vendredi 15 avril 2016

Haftara Chabbat Hagadol : Servir Dieu en vain

 


Shabbat hagadol, le grand shabbat est le shabbat qui précède la fête de Pessah. On lit alors une Haftara spéciale, en fait la fin du livre de Malachie ou le "testament de Dieu". Voici le texte en français suivi de deux analyses pertinentes....





Texte en français :


Alors l’Eternel prendra plaisir aux offrandes de Juda et de Jérusalem, comme il faisait aux jours antiques, dans les années d’autrefois.
Et je m’approcherai de vous pour faire justice ; je serai un témoin empressé contre les magiciens, contre les adultères, contre les parjures ; contre ceux qui font tort au journalier dans son salaire, à la veuve et à l’orphelin, contre les oppresseurs de l’étranger, qui ne s’inquiètent pas de moi, dit l’Eternel-Cebaot.
Parce que moi, Eternel, je ne change pas, vous aussi, enfants de Jacob, n’avez pas été anéantis.
Dès le temps de vos ancêtres, vous avez dévié de mes lois et n’en avez tenu compte. "Revenez à moi, et je reviendrai à vous," dit l’Eternel-Cebaot, et vous dites : "Sur quoi devons-nous revenir ?"
L’homme peut-il frauder Dieu ? Et cependant vous me fraudez ; puis vous dites : "Sur quoi t’avons-nous fraudé ?" Sur la dîme et sur les taxes de prélèvement.
La malédiction vous poursuit et c’est moi que vous prétendez frustrer, vous, le peuple tout entier !
Apportez toutes les dîmes dans le lieu du dépôt, pour qu’il y ait des provisions dans ma maison, et attendez-moi à cette épreuve, dit l’Eternel-Cebaot : [vous verrez] si je n’ouvre pas en votre faveur les cataractes du ciel, si je ne répands pas sur vous la bénédiction au-delà de toute mesure.
Et je réprimerai à votre intention le fléau dévastateur, pour qu’il ne détruise plus les fruits de votre sol ; et la vigne, dans vos champs, ne sera plus stérile, dit l’Eternel-Cebaot.
Et tous les peuples vous féliciteront, car vous serez, vous, une terre de délices, dit l’Eternel-Cebaot.
Vos paroles ont été violentes contre moi, dit le Seigneur ; mais vous dites : "En quoi avons-nous parlé contre toi ?"
Vous avez parlé ainsi : "C’est une chose vaine de servir Dieu ; que gagnons-nous à observer son culte et à cheminer tristement dans la crainte de l’Eternel-Cebaot ?
Et à présent, nous estimons heureux les impies : vraiment ils sont solidement établis, ceux qui font le mal ; oui, ils ont tenté Dieu, et ils sont demeurés sains et saufs !"
Cependant les adorateurs dé l’Eternel s’exhortèrent mutuellement ; l’Eternel écouta et entendit, et un registre de souvenir fut dressé devant lui en faveur de ceux qui craignent l’Eternel et qui respectent son nom.
Ceux-là seront un trésor pour moi, dit l’Eternel-Cebaot, au jour que je prépare ; je les protégerai comme un père protège son fils qui lui est soumis.
De nouveau alors vous verrez la différence du juste au méchant, du serviteur de Dieu à celui qui ne l’aura pas servi.
Car le voici venir ce jour, brûlant comme une fournaise ; impies et ouvriers d’iniquité seront tous comme du chaume, et ce jour qui vient va les consumer, dit l’Eternel-Cebaot, il n’épargnera d’eux ni racine ni rameau.
Mais pour vous qui révérez mon nom, se lèvera le soleil d’équité, portant le salut dans ses rayons ; et vous paraîtrez, et vous vous ébattrez comme de jeunes taureaux sortant de l’étable.
Et vous foulerez les méchants qui se réduiront en poussière sous la plante de vos pieds au jour que je prépare, dit l’Eternel-Cebaot.
Souvenez-vous de la Loi de Moïse, mon serviteur, à qui j’ai signifié, sur le Horeb, des statuts et des ordonnances pour tout Israël.
Or, je vous enverrai Elie, le prophète, avant qu’arrive le jour de l’Eternel, jour grand et redoutable ! Lui ramènera le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères, de peur que je n’intervienne et ne frappe ce pays d’anathème.


