mercredi 20 novembre 2013

La « high-tech » palestinienne veut son indépendance par rapport à Israël



Le poids du secteur dépasse désormais celui de l’agriculture dans les Territoires palestiniens. Ils se font appeler les « Peeks », ces « Geeks » qui affichent fièrement en initiale le P de Palestine. Formés dans les écoles palestiniennes, puis façonnés dans des Masters « high-tech » internationaux et, pour certains, à la Silicon Valley, ils sont plusieurs dizaines à avoir fait le pari de revenir dans les Territoires pour participer au bouillonnant secteur des nouvelles technologies.


Davantage affranchi des frontières « physiques » kafkaïennes issues du conflit israélo-palestinien, le secteur fait aujourd’hui figure de locomotive d’une économie fortement handicapée par les effets de l’occupation. Selon le Bureau palestinien des statistiques, le secteur des technologies de l’information, qui représentait à peine 0,8 % du PIB palestinien en 2008, atteint aujourd’hui 11 %. Soit plus de 300 entreprises et 7 000 emplois en Cisjordanie et à Gaza. Des performances encore modestes mais qui dépassent, d’ores et déjà, celles du secteur agricole, pilier économique historique de la Palestine.

UNE IMPORTANTE RÉSERVE DE « MATIÈRE GRISE »
Ce « high-tech », qui a émergé dans les années 2000, se concentre à 40 % dans les activités de sous-traitance informatique. Les américains Cisco, Intel, Microsoft, mais également l’israélien Ness ont investi dans des sociétés-relais à Ramallah. Les Territoires palestiniens présentent, en effet, une réserve de « matière grise » – près de 2 000 ingénieurs sortent diplômés dans ce secteur chaque année – à des coûts salariaux très attractifs. La journée de travail se facture à près de 125 € contre plus de 500 € en Israël…
Mais la nouvelle génération 2.0 des Peeks refuse de se laisser confiner dans des postes de « forçats subalternes » de l’informatique, et rêve de se construire une « indépendance » dans le monde virtuel également. On ne compte plus aujourd’hui les initiatives de soutien aux pionniers de l’ère start-up en Palestine : « Start-up week-end » pour débusquer les projets prometteurs, concours de codage informatique, programmes de formation…

« CÉLÉBRATION DE L’ÉCHEC »
L’un des visages de cette nouvelle génération tâtonnante mais déterminée est Yousef Ghandour. Casquette vissée sur la tête, il a déjà à son actif cinq start-up mais elles ont toutes, malheurseusement, fini par péricliter : « Il a fallu beaucoup d’échecsavant de marcher sur la Lune », relativise ce « bosseur acharné » de 36 ans.
Dans le milieu des Peeks, il organise même des sessions de « célébration de l’échec ». Le concept : féliciter ceux qui ont eu le courage de lancer leur start-up, en dépit de l’issue funeste. « L’audace des entrepreneurs n’est pas du tout valorisée dans la société palestinienne », déplore Yousef, à la tête aujourd’hui du premier « incubateur » de start-up palestinien, Startforward (« Marche avant »).
Fondé en janvier 2013, il finance à hauteur de 15 000 € les premiers pas souvent titubants des projets 2.0. En avril 2011, le tout premier fonds capital-risque palestinien, Sadara Ventures, a également vu le jour. Fruit d’une association unique entre deux visionnaires : le Palestinien Saed Nashef, ancien programmeur de Microsoft, et l’investisseur israélien Yadin Kaufmann.
Financé notamment par la Banque européenne d’investissement (BEI), le duo compte déjà plusieurs succès en Palestine : Yamsafer – un site de réservation d’hôtels qui couvre l’ensemble du monde arabe – et Souktel – un système de SMS visant à mettre en relation demandeurs d’emploi et employeurs dans des zones reculées en Palestine, mais aussi au Rwanda ou en Égypte.

SORTIR DE LA LOGIQUE DES INVESTISSEMENTS « CHARITÉ »
Le succès de ces start-up, bien que toujours modestes – quelques dizaines d’employés –, s’explique en partie parce qu’elles comblent un des besoins les plus urgents du Proche- et du Moyen-Orient sur la toile : le manque de contenus Internet directement façonnés en langue arabe et adaptés aux besoins des internautes locaux. Ces derniers ne représentent aujourd’hui que 3 % alors qu’ils devraient être, compte tenu du poids démographique, au moins 6 fois supérieurs. Un terrain rempli d’opportunités, car nécessitant des investissements initiaux relativement modestes.
« Ce n’est pas demain que la Palestine pourra fabriquer et exporter des produits high-tech ultrasophistiqués, mais on peut voir un frémissement », analyse Faris Zaher, l’un des fondateurs de Yamsafer. En attendant, les Peeks ont un objectif : sortir de la logique des investissements « charité » des pays donateurs et ONG souvent gaspillés, pour parvenir à des financements « gagnant-gagnant » purement économiques. « Là, on aura gagné, souffle Yousef Ghandour. La Palestine aura cessé d’être seulement la Palestine. »
La percée spectaculaire du secteur high-tech israélien, assimilé à une deuxième « Silicon Valley », est au cœur du volet économique de la visite de François Hollande en Israël, qui participe mardi 19 novembre à une « Journée de l’innovation » à Tel-Aviv. Les investissements dans la recherche et le développement (R & D) représentent 4,5 % du produit intérieur brut (PIB) israélien, soit plus du double de leur niveau en France, avec une étroite collaboration entre le monde de l’entreprise, les universités ou les instituts technologiques.
Tout le gratin de la haute technologie (Intel, Google, Apple, Microsoft, Facebook) a racheté des petites entreprises israéliennes innovantes et implanté quelque 260 centres de recherche et développement. Dans cette liste, les groupes français, dont Alcatel-Lucent et Orange, font plutôt figure d’oiseaux rares. Parmi les participants du voyage présidentiel, figurent les représentants de près de 150 entreprises, dont plus de la moitié de start-up françaises.

Source La croix