Des neurologues israéliens rapportent une observation absolument unique dans un article paru en ligne le 10 mai dernier dans la revue Epilepsy and Behavior. Ils ont eu l’extraordinaire privilège d’enregistrer, en temps réel, la brusque survenue d’un délire religieux chez un épileptique. Celui-ci a eu une révélation messianique alors qu’il était sous enregistrement vidéo et électroencéphalogramme...
Le patient est un homme de 45 ans, célibataire, ouvrier dans une usine. Ce juif sépharade est pratiquant, mais sans plus. Il n’a pas de sentiments religieux très profonds et ne manifeste pas de curiosité particulière pour l’étude des textes bibliques.
Il souffre depuis l’âge de 7 ans d’épilepsie (crises généralisées tonico-cloniques). Traité depuis l’âge de 9 ans, il n’a pas fait de convulsions jusqu’à ses 23 ans, date à laquelle l’épilepsie se manifeste à nouveau.
Il souffre alors de crises non accompagnées de grandes manifestations motrices et au cours desquelles il ne perd pas connaissance. Il présente simplement un tremblement des lèvres, des modifications d’intonation de la parole. Une fois la crise terminée, il se plaint d’un ralentissement de la pensée pendant quelques minutes.
Ces crises, rebelles au traitement, durent de 30 à 60 secondes et se produisent parfois jusqu’à vingt fois par jour. Lorsqu’elles se produisent en salves, elles provoquent un état d’anxiété généralisée.
Le patient est donc adressé dans un service hospitalier pour une exploration vidéo EEG en continu.
Au fur et à mesure que les médecins réduisent les doses du traitement antiépileptique, plusieurs crises stéréotypées se produisent. Allongé sur son lit, le patient indique à chaque fois sentir qu’il va faire une crise puis se met à mastiquer, à regarder à gauche, puis sa main gauche tremble légèrement. Puis c’est au tour de la main droite de remuer.
Le patient reste confus pendant quelques minutes mais ne perd pas connaissance. L’enregistrement EEG lors de ces crises montre une activité de la région temporale droite, suivie d’une activité généralisée (décharges de pointes-ondes).
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) du cerveau montre, du côté droit, une lésion étendue avec apparition d’un tissu cicatriciel, que les neurologues appellent une « sclérose temporale mésiale ».
Huit heures après la dernière crise, alors qu’il est allongé sur son lit, le patient se fige soudainement et regarde fixement le plafond pendant plusieurs minutes, puis déclare qu’il sent que Dieu s’approche de lui.
Il se met alors à doucement entonner des prières et à chercher sa kippa qu’il pose sur la tête.
Puis, brusquement, crie « Et toi, Dieu, mon Seigneur ! ». Il déclare alors que Dieu s’est révélé, lui ordonnant d’apporter la rédemption au peuple d’Israël. Le patient se lève alors et retire de son cuir chevelu toutes les électrodes de l’électroencéphalogramme.
Il se met ensuite à déambuler dans le service et tente de convaincre les gens de le suivre en déclarant « Dieu m’a envoyé vers vous ». Interrogé par les neurologues, il concède ne pas avoir de plan précis mais est certain que Dieu va lui donner ses instructions afin que lui-même et les gens qui le suivront sachent que faire sur le chemin de la rédemption. Cet état psychotique va disparaître en quelques heures sous traitement neuroleptique.
L’évaluation psychiatrique de ce messie autoproclamé montre qu’il présente une « psychose postictale », autrement dit un trouble psychotique qui est la conséquence directe d’une épilepsie.
Ce délire aigu, de brève durée, survient soudainement après une salve de crises épileptiques. Ce trouble affecte principalement les patients atteints d’une épilepsie, résistante au traitement, évoluant depuis une quinzaine d’années. La psychose postictale survient presque exclusivement chez des patients souffrant d’épilepsie du lobe temporal, en particulier chez ceux présentant une sclérose temporale mésiale, notent le Dr Shahar Arzy du département de neurologie du centre médical de l’université Hadassah (Jérusalem) et son collègue chercheur Roey Schurr du département des neurosciences médicales de l’université hébraïque de Jérusalem.
Les symptômes sont très variables, mais les hallucinations auditives et les thématiques religieuses ou de grandeur sont souvent au premier plan.
N’ayant foi qu’en la science, les auteurs examinent le tracé EEG de ce patient qui vient de leur donner l’incroyable opportunité d’assister en direct à un « délire religieux grandiose » associé à un « zèle messianique » lors d’une psychose postictale.
Une véritable révélation sur le plan neurologique ! En effet, c’est la première fois que des neuroscientifiques sont en mesure d’analyser l’activité électrique cérébrale dans un tel contexte.
Les auteurs comparent les signaux EEG enregistrés pendant les premiers instants du délire religieux et en dehors d’une crise (plusieurs heures avant). Ils confrontent également ces tracés à ceux obtenus chez 12 sujets sains contrôles. Les enregistrements EEG du patient révèlent une hyperactivité significative dans la bande des ondes gamma à faible fréquence (30-40 Hz). La source de cette hyperactivité se situe dans le cortex préfrontal gauche.
Aucune différence n’est observée dans les autres bandes d’ondes cérébrales chez ce patient, pas plus que chez les sujets contrôles dont l’analyse a également été menée à deux moments différents séparés par le même laps de temps.
Des études antérieures de scintigraphie cérébrale (SPECT) ont montré que cet état psychotique est associé à une augmentation du débit sanguin à la fois au niveau du cortex temporal et du cortex préfrontal chez des patients présentant une épilepsie temporale, sans que l’on sache d’ailleurs si cette hyperperfusion est la cause ou la conséquence de la psychose postictale.
On ignore surtout quels sont les réseaux neuronaux activées lors de ce trouble psychotique survenant après une série de décharges épileptiques très rapprochées. Les auteurs israéliens estiment que la propagation de l’hyperactivité enregistrée dans la bande des ondes cérébrales gamma de faible fréquence dans le cortex préfrontal gauche de leur patient pourrait entrainer le dysfonctionnement d’un réseau neuronal très étendu, dépassant de loin le strict cortex préfrontal.
Mais cela ne reste qu’une hypothèse. Une manière de reconnaître que le délire religieux dont ils ont été miraculeusement témoins garde une fascinante part de mystère.
Par Marc Gozlan, journaliste à Sciences et Avenir
Source Tribune Juive