jeudi 7 novembre 2013

Interview exclusive de Pascal Elbé, actuellement en Israël


Nous avons eu l’immense plaisir de rencontrer l’acteur Pascal Elbé, arrivé hier soir à  Tel Aviv, qui participe à la troisième année du festival « Livres en Scène » en Israël. Le principe de « Livres en Scène » en deux mots:  des acteurs français lisent des auteurs israéliens et inversement. Cette année, le festival rend hommage à  Albert Camus. Le festival rendra également hommage à des auteurs israéliens comme Yoram Kaniuk, David Shahar, Hanoch Levin. Alona Kimhi et d’autres. Une rencontre très intéressante. Un acteur simple et sans langue de bois, qui nous présente ses différents projets tout en évoquant sa vision et ses ressentis sur Israël...Interview... 

Tel-Avivre :  Qu’est-ce qui vous a séduit sur l’idée de participer à ce festival   »Livres en Scène 3″?C’était tout d’abord une envie de renouer avec mon désir premier qui est la scène. J’avais fait une lecture, il y a un an, d’ »Inconnu à cette Adresse » de Kressmann Taylor et je m’étais beaucoup amusé dans cet exercice. Quand on m’a proposé de participer à ce festival, que je ne connaissais pas, j’ai tout de suite trouvé l’idée séduisante. Les textes sont forts et me parlent beaucoup, aussi bien celui de Camus que celui de Yoram Kaniuk. L’opportunité , aussi, de rencontrer mes camarades israéliens et de venir en Israël, me réjouissait tout autant.
Le livre de Yoram Kaniuk « 1948 «  est un livre qui m’a bouleversé. Il m’a permis de comprendre beaucoup de choses sur la création de cet Etat, sur son passé. L’universalité de ces textes est tellement actuelle, que relire Camus me parait important. J’ai même envie de dire que c’est un acte citoyen, littéraire et presque politique. C’est un immense plaisir pour moi  de lire ces textes en Israël.
Il y a toute une nouvelle littérature qui est en train d’émerger ici. Israêl est en train de se constituer une base artistique très solide et on commence enfin à parler de ce pays comme une plateforme culturelle.
 Tel-Avivre : Pensez vous qu’un tel festival puisse être adapté en France dans le but de faire connaitre la richesse de la littérature israélienne?Je pense sincèrement qu’ il y a une curiosité pour le faire en France. Je vais presque chaque année au festival du film israélien qui rencontre à chaque fois un succès indéniable. ll y a de plus en plus d’ intérêt pour cette culture, et je ne parle pas simplement de la diaspora française.
 Tel-Avivre : Ces dernières années, vous avez joué dans « Inconnu à cette adresse », vous avez tournez dans un film qui sort jeudi sur les écrans israéliens  » Le fils de l’autre «  réalisé par Lorraine Levy ( ndlr: sortie en France il y a deux ans), vous venez de terminer le tournage du nouveau film d’Alexandre Arcadi « 24 jours » sur l’Affaire Alimi, une tragédie qui a ébranlé la France en 2006. Vous avez déclaré à ce propos, je cite : « Ilan Halimi ressemble beaucoup à l’un de mes 3 fils. Quelques années plus tard, le temps n’a rien apaisé. Il ne faut pas l’oublier, c’est un film qui parle du premier crime antisémite de la Ve République. C’est un film utile «
Est-ce la pesanteur de l’actualité et le climat économique et social ou plutôt un choix personnel d’être un peu engagé, qui vous pousse à jouer dans des œuvres plutôt graves alors que vous avez à une époque joué dans beaucoup de comédies, des films plutôt légers ?

Je revendique plus que jamais la légèreté, d’ailleurs j’en ai marre de faire des drames (rires). La comédie, c’est le genre le plus noble que je connaisse. Mes derniers projets ne sont pas des actes politiques ou engagés, mais c’est indéniable qu’il y a des choses qui me parlent et dont j’ai envie de parler. C’est vrai qu’on traverse une période trouble et j’estime qu’il est bon de s’engager au travers de certains projets. Il a plusieurs façons de s’engager, j’ai fait un premier film qui s’appelait « Tête de Turc » où  je parlais à ma façon de communautarisme et d’enfermement.   Quand on me propose » Le fils de l’autre », c’est d’abord une histoire dramatique sur un fond de conflit israélo-palestinien et mon prochain film «  24 jours », c’est une histoire qu’on connait peu ou mal, c’est un film utile et contre l’oubli, qui devait se faire. C’est pour moi le premier crime antisémite de la Ve République, et je pense que si à l’époque  on avait évalué la juste mesure des choses, on aurait peut être pu éviter ce terrible drame de l’école Ozar Hatorah à Toulouse. Il ne faut pas oublier que le procureur avait, dans un premier temps, dénié le caractère antisémite de l’affaire.
Je ne me sens obligé de rien, mais en tant qu’artiste, j’ai cette liberté qui me permet de m’engager sur certains projets.  Quand j’ai lu le scénario de «  24 jours »,  j’ai trouvé que c’était un objet de cinéma avec une dramaturgie très forte, avant d’être un objet politique.

