mardi 28 août 2018

Les Déracinés, ce livre qui parle de la shoah... et nous en dit tant sur la crise des migrants

 
Il y a longtemps qu'un livre ne m'a ému autant que celui de Catherine Bardon, Les Déracinés (Les Escales, 2018). Cette amoureuse de la République Dominicaine, qui y a longtemps vécu, et dont c'est le premier roman, nous fait découvrir une histoire absolument époustouflante et très peu connue. Bien que ce soit une œuvre de fiction, le cadre historique est rigoureusement réel.......Détails........


L'auteur fait la chronique d'un couple juif de Vienne, Wil (Wilhelm) et Almah, depuis l'enfance de Wil en 1921, et jusqu'à sa mort accidentelle en 1961. Bardon a fait un gros travail de documentation pour fournir un récit émotionnel, très précis et très bien écrit, de ce qui est arrivé à ce couple.
Almah, fille d'un riche chirurgien juif, et Wil, journaliste débutant, fils d'un imprimeur, tombent amoureux l'un de l'autre dès leur première rencontre, en 1931.
Ensemble, ils assistent à la montée du nazisme et au déferlement de la passion antisémite à Vienne, en observant, impuissants, comment la ville tellement spirituelle qui a vu naître tant de génies littéraires, musicaux et artistiques, la ville où il était si bon vivre, plonge dans l'adoration du Führer, bien avant l'Anschluss.
Vers 1938, il devient évident que les Juifs doivent quitter l'Autriche le plus rapidement possible.
Mais Wil et Almah ont des parents âgés qui pensent encore qu'il suffirait de se terrer pour voir l'orage passer, et le jeune couple ne veut pas les abandonner. Bientôt il sera trop tard.
Lorsque, après l'Anschluss, en avril 1938, les autorités allemandes commencent à pousser "leurs" Juifs vers l'émigration, tout en les dépouillant de leurs biens, les possibilités d'avoir un visa pour aller ailleurs se rétrécissent d'un jour à l'autre.
En juillet 1938, se tient l'infame conférence d'Evian où une trentaine de pays dont la majorité de l'Amérique Latine essaient de trouver une solution pour l'accueil des Juifs.
Aucune solution n'est trouvée, aucun pays ne veut de ces Juifs, majoritairement laïques et cultivés, qui pourraient contribuer à l'essor de n'importe quel pays du monde, à l'improbable exception de la République Dominicaine dirigée par un dictateur, Rafael Trujillo, qui offre 100.000 visas à des jeunes réfugiés juifs. Grâce à ces immigrés européens, Trujillo, un raciste anti-noir, compte faire "blanchir" un peu sa population et faire développer l'économie nationale.
Mais personne ne se jette sur cette offre d'une république bananière où sévit la terreur contre des opposants politiques et des Haïtiens.
Et pourtant! Lorsque Wil et Almah, avec leur fils, sont internés pendant un an dans un camp pour les réfugiés en Suisse et qu'ils ont l'obligation de quitter ce pays peu bienveillant, la solution d'aller en République Dominicaine apparaît comme la seule issue.
Peu de Juifs font ce choix en espérant qu'une autre possibilité s'ouvrirait devant eux. En fait, pour la plupart, ils périront dans des camps de la mort nazis. Entre 1938 et 1942, seuls 650 Juifs en provenance de plusieurs pays s'établissent à Sosua, petite localité au nord du pays, au bord de l'Océan et entourée de la jungle.
Des organisations juives internationales leur imposent la création d'un kibboutz et ils vivent une incroyable aventure dans un cadre à la fois rude et paradisiaque, loin des atrocités de la Seconde Guerre mondiale, loin des combats politiques de leur pays d'accueil.
La guerre finie, la vérité sur l'Holocauste est dévoilée. C'est un énorme traumatisme pour les proches des victimes. Une grande partie des Juifs de Sosua rejoignent les Etats-Unis ou Israël. Wil et Almah, devenus fermiers, restent.

Les déracinés ont pris racine: pour eux et leurs deux enfants, la République Dominicaine est devenue leur patrie.
Je laisse le lecteur découvrir l'histoire de ce couple merveilleux dont l'amour triomphe sur diverses péripéties, ainsi que l'histoire de plusieurs autres personnages qui peuplent ce récit dense et captivant.
Ce qui m'a ému et horrifié en particulier, c'est cette opportunité manquée, pour 100.000 Juifs persécutés, de s'établir en République Dominicaine. Imaginez: cent mille sur six millions de victimes qui auraient pu avoir la vie sauve, qui auraient donné naissance à des enfants heureux, qui auraient créé des œuvres artistiques merveilleuses et auraient fait des découvertes scientifiques épatantes!
Et une poignée de Juifs seulement qui a pu en profiter. Quelle perte, quel gâchis!
C'est une énorme leçon de l'Histoire. Pour les humains, où qu'ils habitent, rien n'est jamais acquis ni garanti. Lorsqu'une menace majeure apparaît à l'horizon, il faut fuir cette menace sans penser à ce que l'on perd, car la seule chose dont la perte est définitive, c'est la vie.
Et, bien entendu, il faut fuir là où c'est possible, sans être trop gourmands. Paradoxalement, la République Dominicaine fut le seul endroit au monde où ces réfugiés indésirables furent salués à leur arrivée: "Shalom, amigos!"
Deuxième point qui m'a ému et horrifié fut le rappel de ce qu'a été la conférence d'Evian. Les Américains qui n'ont pas relevé leur quota annuel pour les Allemands et les Autrichiens, parmi lesquels l'on comptait les antifascistes et les Juifs (souvent, les deux à la fois).
Les Australiens qui n'ont pas voulu "importer un problème racial". Les Britanniques qui ne voulaient pas davantage de Juifs chez eux et qui ne voulaient pas laisser ces Juifs s'installer en Palestine, pour ne pas irriter les Arabes.
La plupart des pays européens qui n'ont même pas participé à cette conférence. On peut dire que, par leur inaction coupable, l'Europe et le monde occidental ont laissé la main libre aux nazis pour procéder à l'extermination des Juifs.
Aujourd'hui, l'histoire est en train de se répéter.
Certes, il n'y a pas Hitler, mais des millions de gens sont poussés à quitter leurs pays, qui par la guerre, comme en Syrie; qui à cause de la persécution, comme les Rohingyas ou les Yézidis; qui par la famine, comme beaucoup d'Africains. Et comme en 1938, l'Union Européenne convoque des sommets et autres conférences et cherche des solutions où chaque pays renvoie la balle aux voisins.
Nous défendons notre nid douillet, alors que la guerre fait des ravages un peu partout dans le monde. A cela, s'ajouteront bientôt des millions de réfugiés climatiques chassés de leurs pays par l'incurie de toute l'humanité, et celle du monde occidental en particulier, qui a causé un dérèglement climatique pour s'assurer une dolce vita.
Du monde occidental, la seule réponse humaniste est venue de l'Allemagne qui a accueilli plus d'un million de réfugiés sur son territoire. Ce courage coûte cher à Angela Merkel, qui risque de ruiner sa carrière, mais la population allemande est quand même moins hérissée contre les migrants que la plupart des pays-membres de l'UE.
Les Allemands, avec leur culpabilité liée à l'Holocauste, ont tiré des leçons de l'Histoire. Nous autres Européens, nous autres Occidentaux devons en faire autant. Le livre de Catherine Bardon ravive nos plaies et nous incite à plus d'humanité.

Source Huffingtonpost
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