jeudi 7 mars 2013

Les Arabes israéliens et le service national



La communauté arabe d'Israël est partagée entre son identité palestinienne et sa citoyenneté israélienne. Le fait que des milliers de jeunes Arabes choisissent de se porter volontaires dans le cadre du service civil national n'est donc pas à prendre à la légère, surtout lorsqu'on sait la très forte opposition que cette démarche rencontre au sein des responsables officiels et politiques de la communauté. Hamodia a cherché à en savoir plus sur ce phénomène qui prend plus d'ampleur chaque année (toutes proportions gardées).

Il y a tout juste huit ans, en février 2005, le ministre de la Défense de l’époque, Chaoul Mofaz, recevait les recommandations de la commission Ivri sur le service civil national. Dirigée par l'ancien commandant de l'Armée de l'Air, le général (res.) David Ivri, la commission avait pour objectif de définir un modèle alternatif de service civil et national pour les exemptés de service militaire (orthodoxes et exemptés pour raisons de santé entre autres), mais aussi pour les membres de la communauté arabe israélienne, qui ne sont pas appelés à servir dans Tsahal. Les travaux de la commission ont finalement abouti à la création de la Direction du service civil national et social (voir interview).
Ivri avoue avoir très vite compris que ce n'était pas par la coercition que l'État d'Israël parviendrait à encourager la population arabe à se porter volontaire dans diverses structures de service civil et qu'il était nécessaire de lui offrir des avantages sociaux et financiers pour cela.
C'est ainsi qu'il a recommandé au gouvernement de proposer aux jeunes Arabes israéliens de consacrer une année au bénévolat (avec possibilité de rempiler pour une année supplémentaire), ce qui les ferait bénéficier en contrepartie du même statut que celui des soldats ayant servi durant trois années sous les drapeaux. Durant l'année se service elle-même, ils recevraient le même salaire de base que les soldats non combattants (quelques centaines de shekels par mois) et au terme de l'année, ils auraient droit à des aides au logement, des bourses universitaires et d'autres avantages réservés jusque-là aux soldats au terme de leur service. Ce service civil est considéré en général comme un tremplin vers une entrée plus « en douceur » dans le monde du travail israélien.
Le service civil (et non pas « national », pour ne pas heurter les sensibilités des Arabes israéliens peu enclins à servir la « nation » israélienne) est donc depuis quelques années une option pour les quelque 30 000 Arabes israéliens qui atteignent leur majorité chaque année. Ils peuvent choisir entre faire du bénévolat au sein de leur communauté, dans ses écoles, maternelles, dispensaires, associations, municipalités, centres d'aides aux familles en détresse et aider les membres de la communauté « à l'extérieur », dans les hôpitaux, face à l'administration ou aux tribunaux…


Le principe conducteur étant de ne pas tenter d'« intégrer » par la force - ou par la douceur – ces jeunes bénévoles au creuset israélien, leurs coutumes et leurs valeurs sont intégralement respectées.
Et c'est ainsi que les chiffres sont passés de 637 en 2007 à 2.800 bénévoles en 2011. Et pourtant, ce ne sont toujours que 10 % des Arabes israéliens de 18 ans qui choisissent de consacrer un an au volontariat civil, et ce, malgré les avantages que ce service leur offre.
L'opposition formelle des dirigeants arabes israéliens est sans doute la raison majeure à ce désintérêt ou plutôt à cette crainte de « donner un an au pays ». Tant les députés arabes israéliens que les dirigeants religieux se sont clairement prononcés contre le service civil, certains n'hésitant pas à traiter les jeunes bénévoles de « traitres ». Des jeunes filles se sont fait tabasser au retour d'une journée passée à aider des enfants handicapés arabes, une responsable du service civil a eu ses quatre pneus crevés et les fenêtres de son véhicule brisées.
Ce service civil est en effet perçu comme une route de contournement de l'inégalité qui règne entre les Juifs et les Arabes israéliens. « Donnez-nous les mêmes droits et nous accepterons de remplir les mêmes devoirs », a déclaré le député Ahmed Tibi, qui souligne ainsi l'aspect politique du bénévolat réalisé dans un cadre étatique.


Pour les dirigeants religieux, la crainte que les jeunes ne s'éloignent de la tradition les pousse à leur refuser le droit d'intégrer le service national : ils s'inquiètent à l'idée de les voir fréquenter des Juifs ou encore des Arabes éloignés de leurs traditions.
Une autre crainte majeure : le leadership arabe a peur que ce qui est aujourd'hui du volontariat se transforme demain en obligation. “De là à nous obliger à nous enrôler dans l'armée sioniste, il n'y a qu'un pas et nous préférons donc nous éloigner de cette menace”. Toutefois, lors d'un récent sondage publié par l'institut de Jérusalem, 62 % des jeunes Arabes affirmaient qu'ils ne voyaient pas d'inconvénient à ce que le service civil ne devienne obligatoire dans les cinq ans et 40 % se disaient prêts à s'enrôler pour une année de service civil social. Toutefois, en 2007, à cette même question, ils étaient 78 % à répondre par l'affirmative. Cette baisse flagrante est le signe que la méfiance ambiante est parvenue à convaincre la population.
Mais dans ce même sondage, 87 % des candidats arabes au volontariat affirmaient qu'il était possible d'améliorer les relations entre la majorité juive et la minorité arabe. Est-ce que cette amélioration passe par le service civil ? La réponse n'est pas évidente...


Sar-Chalom Jerebi, directeur de la direction du service national civil et social (Minhélet Hachirout Haleoumi Haezra'hi Ha'hévrati) :
Je m'oppose formellement au service national imposé

Hamodia : Comment est née la Minhélet et que propose-t-il à la population arabe israélienne ? -Sar-Chalom Jerebi : la Minhélet est née en 2007 pour servir de repère à ceux qui sont exemptés de service militaire pour des raisons religieuses ou des raisons de santé ou pour ceux qui ne font pas partie, a priori, des appelés, comme les Arabes israéliens et qui souhaitent consacrer une année au bénévolat dans le cadre de leur communauté. Je peux dire que malgré l'opposition fervente à laquelle nous nous mesurons de la part du leadership arabe, nous constatons chaque année une augmentation des effectifs, la dernière année ayant été particulièrement réussie de notre point de vue puisque nous sommes passés de 1 700 volontaires en 2010 à 2 800 en 2011. 76 % des volontaires effectuent leur service au sein de leur communauté et le reste a l'extérieur, mais il est important de souligner que même lorsqu'ils sortent du cadre de la communauté, nos volontaires offrent toujours leurs services aux membres de la minorité arabe et sont au service de leur communauté.
- Comment attirez-vous ce public ?
- C'est principalement par le bouche à oreille que nous arrivent chaque année de nouveaux volontaires. Je tiens à souligner qu'en tant que directeur de la Minhélet, je m'oppose formellement au service national imposé. On ne peut obliger quelqu'un à travailler avec des enfants handicapés ou des personnes âgées. Ce serait catastrophique. En outre, toute minorité craint que la majorité ne lui impose son point de vue. Or, je crois que le fait que nous respections la communauté et soyons à l'écoute de ses besoins est notre meilleure publicité.


Source Hamodia.fr