Un chabat comme les autres dans cette batisse parisienne devenue l’antre parisienne des Hajdenberg. Toute sa famille est là. Les filles, bien sûr chez Yael et Philippe : Noémie, Judith, