Un jeu d’ombres subtil brouille les repères et résume la captivité des héros. On est loin du générique complexe de Homeland, son adaptation américaine.
Dix-sept ans à attendre, à espérer, à souffrir, à chercher la lumière, à douter… à trahir peut-être, résumés en quarante secondes. Le générique d’Hatufim ne cherche pas, contrairement à celui de sa petite sœur Homeland, à raconter l’histoire contemporaine du terrorisme, ni à polémiquer. Il opte pour l’émotion, le ressenti. Un ballet d’ombres et de lumière, presque en noir et blanc, qui exprime l’angoisse, l’enfermement et la liberté au bout du couloir, mais qui laisse planer le doute, et reste flou. Car Nimrod et Uri, les deux héros d’Hatufim, soldats israéliens otages pendant dix-sept ans ans au Liban, ne sont pas seulement des hommes brisés à qui on a rendu leur vie. Ce sont aussi des suspects, qui pourraient avoir cédé, être devenus des terroristes à la botte de l’ennemi…
Tout ici est fait pour brouiller les repères, l’envers, l’endroit. On glisse de pièce en pièce, de la droite vers la gauche, dans ce qui semble être un bunker, celui où furent enfermés les personnages. Tout tourne comme si les pièces étaient articulées dans une boîte. L’évasion semble d’abord impossible, malgré le chant des oiseaux, perceptible dans la pénombre soudain éblouie. La lumière n’est qu’un point, une trappe au plafond qui s’ouvre peu à peu… pour éclairer une chaise de torture, avec son câble électrique traînant au sol. Il faut pourtant espérer, suivre la lumière, qui bientôt apparaît par une porte entrouverte. Dans le couloir, un homme, derrière une paroi de verre. On croit entendre le bruit d’une radio. Des négociations pour une future libération ?
La caméra ne s’attarde pas, cherche un soleil de plus en plus présent, qui balaye le visage d’un profil. Il ressemble à celui de Uri, ombre striée, comme à travers un store… ou des barreaux. Les murs sont bruts, épais, les ombres dessinent des grilles, les couleurs sont rares. Le temps se fait long. Il s’est même arrêté, sur une grosse horloge dont l’aiguille fait du surplace, marquant bruyamment chaque seconde de vie perdue. Malgré tout, la caméra continue d’avancer, désormais de la gauche vers la droite. On descend des marches couvertes d’un tapis d’orient. Enfin, un long couloir apparaît, avec au loin le jour, un arbre, des oiseaux. Une troisième ombre, peut-être celle d’une femme – on devine des cheveux longs ou un voile – se dessine subrepticement à droite, alors que la caméra plonge vers la lumière. La liberté, un peu lourdement symbolisée par un oiseau qui s’envole, est enfin là.
Cette marche vers la lumière est mise en musique à la façon d’un thriller, avec piano mystérieux et envolées de violons. L’émotion est bien là, mais chargée en suspense. A qui appartiennent ces silhouettes ? Quels sont ces bruits qu’on entend derrière le plan de la chaise de torture ? Que dit-on à la radio ? Pourquoi une des lettres de Hatufim (en hébreux) s’enfonce-t-elle comme un passage secret ? Comment ne pas voir dans ces rayons de lumière une projection, celle du cinéma, celle d’une lumière théâtrale – ce que sont les ombres chinoises. Tout est suffisamment flou pour que cette captivité conserve toute son ambiguïté. Les ombres, comme dans l’allégorie de la caverne, ne sont-elles pas qu’une projection de la réalité ? A la fin de ce générique, la lumière l’emporte… mais toute la lumière doit encore être faite.
Source Judaicine