Très peu de gens peuvent le reconnaître dans la Rue Rothshild où assis sur la terrasse d’un café, à deux pas du Centre Cultuel Français. Personne (où presque !) n’a son numéro de portable. Cet illustre inconnu en Israël (que nous avons reconnu en une seconde !) est une célébrité dans le monde des Telecoms. Les Echos, le 8 Janvier 2014 par Solveig Godeluck : " L’homme d’affaires franco-israélien convaincu de longue date de l’avenir du câble sait acheter et vendre au bon moment". Donnez-moi un levier et je bâtirai un empire. Ce pourrait être la devise de Patrick Drahi.
Depuis 2001, cet investisseur à la vue longue a construit une multinationale des télécoms à coup d’acquisitions et à grand renfort de dette. Basé à Genève, il a mené ses affaires comme un fonds de « private equity » – l’effet de levier, certes, mais aussi la discrétion des gens du non-coté, et l’efficacité opérationnelle parfois brutale des professionnels de la restructuration. Si les analystes financiers parlent de sa société Altice comme d’une « machine à fusions-acquisitions » plutôt que comme d’une pépite des télécoms, lui n’aime pas le terme de holding.
C’est peu surprenant de la part de cet X-Télécoms de cinquante ans, issu de la même promotion que Jacques Veyrat (ex-patron de Neuf Telecom) mais inconnu du grand public. Ingénieur, passé par Philips où il a travaillé sur les récepteurs satellitaires, il n’a jamais renoncé à sa vision industrielle depuis qu’il s’est mis à son compte en 1993. Comme son ami Michel Combes, l’actuel directeur général d’Alcatel-Lucent, il veut être considéré comme un stratège, pas comme un financier.
Non sans raison. « Avec Xavier Niel, Patrick Drahi est l’un des rares dirigeants français qui ont une vision à 10-15 ans. Il ne s’est jamais trompé », assène un financier qui le connaît bien. Le parallèle entre les deux hommes ne s’arrête pas là : le Séfarade né à Casablanca n’est pas un héritier, comme le fondateur de Free. Tous deux, en persévérant dans leur vision sur l’évolution de la technologie et de la société, ont réussi à bâtir un groupe valant plus de 5 milliards d’euros.
Vision et sens du timing
Il faut une certaine force de caractère pour décider un jour comme Patrick Drahi que l’avenir des télécoms est dans le câble et entreprendre de le consolider alors que tout autour n’est que ruines et décombres. C’était le cas en France, en 2003 : avec plus de 80 opérateurs locaux et des règles obsolètes, personne n’y croyait, sauf lui. A cette époque, l’homme a déjà amorcé un début de fortune après avoir bâti puis revendu deux petits câblo-opérateurs dans les années 1990, à Cavaillon et à Champs-sur-Marne. Il connaît d’autant mieux le marché qu’il a passé dix-huit mois chez le géant néerlandais UPC à racheter d’autres opérateurs.
L’entrepreneur sait donc où il met les pieds lorsqu’il décide de profiter de l’éclatement de la bulle Internet pour faire ses emplettes dans le câble en France. Comme il a besoin de capitaux, il s’associe au fonds Cinven, puis ils avalent ensemble les activités de TDF, de France Télécom, de NC Numericable, etc.
En 2007, bien inspiré, l’homme invite un deuxième fonds de « private equity », Carlyle. Pour le fonds, l’investissement dans le holding de Numericable est longtemps resté un boulet. En effet, un an après éclatait une nouvelle bulle, celle de la finance mondiale, faisant de nouveau vaciller les valorisations du câble. En tout cas, cette infusion de cash a été une planche de salut pour Patrick Drahi, qui a pu tenir le choc face à la crise, et même se lancer dans la construction de son petit empire.
« Sa vision de long terme se combine à un sens du timing exceptionnel. Il parvient toujours à vendre et à acheter au bon moment », commente un financier. Ainsi, en Israël, il a mis la main sur Hot lorsque les câblos valaient à peu près 6 fois l’excédent brut d’exploitation. Rien à voir avec les multiples d’aujourd’hui, plus proches de 10. Le hasard fait parfois bien les choses, mais c’est encore mieux d’avoir la vista.
Source Israel Valley