La vie de Kamel Hashlamon est semée d’embûches, à commencer par son lieu de naissance : Jérusalem-Est. Seul chef cuisinier à faire l’unanimité auprès des Israéliens et des Palestiniens, il revient sur son parcours atypique pour France 24.........Détails..........
"À Jérusalem, tout est politisé. Une étincelle et tout explose. En quelques minutes, l’Est est coupé de l’Ouest et ça peut durer des mois. Et ce, chaque année ! Chaque année !".
Kamel Hashlamon sait de quoi il parle : voilà bientôt 39 ans qu’il est né dans la Ville sainte.
Dans cette ville où même la cuisine, censée réunir, divise, Kamel Hashlamon est l’exception qui confirme la guerre.
"Je suis conscient d’être un privilégié", concède celui qui est considéré comme l’un des meilleurs chefs cuisiniers de la région. À voir ses confrères lui dérouler leur carte, la main tremblante et le front perlé de sueur, cherchant l’approbation, les critiques dithyrambiques dans la presse israélienne et palestinienne, qui semblaient empruntes du légendaire lyrisme oriental, semblent tout à coup en-deçà de la réalité.
Un exploit pour un Palestinien. Car, oui, Kamel Hashlamon est né à Jérusalem-Est. Son enfance, il la passe sur le mont des Oliviers, surplomblant la vieille ville.
Dans la cuisine familiale, plus précisément. Quand ses frères et sœurs se contentent de manger, lui n’aime rien de plus que d’aider sa mère et ses tantes en cuisine.
"Enfant, je passais tout mon temps à poser des questions. Mes premiers souvenirs en cuisine sont ceux du Liban de ma grand-mère, c’est d’ailleurs à cette cuisine que je me suis consacré et qui m’a consacré."
Il se souvient, ému, de sa grand-mère, "une artiste", de son "hummus dont le goût ne [le] quittera jamais". Tout au long de sa carrière, il tentera de le reproduire.
"Le Paradis libanais", selon Haaretz
Pari réussi. Lui qui consacre toute sa vie à la "vraie cuisine libanaise", celle de sa grand-mère et du couvent libanais au sein duquel il se forme, peut se targuer d’être le seul à faire l’unanimité des deux côtés de la frontière.
"Quand j’étais chef du restaurant Turquoise, perché sur le St George Hotel, une cliente a insisté pour s’attabler après le service. J’ai accepté, nous avons discuté et ce n’est que le soir-même que j’ai su que c’était la critique la plus influente dans les médias israéliens."
L’article, paru en 2013 dans Haaretz, est retentissant. La journaliste, connue pour être une "tueuse" dans la profession, dresse le portrait d’un "Paradis libanais".
À côté de sa description des plats préparés par le chef palestinien, les banquets décrits dans "Les Mille et Une Nuits" font pâle figure. Ronit Vered décrit les "merveilleux mezzes", dont "la divine crème d’amandes et de poivrons rouges fumés", jusqu’à "l’univers splendide de plats méconnus de la cuisine libanaise". Dès le lendemain, les clients affluent.
"Il fallait plusieurs mois d'attente pour avoir une table", se souvient Kamel Hashlamon.
Mais Jérusalem reste Jérusalem. Fin 2016, l’intifada des couteaux aura raison de son talent.
Kamel Hashlamon a beau avoir fait la renommée de Turquoise, les propriétaires lui demandent de partir, imputant à sa nationalité la désertion des clients israéliens : "Quatre ans de succès et en un claquement de doigt, c’était fini."
"Jérusalem, mixte mais non métissée"
De fil en aiguille, on devine les blessures du chef. Celles d’un Jérusalémite né palestinien. Sans passeport, "sans avoir les mêmes droits". Au détour d’un check-point au cœur du quartier musulman de la vieille ville, il lâche : "C’est douloureux de sentir que je ne suis pas le bienvenu chez moi." Le sourire s’effrite.
"Ma vie de chef à Jérusalem est très dure. Ce n’est pas une ville commune", insiste-t-il. Conscient "d’avoir beaucoup de chance", il est fatigué de devoir toujours s’expliquer, se souvient des galères ne serait-ce que pour louer un appartement "de l’autre côté".
"Il faut vivre ici pour voir ce qui se cache sous le glaçage du gâteau", répète-t-il. "Jérusalem est mixte mais bien cloisonnée. Mixte mais pas métissée. Même les falafels sont différents !"
Après 20 ans en cuisine et avoir atteint des sommets chez Turquoise, il en a assez. Le décès de sa mère est un catalyseur. Il arrête tout : "J’ai pris du temps pour moi. J’ai réfléchi à ce que je pouvais faire, toujours en lien avec la cuisine mais pas dans un restaurant."
Celui pour qui la paix est bien loin, comme il le répète à l’envi, n’abandonne pas pour autant le terrain œcuménique qu’est la cuisine.
Il décide de produire ce que Palestiniens et Israéliens ont de plus en commun : le tahini.
Cette pâte de sésame, indispensable aux deux populations, est une mine d’or : "J’ai décidé de me lancer dans la production de tahini pour plusieurs raisons : il est très demandé [l’État hébreu en consomme à lui seul 50 000 tonnes chaque année, NDLR], il y a une grande variété de tahini et c’est un nouveau challenge dans ma carrière."
Début 2017, Kamel Hashlamon se rend là où se concentre toute la production régionale : Naplouse.
Il apprend les gestes pour fabriquer cet or blanc. Mais à Naplouse, il est frustré par la mécanisation du métier et en veut plus.
Il entend parler d’une méthode ancestrale prisée à Alep, en Syrie, et retrouve en Turquie la trace d’un réfugié syrien dont le père et le grand-père régnaient sur le métier. "C’est lui qui m’a tout appris."
Sa boutique "Al Yasmin" - un nom commun aux communautés juive et arabe - ouvre en décembre 2017, à Abu Ghosh.
La ville arabo-israélienne n’est située qu’à 20 minutes de Jérusalem "mais à des millénaires des conflits politiques".
Pour le trentenaire, la Ville sainte n’est plus envisageable : "Le moindre petit événement et tout s’en va. D’ailleurs, vous voyez bien que les commerçants désertent la vieille ville, ce n’est pas un lieu satisfaisant pour eux. Trop de stress et des rues désertées au moindre problème."
C’est donc dans cette ville, à mi-chemin entre Jérusalem la sainte et Tel Aviv la séculaire, que le chantre de la cuisine œcuménique – malgré tout – respire enfin.
L’odeur du sésame embaume la rue. Au milieu du magasin, une large pierre noire importée de Syrie presse lentement le sésame importé d’Éthiopie. Les clients – israéliens et palestiniens – s’enchaînent. Les chefs – israéliens et palestiniens – passent commande.
En quelques semaines, l’alchimiste remporte le prix du meilleur tahini du Moyen-Orient. La presse est de nouveau unanime. La profession aussi. Cette fois, Kamel Hashlamon a trouvé son terrain d’entente.
Source France 24
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