mardi 7 août 2018

Indonésie : ces musulmans modérés qui souhaitent une normalisation avec Israël


Sa seule visite a fait polémique. En juin dernier, Yahya Cholil Staquf était en Israël. Secrétaire général de la Nahdlatul Ulama (NU), la plus grande organisation musulmane indonésienne, il est aussi depuis mai le conseiller du président Joko Widodo pour les affaires religieuses. Il devait intervenir entre autres à l’Israel Council on Foreign Relations, une organisation indépendante, ainsi qu’au « Global Forum » de l’American Jewish Committee, une organisation américaine basée à New York dont le but est de « défendre les Juifs du monde entier ». Pour mieux comprendre les polémiques, revenons sur l’histoire des « relations » entre l’Indonésie et Israël.......Décryptage.........
 
Yahya n’est pas le premier dirigeant de la NU à se rendre en Israël. En 1980, Abdurrahman Wahid, alors membre du conseil consultatif de l’organisation, avait fait le voyage.
En 1994, à l’invitation de Shimon Peres, un des artisans des accords d’Oslo qui aboutira à la création de l’Autorité palestinienne, « Gus Dur », comme on l’appelle familièrement, va à Jérusalem pour assister à la signature du traité de paix entre Israël et la Jordanie.
Malgré les critiques d’autres organisations musulmanes, dont la Muhammadiyah, il retourne en Israël en 1997 et devient membre du conseil administratif du Centre Peres pour la Paix.
Cela n’aurait évidemment pas été possible sans le consentement tacite du régime autoritaire de Soeharto.
Durant sa présidence (1999-2001), Gus Dur ne pourra pas aller en Israël mais s’y rend ensuite deux fois en 2003, notamment pour rencontrer le Premier ministre Ariel Sharon.
En fait, l’Indonésie n’a pas encore de relations diplomatiques avec Israël. En 2016, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s’est vu opposer une fin de non-recevoir lorsque devant une délégation de journalistes indonésiens invités en Israël, il a appelé à une normalisation entre les deux États.
Le ministère indonésien des Affaires étrangères a alors rappelé la position de son gouvernement, qui pose comme préalable à l’établissement de telles relations diplomatiques la création d’un État palestinien.
Quant au parlement indonésien, il déclare qu’une condition préalable est "la fin de l’occupation israélienne des territoires palestiniens".
Cette position vis-à-vis d’Israël prend racine dans les débuts de la diplomatie de l’Indonésie, qui proclame son indépendance en 1945.
Les Pays-Bas, chassés des Indes néerlandaises quand les troupes japonaises débarquent en 1942, reviennent dans l’archipel pour récupérer ce qu’ils considèrent comme étant toujours leur colonie.
C’est le début d’un conflit qui ne prendra fin qu’en 1949, lorsque les Pays-Bas acceptent de transférer aux Indonésiens la souveraineté sur le territoire de leur ancienne colonie.
En 1946, la Ligue arabe, fondée en 1945 au Caire, émet une première résolution soutenant l’indépendance de l’Indonésie, puis une deuxième recommandant sa reconnaissance.
En 1948, elle envoie un télégramme aux Nations Unies demandant un arrêt immédiat des actions militaires néerlandaises dans le pays.

Solidarité postcoloniale

En 1949, au moment du transfert de souveraineté, Israël, qui a lui-même proclamé son indépendance l’année précédente, envoie un télégramme de félicitations au gouvernement indonésien.
Ce dernier se contente d’en accuser réception sans proposer d’établir des relations diplomatiques.
Au début des années 1950, des échanges officieux ont lieu entre les deux États. Mais les tensions croissantes entre les pays arabes et Israël amènent le gouvernement indonésien à cesser ces relations en 1953.
En 1954, l’Indonésie porte devant les Nations Unies la question de la Nouvelle-Guinée occidentale, qu’elle revendique et dont le statut devait être discuté avec les Pays-Bas dans la foulée du transfert de souveraineté. La Ligue arabe soutient Jakarta dans ce différend.
En 1955 se tient la Conférence afro-asiatique de Bandung, à laquelle Israël n’est pas invité. Mue par un esprit clairement anticolonialiste et anti-impérialiste, cette conférence est un des préludes à la fondation du « Mouvement des non-alignés » en 1961.
C’est ce qui fait dire à Colin Rubenstein, directeur de l’Australia/Israel and Jewish Affairs Council, que « c’est davantage pour des raisons de solidarité post-coloniale que pan-islamique que l’Indonésie a soutenu les Arabes dans leur conflit avec Israël, que Soekarno* regardait comme une tête de pont de l’impérialisme occidental dans le monde afro-asiatique émergent ». 
Soeharto, le successeur de Soekarno, prendra le contrepied de ce dernier en matière de politique, sauf pour Israël.
La Guerre des Six Jours va néanmoins changer l’attitude du régime. La suprématie militaire israélienne impressionne les généraux indonésiens. Des contacts officieux sont établis.
Israël vend des armes, dont des avions de combat et des hélicoptères, à l’Indonésie. Des délégations d’hommes d’affaires israéliens se rendent en Indonésie.
Les touristes israéliens obtiennent la possibilité de visiter le pays, tandis que les Indonésiens sont autorisés à se rendre en pèlerinage à Jérusalem. En 1993, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin se rend en Indonésie.
En 1997, l’homme d’affaires israélien Steve Stein est nommé consultant de la compagnie d’assurance d’État indonésienne PT Asuransi Jasindo, dans le but de promouvoir le commerce et l’investissement entre les entreprises des deux pays. Puis Jasindo ouvre un bureau à Tel Aviv.
Soeharto démissionne en 1998.
Un an plus tard, le parlement issu des premières élections démocratiques depuis celles de 1955 élit Gus Dur président.
Celui-ci plaide pour une normalisation des relations avec Israël. Il décide d’établir des relations commerciales avec l’État hébreu.
Les ambassadeurs de seize pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord demandent des explications au ministre indonésien des Affaires étrangères. Des membres d’organisations de jeunesse musulmanes organisent des manifestations devant le parlement. Gus Dur n’obtient pas l’aval de ce dernier et doit abandonner son projet.
Cela n’empêche pas une croissance des échanges commerciaux entre l’Indonésie et Israël.
En 2002 est créé l’Indonesia-Israel Public Affairs Committee (IIPAC), à la tête duquel est nommé un Indonésien juif qui a étudié en Israël, Benjamin Ketang, membre de la Nahdlatul Ulama.
Ce n’est toutefois qu’en 2010 que l’IIPAC est officiellement inaugurée. L’année précédente, une Chambre de commerce Israël-Indonésie avait été établie à Tel Aviv.
Les échanges commerciaux indonésiano-israélien atteignent 400 à 500 millions de dollars en 2015.

Survols interdits

Les échanges entre les deux pays ne se limitent pas au commerce. Le dossier diplomatique avance, mais plus lentement.
En 2012, il est convenu que l’Indonésie ouvre un consulat à Ramallah en territoire palestinien occupé, où un diplomate indonésien tiendrait lieu d’ambassadeur officieux pour Israël.
En 2013, une délégation de parlementaires indonésiens se rend en secret à la Knesset, le parlement israélien.
Mais lorsqu’en 2016, la ministre indonésienne des Affaires étrangères Retno Marsudi veut se rendre à Ramallah pour inaugurer ce consulat, Israël n’autorise pas le survol de l’hélicoptère jordanien qui devait l’y emmener. La cérémonie se tient finalement dans la capitale jordanienne, Amman.
La vice-ministre israélienne des Affaires étrangères Tzipi Hotovely déclare alors devant la Knesset qu’elle s’était auparavant rendue secrètement à Jakarta pour préparer la visite de Retno et que cette dernière avait violé l’accord convenu à ce moment-là.
Lorsqu’en 2017, Netanyahou veut se rendre de Singapour à Sydney, son avion, qui appartient à la compagnie nationale El Al, n’obtient pas l’autorisation de survol du territoire indonésien et doit faire un détour par les Philippines et la Papouasie Nouvelle-Guinée, ce qui fait passer le temps de vol d’un peu plus de 7 heures à plus de 11 heures.
En matière de tourisme, les rapports sont plus ouverts. En 2015, le gouvernement indonésien annonce qu’il va ajouter plusieurs pays à sa liste de dispense de visa pour les touristes.
Selon la presse, cette liste pourrait inclure Israël.
En mai 2018, le quotidien israélien titre : « Des progrès dans la délivrance de visas de tourisme en Indonésie pour les Israéliens ».
La direction générale indonésienne de l’immigration nie aussitôt. Peu de temps après, pour protester contre les morts causés par des tirs israéliens contre des manifestants palestiniens de Gaza qui s’approchaient de la frontière israélienne lors d’une « Grande marche du Retour », le gouvernement indonésien décide d’interdire l’entrée de touristes israéliens.
L’État hébreu réplique par la réciprocité (36 000 Indonésiens ont visité Israël en 2017). Finalement, après des contacts discrets, l’interdiction est levée des deux côtés.

Les obstacles à la normalisation

Ces hauts et bas restent incompréhensibles si l’on ignore ce qui motive les déclarations officielles indonésiennes. La position de l’Indonésie de Soekarno avait deux raisons.
L’une, idéologique, avait pour fondement l’anticolonialisme et l’anti-impérialisme qui caractérisait la politique indonésienne de l’époque.
L’autre était l’intérêt qu’avait l’Indonésie à avoir les soutiens des pays arabes dans sa revendication de la Nouvelle-Guinée occidentale.
Ces deux raisons devenaient caduques avec la prise de pouvoir en 1966 par Soeharto, un général anticommuniste soutenu par les États-Unis, puis avec la validation en 1969 par les Nations Unies d’un « acte de libre choix » par lequel les représentants papous désignés par le gouvernement indonésien approuvaient l’intégration de la Nouvelle-Guinée dans la République d’Indonésie. La présidence de Gus Dur a accéléré des échanges qui avaient commencé sous Soeharto.
C’est pourtant sous Soeharto qu’un autre obstacle va apparaître. Ainsi, le voyage de journalistes indonésiens en Israël en 1994 va déclencher les protestations de groupes islamistes.

