mercredi 15 janvier 2014

Dieudonné, les fils de l’Afrique et les enfants d’Israël

 
 
Avec la polémique qui enfle autour du comédien français Dieudonné qui s’est lancé dans une croisade contre le sionisme, nous entendons ça et là des propos dénonçant le complot juif international ou la surenchère victimaire de la Shoah. Les Noirs seraient parmi les grandes victimes de cette hégémonie juive à vouer aux gémonies… Il me semble donc capital que nous revenions à l’essentiel pour ne pas nous perdre dans ce flot de propos qui vont dans tous les sens.



D’abord, répétons-le, chaque peuple est responsable de son destin. Il appartient à chaque peuple de prendre conscience de son parcours, de réfléchir et de s’organiser pour bâtir un avenir plus sécurisé pour ses futures générations. Il est donc d’une importance capitale de développer une conscience qui aide à analyser sans passion l’histoire en vue de construire avec confiance le futur.

Pour les Noirs, les siècles de traite négrière et d’esclavage suivis par des décennies de soumission coloniale ou de discrimination raciale sont, sans aucun doute, une succession de pages difficiles de notre histoire depuis plus de mille ans. Cette histoire-là devait nous conduire à une gestion plus consciencieuse de chaque bout de souveraineté conquis… Hélas, à ce jour, ce sont toujours des millions de jeunes Africains qui sont prêts à risquer leurs vies à travers la Méditerranée pour fuir une Afrique productrice de désordre et de misère.

Quelles leçons l’élite politique et intellectuelle de l’Afrique a-t-elle tiré de son histoire, ne serait-ce que celle des cinq derniers siècles ? Pas grand chose, me semble-t-il ! Cette élite se complait dans l’égoïsme, la cupidité et la corruption, abandonnant les masses populaires à la misère et l’insécurité. La misère du peuple étant toujours un foyer propice à l’instabilité politique, l’Afrique indépendante, depuis quelques décennies, a ajouté à ses pages sombres les guerres politico-tribales qui menacent de la ruiner pour encore longtemps …

Osons le dire, les dirigeants africains ont, depuis les indépendances, fait plus de tort à l’Afrique que l’entreprise coloniale (tant décriée) qui apporta l’instruction, la santé et la démographie, ainsi que l’introduction dans la communauté internationale. A ce sujet, j’ai bien aimé la dénonciation faite l’humoriste Dieudonné dans son sketch intitulé « Le président africain ». Dans les décennies 1970 et 1980, nous entendions déjà certains de nos anciens, qui étaient nés et avaient grandi en pleine époque coloniale, se demander « quand est-ce que cette mode appelée indépendance prendra-t-elle fin ? » C’était un cri de désespoir !
Alors, nous devrions plutôt copier sur le peuple Juif qui a su tirer des leçons de son histoire faite depuis des millénaires d’une répétition de grandes souffrances. Juste pour rappeler quelques faits historiques, disons que les Israélites vont subir de la part des Assyriens, dès le VIIIe siècle av. JC, la violente conquête qui marque la fin du royaume d’Israël et le début la Diaspora. Au VIe siècle av. JC, à la défaite du royaume de Juda face au conquérant Nabuchodonosor, ce peuple sera massacré et son reste déporté à Babylone pour une captivité de plusieurs décennies.

Nous connaissons bien cet épisode qui a beaucoup inspiré le mouvement Rasta et les compositeurs Reggae. De retour de captivité, il doit se battre pour assurer sa survie au milieu de toutes les puissances qui se disputent le contrôle du monde méditerranéen. En l’an 70 de notre ère, sous la domination romaine, Titus, dans une terrible répression contre ce peuple, détruit Jérusalem et le Temple de Salomon. Le mouvement de la Diaspora s’intensifie alors dans tout l’empire romain.

Pour célébrer la fête de son père Vespasien, le même Titus, devenu empereur, donna trois mille Juifs à dévorer aux bêtes. En 135, l’empereur Hadrien réprime durement une révolte juive et occasionne une grande émigration de Palestine, contraignant les Israélites à rejoindre les communautés de la Diaspora du bassin méditerranéen. Hadrien voulait disperser ce petit peuple pour le fondre dans la masse du monde méditerranéen et le faire disparaître.

Au Moyen Âge, en Occident, il va subir plusieurs brimades et discriminations qui vont se caractériser dès le XIIIe siècle par la contrainte de porter sur leurs vêtements un signe distinctif, la rouelle. Quelle humiliation ! Au moment des Croisades, accusé de sacrilèges et de meurtres rituels, il subit le fanatisme et l’intolérance chrétienne. Sa situation se dégradera au rythme de la Reconquista espagnole qui se terminera par son expulsion en 1492, suivie en 1496 par son expulsion du Portugal.

En Europe de l’Est, ce peuple de commerçants sera exposé régulièrement à des attaques accompagnées de pillages et de meurtres, les pogroms. Bref, dans l’Occident chrétien, que ce soit en France, en Angleterre, en Allemagne, en Pologne, en Russie, en Espagne ou au Portugal, les Juifs sont généralement considérés comme des étrangers détestables, premiers boucs-émissaires de tous les maux qui peuvent survenir.
Il aurait fallu que ce peuple fût particulièrement stupide pour ne pas prendre conscience de son identité et chercher des solutions à sa sécurité existentielle. Alors, à la suite de l’affaire Dreyfus en France, à la fin du XIXe siècle, le Juif hongrois Theodor Herzl fonde le sionisme politique dont l’un des objectifs est de trouver un foyer national à toute cette diaspora, un refuge pour se mettre à l’abri de cette persécution banalisée en Europe.

L’holocauste nazi, avec ses millions de morts, gêne les consciences occidentales et favorise alors la création de l’Etat d’Israël en 1948, en Palestine. Pour le Juif, l’Etat hébreu devient alors le point focal de la défense de son identité et la matérialisation de sa sécurité existentielle. Tout Juif, quel que soit l’endroit où il vit, sait qu’il y a une terre où il peut se replier en cas de persécution. La conscience juive, formée à travers les âges par toutes les épreuves, disséminée à travers la nombreuse Diaspora, anticipe désormais, crée des lobbys, afin de protéger les intérêts de sa communauté. Quoi de plus normal !
Il nous appartient, à nous Africains, de prendre conscience et de nous organiser de sorte à améliorer le destin des futures générations. Nous pouvons à la limite bénéficier du concours de bonnes volontés externes, mais personne ne le fera à notre place ! A quoi nous sert-il de réclamer une primauté dans la souffrance si nous n’agissons pas pour éviter les répétitions du passé. Ne nous trompons pas de combat !

En plus, les efforts déployés par les autorités israéliennes dans les années 1980, pour exfiltrer et accueillir les Falashas, les Juifs éthiopiens, leur offrant ainsi des perspectives de vie bien meilleures, est, s’il en était besoin, une preuve que les Juifs n’ont pas de problème ‘’Noir’’. Ne nous créons pas un problème ‘’Juif’’. Arrêtons d’égarer les populations noires par des pensées fausses, au service d’intérêts personnels inavoués…
Mobiliser contre un complot juif international ? Les Juifs ont longuement médité sur leurs souffrances à répétition, ont pris avec sagesse et courage des résolutions pour leur sécurité, et ce ne sont pas nos jérémiades qui vont les distraire. Aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, Dieudonné aurait pu dire davantage sans être inquiété… car, le chien aboie et la caravane passe.

La concurrence victimaire ambiante, qui pousse à une forme d’antisémitisme ou conduit à demander des réparations pour l’esclavage ou encore à militer pour la suppression du mot ‘nègre’ du dictionnaire, est une dérive malheureuse de la pensée noire qui égare notre jeunesse et la détourne des combats qui vaillent.
Les souffrances, toutes les souffrances, doivent inspirer compassion et respect de la mémoire des victimes. Oui, les Noirs aussi ont souffert ! Mais, au lieu d’implorer pitié et réparation, de se lancer dans une concurrence à la victimisation, nous devons gérer nos sociétés avec sagesse, garantir la sécurité existentielle de nos populations, redresser nos pays et bâtir la prospérité.

Comme l’a dit Confucius, « pensez à demain, le passé ne se répare pas. » C’est dans ce combat que nous attendons l’illustration des valeurs noires, autour d’une vraie Conscience noire à développer. Nous sommes près d’un milliard de Noirs pour seulement quinze millions de Juifs, ce qui n’est pas un atout négligeable. Sans compter ce vaste territoire rempli de richesses naturelles qu’est cette belle Afrique, à laquelle il faut ajouter toutes les terres acquises comme héritages de l’esclavage aux Amériques et dans les Caraïbes ! Que de richesses entre nos mains !
Ceci dit, retenons que l’émancipation et la renaissance du monde noir ne doit pas se concevoir contre les autres avec qui nous devons cogérer le destin de toute l’humanité, mais doit se bâtir plutôt dans la coopération et l’amitié avec tous les peuples et les hommes de bonne volonté.
Fils d’Afrique, debout comme les enfants d’Israël !

par Kakou Ernest TIGORI
 
Source Senego.net