Première analyse :



On appelle le Chabbat qui précède Pessah, Chabbat HaGadol. L’origine de cette appellation n’est pas claire car, bien qu’au Moyen Age, de nombreuses autorités aient cherché à en expliquer la provenance, elle ne se trouve ni dans la Bible, ni dans la littérature Talmudique.
Une des approches consiste à lier le Chabbat HaGadol à un verset particulier de la Haftara qui parle d’un jour dans le futur qui sera gadol, ce qui signifie « grand » .
« Or, Je vous enverrai Elie le prophète, avant qu’arrive le jour grand et redoutable de l’Eternel ». (Malachie 3:23)
Le prophète parle du jour de délivrance qui surviendra dans le futur. Pessah, qui, de tout temps, a représenté le jour de la délivrance, est, en fait, l’archétype de cette future rédemption3. Le Talmud nous enseigne donc :
Rabbi Yehochoua dit : « C’est en Nissan que le monde fut créé ... l’esclavage de nos ancêtres en Egypte cessa et c’est en Nissan qu’ils seront délivrés. » (Talmud Roch HaChana 11a)
 La tradition, qui confère à Elie un rôle primordial dans les temps messianiques, nous incite à lire la section relative à l’allusion que fait le prophète sur ce « grand » jour.

LE DEROULEMENT DE L’EXODE

 D’autres commentateurs puisent dans le passé pour trouver une explication à cette dénomination. Le Talmud nous enseigne que les Juifs ont quitté l’Egypte un jeudi - le 15 du mois de Nissan -et que le 10 était donc le Chabbat qui le précédait.
« Quant au mois de Nissan de la Sortie d’Egypte, le 14, ils firent le sacrifice pascal, le 15, ils partirent et le soir [de ce même jour] les premiers-nés furent châtiés… et ce jour-là était un jeudi ». (Chabbat 87b)
 L’importance du 10 Nissan est mentionnée dans la Torah :
« Parlez à toute la communauté d’Israël en ces termes : « Au dixième jour de ce mois, que chaque homme se procure un agneau, pour la maison de son père, un agneau par maison. »
fait remarquer qu’en prenant un agneau, les Juifs excitèrent l’intérêt et le courroux des premiers-nés d’Egypte qui implorèrent Pharaon de laisser partir les Juifs. Devant le refus du monarque, ils se rebellèrent et s’en prirent à leurs propres parents.

Ce jour est donc considéré comme grand, en raison du miracle manifeste que D.ieu accomplit et qui provoqua par la suite le déclin de la société Egyptienne. De plus, en abattant l’objet même de l’adoration des Egyptiens, les Juifs se libérèrent eux-mêmes des chaînes de l’esclavage spirituel.
 Lorsque le Saint, béni soit-Il, dit à Moïse de tuer l’agneau pascal, il Lui répondit : « Maître de l’Univers! Comment puis-je accomplir une telle chose ? Tu sais bien que l’agneau est un dieu égyptien. Comme il est dit : Si nous sacrifions l’abomination des Egyptiens sous leurs yeux, ne vont-ils pas nous lapider ? » (Exode 8:22)
D-ieu répliqua : « Aussi longtemps que tu vivras, Israël ne partira pas d’ici avant d’avoir tué les dieux égyptiens précisément sous leurs yeux, afin de leur montrer que leurs dieux ne sont vraiment rien. » C’est effectivement ce qu’Il [D-ieu] fit, car cette nuit-là, Il tua les premiers-nés égyptiens et cette même nuit, les Juifs abattirent leurs agneaux et les mangèrent. Lorsque les Egyptiens virent leurs premiers-nés tués et leurs dieux abattus, ils ne purent rien faire, ainsi qu’il est dit : Tandis que les Egyptiens enterraient ceux que l’Eternel avait châtiés parmi eux, même tous leurs premiers-nés ; parmi leurs dieux, l’Eternel exécuta aussi Son décret. (Midrach Rabbah - Exode 16:3)
D-ieu dit ensuite à Moïse : « Aussi longtemps qu’Israël adorera les dieux égyptiens, Il ne sera pas délivré ; va leur dire de renoncer à leur mauvaise conduite et de rejeter l’idolâtrie. » C’est de cela qu’il s’agit dans le verset : « Retirez et prenez-vous des agneaux ». Ce qui signifie : Retirez vos mains de l’idolâtrie et prenez pour vous des agneaux, de cette manière, tuez les dieux d’Egypte et préparez la Pâque ; ce n’est qu’en accomplissant cela que l’Eternel passera au-dessus de vous. Tel est le sens de En restant assis immobiles, vous serez sauvés. (Midrach Rabbah - Exode 16 :2)
 Le choix de l’agneau était également significatif à un autre niveau. Les Juifs étaient dès lors occupés à accomplir une prescription Divine ; en plus du rejet des dieux égyptiens, ils s’employaient activement à exécuter l’ordre de D-ieu.