De telles protestations osent en effet s’exprimer depuis le tournant « musulman » de Soeharto.
En effet, comme l’écrit le politologue français François Raillon, spécialiste de l’Asie du Sud-Est, « à la fin des années 1980, la divergence qui s’accroît entre Soeharto tout-puissant et les généraux marginalisés amène l’autocrate javanais à pactiser avec l’islam ». Soeharto met fin à sa politique d’endiguement de l’islam.
Il se rapproche des milieux musulmans et se rend ostensiblement en pèlerinage à La Mecque en 1990. Mais dans ces mêmes milieux musulmans s’expriment des voix critiques de son régime. Soeharto se tourne alors vers les milieux ultraconservateurs de l’islam.
La fin de son régime signifie une ouverture démocratique qui favorise un essor de l’islamisme que Yahya, le secrétaire général de la NU, considère comme un « rebond » de ce projet d’État islamique.
Il est en tout cas un obstacle à toute normalisation des rapports entre l’Indonésie et Israël.
Pour Colin Rubenstein, « la source la plus bruyante du sentiment anti-israélien en Indonésie ces dernières années a été les groupes islamistes radicaux pour lesquelles un antisémitisme virulent est devenu preque un article de foi ». Mais ce sentiment semble être bien plus largement répandu.
Ainsi d’après l’Anti-Defamation League, une organisation américaine fondée en 1913 pour lutter contre l’antisémitisme aux États-Unis, 48% des Indonésiens adultes sont antisémites.
Un sondage de la BBC publié en 2014 montre que 75% des Indonésiens ont un point de vue négatif sur Israël.
Dans une interview avec le quotidien israélien Haaretz en 2004, Gus Dur affirmait : « Il existe une perception erronée selon laquelle l’Islam est en désaccord avec Israël. Elle est le fait de la propagande arabe. Nous devons distinguer les Arabes et l’Islam. »
Il n’empêche que tout signe de rapprochement avec Israël déclenche des protestations de la part des islamistes.
L’affaire Ahok a démontré la capacité de milieux d’affaires que dérange la politique du président Joko Widodo, alliés à des secteurs de l’armée qui souhaiteraient retrouver un rôle politique, à se servir de la capacité de mobilisation des islamistes.
On peut supposer que tout geste de ce gouvernement qui irait dans le sens d’une normalisation des rapports avec Israël serait exploité par ces groupes d’influence.
Cette capacité de mobilisation montre en tout cas qu’une partie importante des Indonésiens musulmans sont sensibles aux arguments des islamistes. C’est le résultat d’un missionnariat wahhabite financé par l’Arabie saoudite qui depuis les années 1975, diffuse impunément en Indonésie une conception rigoriste et rétrograde de l’islam.
Par ailleurs, les concessions faites aux islamistes par le régime Soeharto, dont Yahya, dans un article paru en mai dernier dans le Jakarta Post, dresse une liste, n’ont pas été remises en causes par les gouvernements suivants.

Un normalisation souhaitée

Nous ne confondons pas l’islamisme avec le terrorisme islamiste. Que la NU affirme que ce dernier a un lien avec la tradition islamique est une chose, mais ce n’est pas notre propos ici.
Ce qui nous intéresse, c’est la possibilité d’une normalisation des rapports en l’Indonésie et Israël. Israël la souhaite, d’une part parce que l’Indonésie est un marché potentiel important pour lui, et d’autre part parce qu’une reconnaissance par l’Indonésie aurait le poids du quatrième pays le plus peuplé du monde et de sa seizième économie mondiale, membre du G20. Elle est sans doute moins urgente pour l’Indonésie, pour qui Israël est d’abord et avant tout une source de technologies.
Sur le plan militaire, Jakarta cherche à diversifier ses fournisseurs : l’armée de l’air indonésienne a ainsi acquis quatre drones de fabrication israélienne. Israël intéresse également l’Indonésie dans le domaine civil : des médecins indonésiens ont par exemple reçu une formation en Israël en 2008.
Mais nous avons vu que depuis l’époque de Soeharto, le gouvernement indonésien souhaitait cette normalisation.
En l’occurrence, sa grande alliée est la Nahdlatul Ulama. La motivation de l’organisation n’est pas la « judéophilie » d’un Gus Dur, qui aimait dire que son livre préféré était My Name Is Asher Lev de l’écrivain juif américain Chaim Potok.

La Nahdlatul Ulama demande qu’on ne considère pas la question palestinienne comme un problème religieux mais humanitaire.
Cela dit, Yahya pense que les hommes de religion peuvent et doivent contribuer à la recherche d’une solution aux conflits qui ravagent notre monde. Cela inclut évidemment les dirigeants religieux musulmans.
Pour cela, la plus grande organisation musulmane du monde considère nécessaire une réinterprétation du Coran au regard des défis du monde moderne.

Source Asialyst
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