissante entre les populations juives et arabes d’Israël ainsi qu’une dégradation du sentiment d’appartenance des Arabes israéliens à la société israélienne au cours de ces dernières années est à déplorer selon l’Institut israélien pour la démocratie qui constate que la population arabe se radicalise face à l’Etat hébreu. Selon une étude qui vient d’être publiée par l’université de Haïfa et le Bureau central des statistiques, 71 % déclarent être traités comme des citoyens de seconde zone en Israël, alors qu’ils sont de plus en plus nombreux à vouloir s’intégrer au sein de la population juive israélienne ; 42 % d’entre eux préfèrent vivre dans des quartiers juifs, plus de 65 % inscrivent leurs enfants dans des lycées juifs du système public israélien, et plus de la moitié préfèrent habiter en Israël plutôt que dans n’importe quel autre pays. Le taux de réussite au baccalauréat le plus élevé d’Israël est celui des élèves Arabes chrétiens, et de plus en plus d’étudiants arabes israéliens chrétiens et musulmans accèdent aux meilleures universités israéliennes, toujours selon cette même étude. Voilà qui ne va pas dans le sens d’une discrimination des minorités. Devant cette confusion des indicateurs, il faut pointer les médias palestiniens qui entretiennent la victimisation, les ouvrages scolaires qui diffusent la même idéologie, et l’intimidation distillée par des représentants politiques qui voient, dans toute velléité d’amélioration de leur condition, une traîtrise. Le plus grand obstacle à la paix, qu’elle soit celle des politiques ou celle des économistes, reste donc la fossilisation des mentalités autour d’un point de fixation identitaire et territorial.


Le gaz, la lumière au bout du tunnel ?

Selon le Bureau central des statistiques, la croissance économique israélienne a augmenté de 3,3 % en 2013. Un quart de cette croissance provient des gisements gaz naturel du champ Tamar. Le ministère des Finances et la Banque israélienne estiment que, sans l’impact du gaz naturel, la croissance oscillerait entre 2,3 et 2,6 %.
Si les négociations de paix israélo-palestiniennes sont au point mort, celles qui sont en cours entre la Compagnie israélienne d’électricité et les dirigeants de la société British Gas vont bon train et pourraient bien renforcer les relations de bon voisinage. Estimée à 33 milliards de m3 (BCM), la nappe dite « Gaza-Marine » située à 36 km au large de la bande de Gaza, exploitée par British Gaz pour le compte de l’Autorité palestinienne, pourrait combler les besoins de la population palestinienne pendant 25 ans et ceux des Israéliens pendant 4 ou 5 ans. C’est à la demande du Premier ministre israélien, Binyamin Netanyahou, que les négociations, en berne depuis 2008, ont repris. Ramallah avait également posé l’autorisation à exploiter « Gaza-Marine » comme condition à une reprise des négociations, en juillet dernier.
Dimanche 5 janvier, une nouvelle annonce est venue s’inscrire dans ce même sillage. Le groupe israélien Léviathan (consortium d’exploitation du plus grand champ gazier israélien) a signé un contrat historique avec la Palestine Power Generation Company, qui deviendra de fait son principal client. Le gaz viendra alimenter la région de Judée-Samarie où la société palestinienne projette aussi la construction d’une centrale de 300 millions de dollars (environ 220 millions d’euros) dans la ville de Djénine, pour produire de l’électricité à partir du gaz, comme l’a rapporté l’agence de presse Reuters. « La coopération économique illustrée par l’accord signé aujourd’hui va conduire à la prospérité et à la croissance, contribuera à la promotion du respect mutuel et de confiance entre Israéliens et Palestiniens et jettera les bases de la paix », a déclaré Itzhak Techouva, actionnaire majoritaire du Groupe Delek. Un coup de pouce à point nommé alors que les négociations butent toujours et que John Kerry est rentré à Washington une fois de plus bredouille.


Or noir et Ligne verte

Dans un geste de bonne volonté, Netanyahou, lui, a promis de céder des territoires sous administration israélienne situés en zone C1 pour les mettre sous contrôle de l’Autorité palestinienne en vue de leur exploitation agricole. C’est aussi en zone C1 que seraient majoritairement investis les 4 milliards de dollars offerts par l’administration américaine pour soutenir l’économie palestinienne. Mais ces sous-sols disputés abritent aussi le gisement de pétrole Meged 5. Givot Olam, la société de prospection pétrolière, estime que les réserves exploitables seraient plus importantes qu’estimées, bien que les données manquent encore pour évaluer l’importance de ce champ qui pourrait bien s’étendre sur 150 km2 à 250 km2, selon Reuters. Situé entre la ville israélienne de Rosh Haayin et le village palestinien de Rantis, au nord-ouest de Ramallah, ce champ se trouve à cheval sur la Ligne verte. Il serait donc difficile de ne pas en faire l’exploitation conjointe.
Selon les accords d’Oslo, Jérusalem est tenue de coordonner toute extraction de ressources naturelles en territoire commun avec l’Autorité palestinienne, et d’arriver à des accords sur la façon d’en partager les profits. « L’autorisation pour les Palestiniens d’exploiter ces ressources mettrait son économie sur les rails d’une croissance durable » a déclaré Mariam Sherman, directrice de la Banque mondiale en Cisjordanie et à Gaza. Mais Gil Feiger prévient qu’« il ne sera pas possible de faire l’impasse sur une résolution politique du conflit avant toute spéculation sur d’hypothétiques développements économiques. Alors seulement, on assistera à un boum de l’entreprise mixte. Et c’est ce que je souhaite : voir mon voisin riche et prospère. C’est mieux pour tout le monde, mais surtout pour Israël qui y gagnera une dignité nouvelle », affirme-t-il.
Nul doute alors que les pourparlers politiques en cours soient aussi le théâtre d’âpres négociations autour du gaz et de l’or noir et que l’accord historique signé dimanche n’est pas fortuit. Reste à savoir si les intérêts économiques finiront par avoir raison des différends politiques.
 

Source JerusalemPost