lundi 4 mars 2013

Comment Ariel Sharon a été limogé après Sabra et Chatila



Trente ans après, les archives nationales israéliennes viennent de rendre public le protocole de l’une des réunions de Conseil des ministres les plus dramatiques de l’histoire de l’État d’Israël. Il s’agit de la réunion qui s’est tenue à la Présidence du Conseil à Jérusalem, le 10 février 1983 au cours de laquelle Menahem Begin, alors Premier ministre, et son gouvernement ont décidé d’adopter les conclusions de la Commission Kahane sur les massacres de Sabra et Chatila et ont voté en faveur du limogeage du ministre de la Défense de l’époque, Ariel Sharon.

C’est pendant cette réunion, alors que manifestants de gauche et de droite se conspuaient devant la Présidence du Conseil, que le militant du mouvement Chalom A’hchav, Émile Grinsweig zal, a été assassiné par Yona Avroushmi, un nationaliste extrémiste. La publication de ce protocole permet de mieux comprendre ce qui s’est passé au cours de cette terrible soirée.
 Ce 10 février au soir, l’effervescence est à son paroxysme. Devant la présidence du Conseil des milliers de manifestants du mouvement « La Paix Maintenant » se sont rassemblés dans un seul objectif : faire pression sur le gouvernement Begin pour qu’il sanctionne Ariel Sharon. Face à eux, des centaines de manifestants nationalistes scandent des slogans en faveur du gouvernement et de Sharon. L’atmosphère est électrique. Tout comme celle qui règne à quelques pas de là, dans la salle du Conseil des ministres. La réunion a débuté à 17 h 10, mentionne le protocole. Mais Ariel Sharon n’y arrive que vers 18 h 35, apparemment retardé par les manifestants. Le ministre de la Défense sait pertinemment que son avenir politique va se jouer dans les prochaines heures. Trois jours auparavant, la Commission Kahane avait rendu publiques ses conclusions qui stipulaient que plusieurs hautes personnalités israéliennes civiles et militaires étaient indirectement responsables des massacres de plusieurs centaines de Palestiniens commis par les Phalanges chrétiennes entre le 16 et le 18 septembre 1982, au cours de la première guerre du Liban. Menahem Begin s’est vu attribuer une « certaine » responsabilité pour n’avoir pas empêché l’entrée des Phalanges dans les camps de Sabra et Chatila après l’assassinat de leur chef Bachir Djemayel. Mais la Commission Kahane n’a pas fait de recommandations à l’adresse de Begin. Par contre, elle a rendu Ariel Sharon indirectement responsable pour n’avoir pas mesuré le danger que pouvait représenter l’entrée des Phalanges dans ces deux camps palestiniens et pour n’avoir pas prévenu Begin de son intention de laisser les Phalanges pénétrer dans les camps. La commission Kahane a donc recommandé à Begin « d’envisager » le limogeage d’Ariel Sharon.
Au cours de la réunion du Conseil des ministres, Sharon est invité à prendre la parole pour se défendre. Dans son plaidoyer, il s’exprime avec fougue. Il explique qu’il n’est pas le seul responsable, mais que c’est l’ensemble du gouvernement qui est sur le banc des accusés « même le Premier ministre », précise-t-il. Il rejette les conclusions de la Commission Kahane parce qu’elles rendent, selon lui, l’État d’Israël responsable des massacres : « Cela risque d’entraîner une situation dans laquelle Israël sera accusé de génocide… On dira alors que nous avons laissé des forces militaires à proximité (des camps de Sabra et Chatila) pour nous assurer que le travail sera fait. »
Au milieu de la réunion alors que Sharon parle, l’attaché militaire de Menahem Begin, le lieutenant-colonel Azriel Nevo annonce qu’une grenade vient d’exploser parmi les manifestants rassemblés devant la Présidence. Begin lui demande d’aller aux nouvelles. Il revient en annonçant qu’un manifestant a été tué et plusieurs autres blessés. Begin est stupéfait : « Il y a un tué, un Juif a été tué ! », répète-t-il comme s’il refusait d’y croire. Begin se demande s’il faut prolonger la réunion. Une majorité de ministres estime qu’il faut continuer. Le Dr Yossef Burg, leader du PNR, sait que son fils Avraham (futur président de la Knesset) est parmi les manifestants. Après avoir obtenu quelques informations en tant que ministre de tutelle de la Police, il sort pour prendre des nouvelles de son fils qui a été légèrement blessé par la grenade lancée par un militant extrémiste Yona Avroushmi.
La réunion se poursuit. Sharon plaide toujours, parfois avec sarcasme : « Je ne pense pas que je doive démissionner après ce qui s’est passé. Je suis prêt à me tenir devant vous avant que vous ne déclenchiez la guillotine pour vous dire que lorsqu’il s’agit de la vie de nos soldats, nous devons faire montre de bon sens. Vous pouvez me couper la tête et continuer à profiter autour de cette table des bourékas, ceux au fromage et ceux aux épinards. Il est bon de siéger dans le gouvernement. Vous serez là la semaine prochaine. Moi pas ! » Begin répond : « Vous faites usage, Arik d’un ton sarcastique et ironique. Je comprends que vous traversez des journées difficiles. Mais une catastrophe nous est arrivée, l’une de celles qui menacent les gouvernants. Mais il y a ici une recommandation de la Commission, une recommandation qui nous fait mal… Nous ne vous jugeons pas Arik, mais il y a une commission ».
Sharon répond qu’il n’est pas prêt à démissionner : « Je suis prêt à aller défendre un Juif jusqu’au bout du monde, mais je ne suis pas prêt à me suicider. »
Begin explique alors aux ministres que selon la loi le gouvernement n’est pas obligé d’adopter les recommandations de la commission, mais que de facto, c’est ce qu’il doit faire… « Arik, vous vous trompez : il n’est pas bon de siéger dans le gouvernement. Ce sont des journées tragiques. Arik, je n’ai pas dormi toute la nuit. Malheur a une telle nuit, mais nous ne pouvons pas repousser les conclusions ».
À l’issue des délibérations, le gouvernement Begin votera cette nuit-là la démission d’Ariel Sharon par une majorité de 16 contre 1, la voix de Sharon lui-même…

Source Hamodia.fr