UN MYSTERE

Le 10 Nissan en Egypte s’est trouvé être un Chabbat, pourtant, sa signification ne semble pas, en apparence, être liée avec ce jour sacré. Nous pouvons donc en conclure, en se basant sur les sources que nous avons examinées jusque-là que nous devrions célébrer le 10 Nissan tout aussi bien que le 15. Quant à savoir pourquoi nous célébrons le Chabbat HaGadol, cela demeure un mystère. 
Afin de comprendre le problème, nous devons tout d’abord examiner la relation qui existe entre Chabbat et les Fêtes. Chabbat et les Fêtes juives se trouvent sur différentes orbites. Le Chabbat est une commémoration de la Création tandis que les Fêtes tirent leur impulsion de l’Histoire. De plus, le Chabbat existe au sein d’un système établi avec la Création dont il est en même temps le produit. Chaque septième jour de la semaine est un Chabbat, indépendamment de toute autre donnée du calendrier. Le précepte Divin qui a introduit la Fête de Pâque a débuté avec le commandement de garder le temps, de le sanctifier.
« L’Eternel parla à Moïse et Aaron dans le pays d’Egypte, en ces termes : « Ce mois-ci sera pour vous le commencement des mois ; il sera, pour vous, le premier mois de l’année. Parlez à toute la communauté d’Israël en ces termes : "Le dixième jour de ce mois, que chaque homme se procure un agneau, pour la maison de son père, un agneau par maison." » (Exode 12 :1-3)
 Sanctifier le temps relève de la responsabilité des Juifs. Le Tribunal décide que le nouveau mois est arrivé et c’est à partir de ce moment-là et de ce moment-là seulement, que les dates des Fêtes sont fixées. On pourrait dire que le Chabbat vient du Ciel tandis que les Fêtes viennent d’ici-bas.

Le Chabbat fut sanctifié en raison de la création et du repos de D-ieu :

« Car en six jours l’Eternel a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils renferment, et Il s’est reposé le septième jour ; c’est pourquoi l’Eternel a béni le jour du Chabbat et l’a sanctifié ». (Exode 20 :11)

LE CALENDRIER JUIF

C’est l’homme qui détermine le calendrier et les Fêtes :
Rabbi Yo’hanan dit : « Lorsque les anges se rassemblent devant D-ieu pour lui demander : "À quelles dates sont Roch Hachana et Yom Kippour ?" D-ieu leur répond : "Pourquoi Me demandez-vous cela à Moi ? Vous et Moi, allons au Tribunal sur terre [et informons-nous de cette question auprès d’eux]." » (Midrach Rabbah - Deutéronome 2 :14)
 Chabbat existant depuis le moment de la création, seul D-ieu était lié à ce concept qui ne semblait en rien concerner l’homme. La description du Chabbat, exprimée ci-dessus, comme étant le résultat de la création est absente la seconde fois que les Dix Commandements figurent dans la Torah. Cette fois-ci, le verset met en avant un aspect différent de Chabbat :
« Et souviens-toi que tu fus esclave au pays d’Egypte et que l’Eternel, ton D-ieu, t’en a fait sortir d’une main forte et d’un bras étendu ; c’est pourquoi l’Eternel, ton D-ieu, t’a ordonné d’observer le jour du Chabbat ». (Deut. 5 :15)
 Nous trouvons ici une composante historique à Chabbat. Notre devoir d’observer le Chabbat ne vient pas exclusivement du concept théologique de création et de repos Divins, mais plutôt, des événements historiques que sont notre esclavage et notre délivrance.
Ce n’est qu’avec la délivrance des Juifs d’Egypte que le Chabbat acquiert l’identité historique venant s’entremêler à la théologie.
Le Sfat Emet nous enseigne que le terme « Chabbat HaGadol » résulte de cette nouvelle importance que revêt le Chabbat. Ce n’est qu’avec la délivrance des Juifs d’Egypte que le Chabbat acquiert l’identité historique venant s’entremêler à la théologie. Le Sfat Emet explique que Chabbat est, dès lors devenu « plus grand » : à présent, le second aspect de Chabbat, exprimé clairement dans la répétition des Dix Commandements, peut être réalisé
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EN QUOI CE CHABBAT EST-IL DIFFERENT ?

