À bien des égards, l’histoire brève mais mouvementée d’Israël a débouché sur une conjonction de circonstances économiques, sociales, démographiques et politiques unique parmi les autres pays de l’OCDE. Quelques-unes de ces caractéristiques sont présentées ici ; elles sont examinées plus en détail dans la première Étude économique de l’OCDE sur Israël, publiée en 2010....
Prenons par exemple les réformes favorisant les mécanismes du marché depuis le milieu des années 80.
Les premières décennies de gestion économique d’Israël ont été marquées par une approche corporatiste, caractérisée par une présence étatique forte dans l’économie, des syndicats puissants et de fortes restrictions aux échanges. L’énergie et les télécommunications étaient entièrement aux mains d’entreprises publiques, et l’État détenait des participations conséquentes et exerçait une influence prononcée dans de nombreux autres secteurs. Bien que le pouvoir des syndicats ait sensiblement diminué depuis le milieu des années 80, il reste considérable.
Ces dernières années, les représentants des syndicats et des employeurs ont de plus en plus fait front commun sur les questions de politique publique. La politique macroéconomique a atteint un tournant en 1985, avec l’adoption d’un vigoureux « Programme de stabilisation », destiné à lutter contre l’hyperinflation et à ramener le ratio dette/PIB sur une trajectoire descendante.
Les mesures de lutte contre l’inflation ont été particulièrement efficaces et ont été suivies d’un ciblage de l’inflation au début des années 90. De fait, l’inflation annuelle s’est maintenue largement en dessous de 5 % depuis la fin des années 90.
Cette même décennie a également été marquée par de vastes réformes structurelles.
Comme dans de nombreux pays de l’OCDE, les autorités ont notamment procédé à des privatisations et réformé la réglementation pour promouvoir la concurrence.
Au-delà de ce changement de cap spectaculaire, l’économie israélienne a connu plus de chocs (positifs et négatifs) que celles des autres pays, même pendant la période relativement stable qui a suivi les années 80. L’immigration massive issue de l’ex-Union soviétique au début des années 90, la bulle Internet, la deuxième Intifada débutée à l’automne 2000 et la récente récession mondiale ont toutes eu des effets considérables sur les cycles de la production et de l’emploi.
L’influence substantielle de la bulle Internet des années 90 sur l’économie israélienne illustre le rôle prépondérant joué par les technologies de pointe dans la croissance, suscitant un intérêt considérable à l’étranger.
C’est en partie le résultat de la politique d’innovation, qui comporte notamment un système d’attribution d’aides à la R-D par concours et offre un soutien aux sociétés établies dans des parcs d’entreprises spéciaux (pépinières d’entreprises).
Parmi les autres facteurs ayant contribué au profil impressionnant d’Israël dans la haute technologie et la R-D, on retiendra son secteur de la défense relativement important, la formation des appelés à l’utilisation de technologies complexes pendant le service militaire, son vaste vivier de chercheurs au sein de la diaspora juive et les compétences techniques et scientifiques apportées par la vague d’immigrants du début des années 90.
Outre le secteur de la défense, les principaux secteurs de pointe sont la fabrication de composants informatiques, le génie logiciel, les technologies médicales et les produits pharmaceutiques.
Ainsi, le premier fabricant mondial de médicaments génériques, Teva, a son siège en Israël. En dehors des secteurs de haute technologie, l’industrie diamantaire israélienne joue un rôle important au niveau mondial, même si ce secteur ne représente qu’une faible part de l’économie.
L’agriculture ne représente aujourd’hui qu’environ 2 % du PIB, mais l’expérience connexe acquise en matière de gestion de ressources hydriques rares est devenue un autre domaine de spécialisation technologique.
Depuis un certain temps, des politiques favorables aux entreprises ont été menées pour attirer les investisseurs en Israël et les y retenir. Le pays présente toutefois des inconvénients directs pour certains d’entre eux : il est plus éloigné des principaux marchés que d’autres pays, et le contexte politique régional peut s’avérer dissuasif.
Maintenir une réputation d’excellence dans les domaines des industries de pointe et de la recherche reste également difficile du fait de la mobilité internationale de ces activités.
Des coûts de sécurité substantiels Si les ressources substantielles affectées à l’armée et aux services de sécurité ont des retombées positives sur le développement économique civil, elles représentent cependant un coût considérable.
Les dépenses publiques de personnel et d’équipement consacrées à la défense sont aujourd’hui nettement inférieures aux pics atteints précédemment, mais elles demeurent relativement élevées, atteignant environ 8 % du PIB, dont 1,5 point de PIB issu de l’aide militaire américaine.
Le budget de défense d’Israël représente malgré tout une lourde charge et affecte les ressources humaines.
Le service militaire obligatoire (trois ans pour les hommes, deux ans pour les femmes, suivis d’obligations de service de réserve) a des répercussions sur l’enseignement et le marché du travail, tout en accentuant les divisions sociales. Les Juifs ultra-orthodoxes et les Arabes israéliens en sont en effet exemptés, ce qui les favorise, mais les prive aussi d’une série d’avantages et d’aides.