 Tel-Avivre : Revenons un peu sur le film de Lorraine Levy c’est une histoire extraordinaire qui arrive à des gens ordinaires, des israéliens et des palestiniens, que tout oppose et qui découvrent que leurs enfants respectifs qui ont aujourd’hui 18 ans ont été échangés à la maternité. La vie de ces deux familles va basculer, c’est une histoire sur la transmission, la question de l’identité, le destin, mais aussi sur le conflit israélo palestinien. Est ce que vous pensez que le climat au Proche Orient d’aujourd’hui est plus propice à la paix qu’il y a une dizaine d’année? Non, je ne pense pas que l’on soit plus proche de la paix  qu’il y a 10 ou 15 ans. Je pense malheureusement, qu’il y a d’un coté, la colère et de l’autre, la haine, et avant tout chose une incompréhension totale.  C’est terrible de dire ça, mais je ne sais pas comment une décision politique pourrait rassembler tous ces gens. C’est ma vision des choses en tant qu’observateur extérieur, je ne me permettrais jamais de parler à la place d’un israélien.
Pendant le tournage du « Fils de l’Autre » qui s’est déroulé en Israël  et qui réunissaient des professionnels arabes israéliens, palestiniens et israéliens, j’ai entendu des choses dures de part et d’autres, qui m’ont fait réalisé que le chemin de la paix n’était pas encore pour tout de suite. Il y a une méconnaissance et une ignorance totale entre ces deux peuples, avec beaucoup de cynisme des deux côtés. On peut vivre les uns à côté des autres mais pas les uns avec les autres. Loin de moi d’appuyer cette vision, mais il faut être réaliste.
Même si le contexte actuel est plus calme, c’est plus une trêve par défaut. Ce qui pourra changer la donne, c’est le jour où Israël sera un grand producteur de pétrole et là, on va se découvrir pleins d’amis mais cette paix se basera avant tout, sur un facteur économique.
  
Tel-Avivre : Comment vous expliquez que la télévision française diffuse très peu voir pas du tout de reportages, de documentaires sur Israël autrement que par l’évocation du conflit ?Et bien justement il y a deux jours, la chaîne Canal Plus m’a appelé pour me proposer de collaborer sur un nouveau projet. Ils projettent de faire une grande thématique sur Israël, donc vous voyez ça évolue, mais ce n’est pas évident. Par exemple, j’ai travaillé avec l’Ambassade d’Israël en France  et les articles étaient signés par des pseudonymes. Pourquoi ? Par peur d’être considéré comme faisant de la propagande. Il faut toujours avancer masquer, c’est un pays où le débat est très vite passionné et où il faut montrer « patte blanche ». C’est notre histoire, c’est comme ça mais c’est cruel.
 Tel-Avivre : Revenons à des choses plus légères ! Un deuxième film en préparation en tant que réalisateur ?Oui. C’est un film qui se déroulera entre Tel Aviv et Paris, le tournage est prévu pour avril prochain, si tout se passse bien. Il parlera de ces escrocs qui vivent en tant qu’expatriés en Israël. L’un d’entre eux, sera la figure de mon film, Gilbert Chikli, qui vit à Ashdod et que j’ai rencontré à plusieurs reprises pour l’écriture du scénario. C’est un type qui s’est fait passé pour un mec de la DGSE à l’époque des attentats de Madrid et de Londres où il a joué sur la peur des gens face au terrorisme. Il a carambouillé une cinquante de banques pour 43 millions d’euros avec un culot incroyable!  C’est un escroc à l’ancienne, un type infréquentable à moitie fou mais avec une histoire forte. Il a mon attention mais pas ma considération. Israël en a marre de tous ces escrocs !
 Tel-Avivre : Merci Pascal de nous avoir accordé cette interview et merci de ton accueil  si chaleureux.
Source Tel-Avivre