 Ce Chabbat en Egypte fut différent de tous les autres Chabbat précédents car, pour la première fois, l’homme s’était joint à D-ieu pour observer Son jour sacré. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le mode d’observance ne fut pas le repos dans son sens habituel. En effet, l’homme avait reçu l’ordre de se munir d’un agneau, un acte qui, comme nous l’avons déjà noté, était une déclaration ferme affichant une intention clairement polémique lancée au visage des Egyptiens polythéistes et adorateurs de l’agneau.
 Le Sfat Emet affirme qu’en prenant un agneau, les Juifs observèrent Chabbat en Egypte. Ce fut leur premier Chabbat en tant que peuple, un moment de transition pour devenir une nation : ils avaient atteint l’âge de la majorité, étaient devenus des adultes (« guedolim ») qui avaient des responsabilités. Ce fut donc un Chabbat « HaGadol ».
L’enseignement le plus basique en ce qui concerne le Chabbat est la reconnaissance que D-ieu a créé le monde en six jours. En prenant un agneau, les Juifs rejetèrent l’idolâtrie et acceptèrent D-ieu. Ce ne fut pas simplement un acte qui eut lieu le 10 Nissan, mais un tournant décisif dans l’histoire juive : désormais les Juifs se joignaient à D-ieu pour observer le Chabbat.
 Le Talmud enseigne que celui qui profane le Chabbat se rend coupable d’idolâtrie, car il a rejeté l’œuvre de D-ieu. Il est donc clair que ceux qui rejettent l’idolâtrie sont considérés comme « observant le Chabbat ». De plus, en se procurant un agneau, ils observèrent l’unique commandement du Chabbat qui leur fut donné et cet « accomplissement parfait » fit de ce jour un Chabbat réellement grand.
Nos sages nous enseignent que si tout le peuple d’Israël observe complètement deux Chabbatot seulement, il méritera la venue du Messie :
Rabbi Yo’hanan dit au nom de Rabbi Chimon bar Yo’haï : « Si Israël observait deux Chabbat selon les lois qui s’y rapportent, il serait immédiatement délivré. » (Chabbat 118b)
 Il est intéressant de noter que, selon le courant de pensée juive dominant, le monde a été créé en Nissan, ce qui signifie que le Chabbat qui eut lieu le 10 du mois constitua le second Chabbat dans l’histoire du monde. Si ces deux Chabbat avaient été observés correctement, le monde aurait été délivré.
 Dans les Sifré Hapardes, Rav Yechiel Epstein explique que les deux Chabbat devant être observés sont Chabbat Hagadol et Chabbat Chouva. Chacun de ces deux Chabbat possède un pouvoir spécifique qui lui est propre :
 L’un de ces Chabbat tombe entre Roch Hachana et Yom Kippour et enseigne à l’homme la manière de retourner vers D-ieu ; l’autre fut le premier Chabbat observé en Egypte et contient en lui les germes de la délivrance.
 Que l’homme parvienne à maîtriser ces deux Chabbat et le Messie arrivera promptement.


Deuxième analyse :


Le Chabbath ha-gadol est traditionnellement associé au commencement de notre libération d’Egypte. Il marque en effet le moment où chaque famille, parmi les enfants d’Israël, a dû se choisir un agneau en vue du sacrifice pascal. 
De la même manière, les derniers versets de la haftara (Malachie 3, 4 à 24) annoncent notre future libération à l’époque messianique, car c’est pendant le mois de nissan, selon une tradition, que nous serons libérés un jour (Guemara Roch hachana 11a et 11b). 
Et c’est à l’annonce de cette future libération que sont consacrés les deux derniers versets de la haftara : « Voici, Je vous envoie Elie, le prophète, avant que vienne le grand et terrible jour de Hachem. Il fera retourner le cœur des pères vers les fils, et le cœur des fils vers leurs pères, de peur que je ne vienne et ne frappe le pays de malédiction » (Malachie 3, 23 – 24). 
Cette phase ultime est ainsi décrite dans la Michna suivante : « Rabbi Yehochou‘a a enseigné : Je tiens de mes prédécesseurs, qui l’ont tenu eux-mêmes de la révélation à Moïse au mont Sinaï, que le prophète Elie ne viendra ni pour définir quelles familles sont pures et lesquelles sont impures [de par leurs origines généalogiques], ni pour éloigner les unes et rapprocher les autres. Mais il éloignera celles qui ont été rapprochées par la force, et rapprochera celles qui ont été éloignées par la force.

Rabbi Yehouda a enseigné : Il rapprochera, mais n’éloignera pas. Rabbi Chim‘on a enseigné : Il résoudra les désaccords entre les Sages. Et les Sages ont enseigné : Il ne viendra ni pour éloigner, ni pour rapprocher, mais pour établir la paix dans le monde… » (‘Edouyoth 8, 7).

Jacques KOHN



Source Massorti et Lamed et Chiourim