Commençons par le commencement : le 28 novembre 2013 est une date à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire du judaïsme américain — et même, j’ose l’écrire, dans l’histoire tout court. Pour la première fois depuis 1888 en effet (mais à l’époque tout le monde s’en foutait), et surtout pour la dernière fois avant 70 000 ans (mais il est probable qu’à ce moment tout le monde s’en foutra), Thanksgiving et le premier soir de Hanukkah tombent le même jour, donnant naissance à la fabuleuse fête de Thanksgivukkah, qui existe vraiment puisqu’elle a même sa page Wikipedia.
Merci de noter, avant de commencer l’énumération, que l’argumentaire qui suit s’adresse naturellement aux gens qui ont au moins une vague idée du concept de Thanksgiving. Les autres sont priés, avant de continuer leur lecture, de regarder une demi-saison de n’importe quelle sitcom américaine, de s’échapper de la cave sombre et humide dans laquelle leur tortionnaire les a enfermés en 1974, ou, alternativement, de bien vouloir rendre leur carte du Front de gauche et apprécier les choses simples de la vie.
Comme je suis bonne âme, je rappelle tout de même, pour les besoins de la cause, que Thanksgiving est une fête tout-à-fait laïque, au titre de laquelle, au nom de la générosité et de la solidarité, les Américains de toutes religions, obédiences et équipes sportives favorites s’attablent en famille et entre amis autour d’une orgie de dinde, de légumes et de desserts de saison généralisée. Thanksgiving est à l’American Way of Life ce que le tiers provisionnel ou la publication des sujets du bac philo sont à l’art de vivre à la française : un grand moment de communion, solennel et chaleureux à la fois ; une pierre angulaire du vivre-ensemble ; une institution, quoi.
Bref. La liste.
1. Un Juif est un Juif, qu’il vive aux États-Unis, en France ou même au Pérou : aucune raison que nos coreligionnaires américains s’enfilent une dinde fourrée à la challah et aux noisettes pendant que nous nous contentons de quelques malheureux latkes.
2. D’ailleurs, les deux fêtes sont très proches : Thanksgiving, comme Hannukkah, racontent l’histoire d’une persécution religieuse, symbolisent la reconnaissance et la générosité, et surtout ne se célèbrent correctement qu’autour d’un bon repas.
3. Sérieusement : je ne sais pas si vous mesurez le nombre absolument dingue de possibilités culinaires offertes par Thanksgivukkah. Pour vous en convaincre, quelques exemples ici, ici et ici.
4. On l’a vu au point 1 ci-dessus, Hannukkah est un peu le parent pauvre des grandes fêtes juives. Certes, les séfarades font des beignets et les ashkénazes des latkes, mais enfin, tout cela reste assez frugal. Après sa fusion avec Thanksgiving, Hannukkah accède au statut de véritable mastodonte de l’année culinaire juive.
5. D’ailleurs, il est grand temps de remettre en question le statut du Seder de Pessah comme plus grand repas de l’année juive. Au minimum, Thanksgivukkah, c’est l’occasion d’en faire deux – dont un avec du pain. Je n’ai rien contre la sortie d’Égypte, mais un peu de concurrence de temps en temps, ça fait pas de mal.
6. Et puis, entre-nous soit dit : Thanksgivukkah, ce sera un peu votre repas de Noël à vous ! Mettez votre orgueil de côté une seconde et avouez-le au moins à vous-mêmes : cette grande table avec une dinde au milieu et des gens en pull à motif tout autour, ça vous plaît bien, pas vrai ?
7. Depuis le temps que vous voyez fêter Thanksgiving dans les films et les séries que vous téléchargez dans l’illégalité la plus complète, vous avez pas envie de le faire au moins une fois ? Comme disent mes amis américains, it’s a once-in-a-lifetime opportunity !
8. Thanksgivukkah, c’est la seule fête juive à laquelle vous pouvez inviter vos meilleurs amis goy sans qu’ils aient l’impression de se retrouver comme Lévi-Strauss, en plein stage d’observation au sein d’une tribu de cannibales d’Amazonie.
9. Attention quand même : autre once-in-a-lifetime opportunity, voir votre tante Berthe demander au cousin Maurice : « Mon fils, tu me fais passer les latkes au cranberry ? » (Adaptez l’accent en fonction de votre engeance).
10. Ne boudez pas le plaisir de célébrer une fête qui donnerait de l’urticaire à n’importe quel antisémite complotiste : la rencontre du grand et du petit Satan en un seul repas ! le complot américano-sioniste qui passe à table ! À l’heure où je tape ces imbécilités, Dieudonné espère de tout son coeur de pierre que vous n’aurez pas le cran de fêter Thanksgivukkah. Vous allez donner raison à Dieudonné ?
11. Ne le faites ni pour moi ni pour Dieudonné : faites-le pour Instagram. En termes de likes, Thanksgivukkah s’annonce comme la Rolls absolue des photos de bouffe.