Comment peut-on être israélien ? À la TV au 20 heures, cette nationalité est bien souvent associée à la guerre, si possible avec des enfants palestiniens assassinés. À l’heure où Israël célèbre les 70 ans de sa création, marquée par une saison culturelle France-Israël qui court jusqu’en novembre, Kichka publie sur son pays un album où aucune question qui fâche n’est éludée. Un petit chef d’œuvre de sensibilité qui remet un peu de complexité et d’intelligence dans le débat.......Détails.........
Je connais Michel Kichka depuis longtemps. Né en Belgique en 1964, ce dessinateur liégeois avait publié quelques pages dans la revue Curiosity de Michel Deligne à Bruxelles au début des années 1970.
C’est là que je l’avais croisé pour la première fois, aux côtés des idoles que nous admirions : Morris, Tillieux, Jijé, Franquin… Entretemps, il a fait son « Alya », sa « montée » en Israël.
Il est devenu un citoyen de ce pays. Je l’avais revu de loin en loin, car nous n’avions jamais coupé les ponts, et je le croisais parfois à Angoulême avec ses étudiants de l’Académie de Bezalel à qui il faisait découvrir les richesses de la bande dessinée franco-belge.
La bande dessinée israélienne contemporaine a pour ainsi dire posé ses fonds baptismaux sur les bancs de sa classe.
"Falafel sauce piquante" de Michel Kichka, une Israël loin des clichés.Avant l’Alya, la découverte des kibboutzim.© Dargaud
Nous nous sommes beaucoup rapprochés quand il a au l’ambition de publier ses bandes dessinées en France.
Jusque-là, il partageait son travail entre l’enseignement et le métier de « cartoonist », dessinateur d’humour pour la presse. Il a cofondé avec Plantu Cartoonist For Peace, une association qui lui a fait faire le tour du monde et rencontrer les plus grands chefs d’état.
J’avais contribué à faire publier en France son ouvrage « Dessins désarmants » (Ed. Berg).
Son premier album de bande dessinée, « Deuxième Génération : ce que je n’ai pas dit à mon père » (Ed. Dargaud) s’est imposé comme un des ouvrages marquants sur la Shoah.
Il y racontait, comme Spiegelman et vingt ans après lui, son expérience de fils d’un rescapé des camps de la mort nazi, son père Henri Kichka.
Un album traduit aussi bien anglais, qu’en allemand, en hébreu ou en turc. Un petit chef d’œuvre.
Service militaire dans Tsahal© Dargaud La terrible réalité de la guerre© Dargaud
Israël, comme vous ne l’avez jamais vue
Souvent quand on publie un album aussi personnel, aussi fort, il est difficile de lui donner un successeur.
Heureusement, même s’il ne l’a pas étudié, Kichka connaît intuitivement la sentence de Saint-Thomas d’Aquin : « Timeo hominem unius libri ! » (Je crains l’homme d’un seul livre !) et j’avoue que le titre de l’album « Falafel sauce piquante » recueillait dans un premier temps ma circonspection.
C’est pourtant l’un des albums les plus importants de le rentrée 2018. Avec sa bonhomie habituelle et sa grande intelligence de cœur, Kichka nous raconte Israël.
SON Israël, bien entendu, pas celui des Arabes israéliens opprimés, des Druzes et des Chrétiens qui s’inquiètent en ce moment des dérives d’un gouvernement ultra-droitisé.
Un pays qui vit au gré des guerres depuis 70 ans, préparant la prochaine juste après la dernière, mais où il faut bien vivre, puisque tel est le destin que Kichka s’est choisi, lui et les siens.
Les obsèques d’Itzhak Rabin.© Dargaud Après l’assassinat de Rabin.© Dargaud
Ce qui frappe, c’est l’incroyable clarté avec laquelle il nous raconte ces années complexes dans une multitude de détails, aussi bien dans la langue que dans le dessin.
C’est une biographie hypermnésique car chaque élément d’une case apporte une information supplémentaire, ici une pochette d’Elvis, là un poster de Milton Glaser ou un album de Gaston Lagaffe. Tout cela est d’une incroyable vérité, certaines séquences faisant parfois monter les larmes.
De ses débuts comme étudiant à l’académie Bezalel au milieu des années 1970 où on lui signifie que « la bande dessinée est réactionnaire » jusqu’à ses combats plus contemporains après la tragédie de Charlie Hebdo, on découvre un auteur sincère, enjoué, maniant la langue et le dessin avec une égale dextérité.
Sans doute perturbé par la thématique, je n’avais pas perçu avec autant d’acuité combien Kichka est un grand auteur de bande dessinée.
Son album est parcouru d’images splendides qui donnent vraiment envie de visiter son pays, mais aussi d’aphorismes que résume bien celle de sa page 37 à propos de la photographie :
« Rien n’est plus subjectif que mon objectif. » Une philosophie de la vie sans rubato, à l’état d’épure.
Sur les toits de Jerusalem Est avec son ami le dessinateur palestinien Baha Boukhari.© Dargaud
Par Didier PasamonikSource Actua BD
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