Du gaz pour des bonnes relations de voisinage ? Israël a commencé, mercredi 1er janvier, à exporter du gaz en Jordanie.
Amman est ainsi devenu le premier client de ce que les responsables israéliens ont qualifié de "plus important projet énergétique de l’histoire" de l’État hébreu : l’exploitation des champs gaziers off-shore dans les eaux territoriales israéliennes en mer Méditerranée.
"Pour la première fois de son histoire, Israël est une puissance énergétique, à la fois capable de subvenir à ses besoins, d’obtenir son indépendance énergétique et d’exporter du gaz naturel vers ses voisins afin de renforcer sa position régionale", s’est réjoui Yossi Abu, le PDG de la société israélienne Delek Drilling, membre du consortium exploitant Leviathan, le principal gisement méditerranéen d’Israël, qui abrite environ 500 milliards de mètres cubes du précieux hydrocarbure.
Sortir de l’isolement géopolitique régional
La Jordanie avait signé en 2016 un contrat de livraison de gaz sur 15 ans pour un montant de 10 milliards de dollars avec l’État hébreu. Un accord qui a coûté cher politiquement aux dirigeants jordaniens.
Une partie de la population ne leur pardonne pas de vouloir se fournir en énergie auprès d’un pays perçu par beaucoup de Jordaniens comme l’ennemi, malgré le traité de paix entre les deux pays.
Des responsables politiques ont même appelé à saboter le pipeline qui doit acheminer le gaz de la discorde.
Mais le royaume hachémite, fortement dépendant des importations pour ses besoins énergétiques, a tenu bon. Le pouvoir espère économiser environ 500 millions de dollars par an grâce à ce contrat qui lui permet de ne pas avoir à aller chercher son gaz plus loin, et donc pour plus cher.
Pour Israël, la Jordanie n’est que la première étape de ses ambitions énergétiques.
Dans les prochaines semaines, du gaz israélien doit aussi être acheminé vers l’Égypte. Cette livraison marquerait "la plus importante coopération économique" entre les deux pays depuis le traité de paix signé il y a quarante ans à Camp David (États-Unis), a souligné Yuval Steinitz, le ministre israélien de l’Énergie.
"Cet accord est le plus important des deux car jusqu’à présent, c’était l’Égypte qui exportait du gaz vers Israël", souligne Michael Barron, consultant pour le cabinet de conseil britannique Critical Resource et spécialiste des questions d’énergie au Moyen-Orient, contacté par France 24.
Ces contrats présentent un double enjeu pour l’État hébreu. Ils prouvent, tout d’abord, que ces gisements off-shore peuvent s’avérer rentables. Ce n’était pas gagné : la mise en exploitation des trois importants champs gaziers découverts il y a dix ans au large des côtes israéliennes a été chaotique.
L'attribution contestée des licences commerciales, la politique énergétique hésitante d'Israël et la difficulté à trouver des clients n’avaient pas inspiré confiance aux investisseurs.
"Ces deux débouchés régionaux peuvent les inciter à revenir", souligne Stefan Wolfrum, qui travaille sur les questions énergétiques au Moyen-Orient pour l’Institut allemand des relations internationales (SWP), contacté par France 24.
"Cela peut aussi permettre à l’État hébreu de sortir de son isolement géopolitique régional en renforçant les liens commerciaux avec ses voisins", poursuit-il.
Dans cette optique, le gaz israélien pourrait servir de "stabilisateur régional", estime même Ezra Friedman, spécialiste de la politique étrangère israélienne, dans un billet de blog pour la revue Fathom du Britain Israel Communications and Research Centre.
À l’assaut de l’Europe
Mais ce ne sont pas quelques barils de gaz qui vont cimenter la paix entre Israël et ses voisins, d’après les spécialistes interrogés par France 24.
"La solidarité avec la cause palestinienne et l’image que les populations ont de l’État hébreu, perçue comme l’ennemi mortel, demeurent des obstacles majeurs à toute volonté des dirigeants d’approfondir leur relation avec Israël", assure Stefan Wolfrum.
Pour lui, ces nouveaux liens commerciaux peuvent néanmoins contribuer à faire évoluer les mentalités si "elles créent des emplois et des opportunités", ouvrant la voie à une normalisation progressive des relations. Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain.
Pour rentabiliser les dizaines de milliards de dollars investis dans les trois gisements gaziers off-shore, Israël cherche aussi des clients au-delà de son voisinage immédiat.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a ainsi signé, jeudi 2 janvier, un contrat avec Chypre et la Grèce pour construire un pipeline permettant d’exporter son gaz vers le sud de l’Europe.
L’objectif affiché serait de combler 10 % des besoins en énergie du Vieux Continent, souligne le Financial Times.
Mais c’est un pari risqué.
D’abord, parce que sur la route de l’Europe, Israël va devoir passer l’obstacle turc.
Ankara voit d’un très mauvais œil une alliance israélo-chypriote dans le secteur gazier en Méditerranée. La Turquie a, en effet, des vues sur des potentiels gisements gaziers dans des eaux contestées au large des côtes chypriotes et perçoit le projet israélien comme une manière de l’exclure d’un éventuel eldorado gazier.
En ce sens, "le projet de pipeline pourrait très bien exacerber les tensions existantes entre la Turquie et Chypre", note Michael Barron.
Secteur très concurrentiel
Selon l’analyste, Israël a également choisi un mauvais moment pour se lancer à l’assaut du marché européen.
"C’est un secteur de plus en plus concurrentiel, avec des poids lourds comme la Russie ou l’Algérie.
Plusieurs projets devraient voir le jour en 2020 et il y a un risque qu’Israël n’arrive pas à trouver sa place sur ce marché", explique-t-il.
Michael Barron juge qu’Israël ferait bien de lorgner plutôt du côté de l’Asie en misant sur le gaz naturel liquéfié (GNL).
"Il y a de forts besoins en Inde, en Chine ou encore en Corée du Sud et la position géographique privilégiée d’Israël pour exporter du GNL par bateau vers l’Asie pourrait jouer en sa faveur", estime le spécialiste.
Mais Israël doit encore développer des infrastructures pour liquéfier le gaz et passer des accords pour pouvoir l’exporter en utilisant des ports égyptiens par exemple.
Des démarches qui pourraient prendre des années et "dans la réalité rapidement changeante du Moyen-Orient, cela équivaut à une éternité", note Stefan Wolfrum.
Source France 24
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