Cette exclusion explique en partie un taux d’activité et des salaires moindres. En outre, il ne fait guère de doute qu’une plus forte proportion des ressources est consacrée aux dispositifs de sécurité civile en Israël que dans la plupart des pays de l’OCDE.
Les contrôles à l’entrée des bâtiments officiels sont très stricts ; on trouve fréquemment des agents de sécurité privés dans les réseaux de transport, les bureaux, les commerces, les restaurants et les bars ; et les lieux plus vastes sont souvent équipés de dispositifs de détection similaires à ceux des aéroports. L’histoire d’Israël et les caractéristiques géopolitiques de la région influent sur plusieurs aspects de l’économie.
Certains évoquent une « économie insulaire ». Bien que les flux d’échanges et d’investissement entre Israël et le reste du monde soient considérables, ils sont relativement modestes avec les économies voisines du Moyen- Orient, et les mouvements transfrontaliers de main- d’oeuvre sont également limités. Cela a élargi l’accès aux travailleurs temporaires de régions plus lointaines (comme les Philippines ou la Thaïlande), qui représentent aujourd’hui environ trois quarts de la main-d’œuvre non-israélienne.
Les liens économiques, en particulier avec les États-Unis et l’Europe, vont au-delà du commerce et de l’investissement. Israël affiche un ample excédent des transferts courants, incluant non seulement les transactions entre administrations publiques (notamment au titre de l’aide militaire des États-Unis) mais aussi les transferts entre ménages (y compris les envois de fonds) et les transferts aux ONG qui soutiennent un large éventail de groupes et de causes. Ces transferts courants représentent 2 % du PIB, ce qui est élevé pour un pays de l’OCDE.
Ces influences positives et négatives ont contribué à une croissance moyenne d’environ 4 % par an depuis 1996, soit la sixième meilleure performance de la zone OCDE.
Cette expansion a cependant été accélérée par un accroissement démographique relativement rapide. Sur la même période, le PIB par habitant n’a crû que de 1,7 %. À parité de pouvoir d’achat (PPA), le PIB par habitant, de 27 661 dollars en 2009, représentait 80 % de la moyenne OCDE (33 575 dollars), nettement en-deçà des pays de l’OCDE les mieux classés.
De plus, Israël souffre de niveaux de pauvreté élevés pour une économie développée, en particuliers chez les Arabes israéliens et les Juifs ultra-orthodoxes. L’instauration d’un environnement propice à une amélioration des performances économiques pour tous doit rester un objectif central des politiques macro et microéconomiques.
À bien des égards, l’économie est déjà engagée sur cette voie. L’absence de grave défaillance du secteur financier national a permis d’atténuer la récente récession et de connaître une reprise relativement rapide.
La découverte de nouveaux gisements de gaz naturel offshore va permettre de réduire la dépendance à l’énergie importée et de favoriser un mix énergétique plus propre.
Les recettes ainsi générées devraient renforcer les finances publiques, certes plus saines que dans beaucoup des pays de l’OCDE mais restant néanmoins à améliorer.
Le ratio de la dette publique au PIB s’élevait à 75 % en 2010, un niveau inférieur à de nombreux pays de l’OCDE mais néanmoins excessif. D’importants défis macroéconomiques subsistent toutefois. Les autorités monétaires oeuvrent dans un contexte difficile, où l’explosion des prix immobiliers et les performances économiques globales ont favorisé une normalisation précoce du taux directeur.
Celle-ci a entraîné une appréciation du taux de change, ce qui pourrait nuire à la rentabilité des exportations. La politique budgétaire devra également faire l’objet d’arbitrages difficiles.
S’il faut réduire la dette, les objectifs publics dans certains domaines, celui de la politique sociale en particulier, impliquent des dépenses supplémentaires, alors que la hausse des recettes est comprimée par des réductions de l’impôt sur les sociétés et sur le revenu, suite à un vaste programme de stimulation des entreprises.
Du côté des politiques structurelles, d’importants efforts restent à faire contre la pauvreté. Cependant, certaines mesures en cours pourraient avoir un impact positif. Les réformes de l’éducation, notamment, progressent assez rapidement sur certains fronts. Les enseignants du secondaire, par exemple, voient leur salaire augmenter en échange d’heures supplémentaires données à de petits groupes d’élèves.
Concernant les entreprises, les baisses d’impôt sur les sociétés qui se poursuivent s’accompagnent d’une simplification des procédures d’aménagement urbain et d’allègement des contraintes administratives pour les entreprises.
Mais beaucoup reste à faire, particulièrement en matière de concurrence. Selon une étude, 30 % de la valeur de marché des sociétés israéliennes sont entre les mains des 20 plus grandes holdings familiales du pays, ce qui est élevé par rapport à d’autres pays.
Les préoccupations de la population à ce sujet ont poussé le gouvernement à réunir une commission spéciale, qui rendra ses conclusions dans les prochains mois.
Par Philip Hemmings
Source L'Observateur de l'economie