Le fanatisme. Tel est le cœur de ce prodigieux documentaire que France 2 programmera le 21 novembre à 22 h 35. Encore un sujet sur les djihadistes, pensera-t-on ? Pas du tout. La protagoniste, cette fois, a pour nom Magda Goebbels......Détails et vidéos.......
À ceux qui verraient l'histoire comme la peau morte d'un serpent qui ne remue plus, nous conseillons cette heure sidérante en compagnie de la première dame du Reich, la première mère aussi, qui se supprima en envoyant ses six rejetons au paradis des enfants nationaux-socialistes.
Pourquoi un tel geste barbare qui demeure l'une des énigmes d'un siècle qui ne le fut pas moins ?
Le réalisateur Antoine Vitkine apporte plusieurs éléments de réponse très convaincants, fort d'intervenants qui vont de l'historien Fabrice d'Almeida à l'ethnopsychiatre Tobie Nathan, auteur d'un récit sur Arlozoroff, l'amant juif de Magda Goebbels – fort aussi d'innombrables films de propagande tournés sur les enfants Goebbels – des images qui font froid dans le dos, nous y reviendrons –, fort enfin de témoignages inédits en France, ceux de sa mère, de son ex-mari Günther Quandt et de sa meilleure amie, sa belle-sœur Ello Quandt, recueillis en 1952 par Hans-Otto Meissner.
Magda Goebbels parle enfin, pourrait-on résumer grossièrement.
Avec Hitler, elle a trouvé son Eureka
L'ennui : c'est le premier mobile qui jette la grande-bourgeoise Magda Quandt, épouse divorcée d'un des principaux actionnaires de BMW, dans les bras du nazisme et de son tourbillon supérieurement mis en scène.
"Rejoignez-nous, l'ennui s'évanouira", lui murmure en 1930 le prince de Hohenzollern, nazi convaincu, lors d'un dîner mondain.
Avec Hitler, elle a trouvé son Eureka, précise Tobie Nathan, rappelant que cette orpheline allemande élevée et déplacée en Belgique a manifestement un problème de filiation et qu'elle est en quête d'une vision ferme et stabilisée du monde que lui offrira le nazisme. Une problématique qui trouve de multiples échos aujourd'hui.
Pourquoi lui réserve-t-on le meilleur accueil dans les hautes sphères ? Elle est belle, issue de la meilleure société, dispose d'un utile carnet d'adresses, bref, elle apporte cette respectabilité dont les petits-bourgeois voyous du NSDAP ont désespérément besoin, à l'heure de la conquête du pouvoir. Son narcissisme est évidemment comblé.
Premier temps d'une dépersonnalisation qui la voue au régime, au point d'éliminer tout ce qui la renvoie à son passé compromettant, son beau-père juif, Friedländer, envoyé dans un camp, et son ex-amant juif, Viktor Arlozoroff, qui l'avait jadis incitée à apprendre l'hébreu, éliminé en Palestine par les services de son mari, Josef Goebbels. Couper tout lien avec sa vie antérieure : on connait cela aussi.
"Mon amour pour Hitler est plus fort que celui pour mon mari", écrit-elle à sa belle-sœur. Un étrange manège à trois se met en place : Hitler, qui ne peut s'engager ouvertement, officiellement, avec une femme, laisse Magda à Josef Goebbels tout en lui concédant une place unique à ses côtés. Elle devient "la part féminine du régime".
Deuxième temps d'une identification où sa quête de sens et de pouvoir est pleinement assouvie.
Six enfants en huit ans dont le prénom commence par un H
Le troisième temps est l'instrumentalisation complète de ses enfants au service du Reich.
À partir de 1935, Hitler et Goebbels lui font comprendre que la première dame se doit d'être la première mère. L'égérie est désormais cantonnée dans ses grossesses – six enfants en huit ans dont le prénom commence par un H – et reçoit la première "Croix de mère" des mains de Hitler, "père" idéologique de sa progéniture. En menant une recherche intégrale sur les films de propagande concernant les enfants Goebbels – principalement au Bundesarchiv de Berlin –, Antoine Vitkine a pu établir que certains mois, ils apparaissaient plus souvent aux actualités que Hitler lui-même.
Sur un plan volé, qui montre le contre-champ, on découvre l'équipe professionnelle du ministère de la Propagande, le ministère de leur père, qui filme les jeux innocents des Goebbels juniors. Suivis à la trace, marqués à la culotte, ils incarnent la famille idéale.
Les enfants ignorent que ces images où ils batifolent aussi avec Hitler ou des SS de la division Totenkopf sont projetées dans tous les cinémas du Reich, mais aussi qu'elles sont montées parfois, parce qu'ils incarnent la race pure à venir, en contraste avec des plans des malades que le régime explique vouloir éliminer.
Magda Goebbels en est bien évidemment consciente : avant même de mettre fin "à leur vie nationale-socialiste", elle les a livrés pendant des années en pâture de ce national-socialisme.
Les lettres qu'elle adresse à sa mère et à sa belle-sœur Ello Quandt démontrent qu'elle avait aussi prémédité son geste depuis des mois.
"Hitler ne meurt pas sans Goebbels et Goebbels ne meurt pas sans moi et mes six enfants." CQFD. Rien ne peut la faire dévier d'une décision à laquelle Hitler lui-même est opposé. Ses enfants sont trop beaux, trop bons pour le monde qui les attend.
Un monde où le national-socialisme, dont elle a pris conscience de l'échec, aura péri. Il n'y a pas de vie en dehors du national-socialisme.
"Un suicide mélancolique", analyse Tobie Nathan, "je meurs avec tous mes objets". Ses enfants ont été en effet objectivisés, réduits à des symboles du régime, conséquence ultime du totalitarisme et de sa nature : la dépersonnalisation.
L'une des dernières scènes du documentaire montre les enfants Goebbels filmés riant dans une calèche, comme s'ils partaient à l'aventure. Lorsque leur mère leur apprit en mars 1945 qu'ils allaient quitter leur maison du Bogensee pour rejoindre tonton Hitler dans son bunker de Berlin, elle leur servit une dernière fiction : ils allaient participer à un western. Helmut, le garçon, se déguisa du reste en Indien.
Le nazisme a envoyé à la mort des centaines de milliers d'enfants juifs. C'est aussi finalement selon la même logique fanatique, où l'idéologie exclut radicalement la possibilité de l'autre, qu'elle envoya à la mort ses enfants-modèles.
Magda Goebbels, la première dame du IIIe Reich, France 2. Mardi 21 novembre, 22h 35
Source Le Point
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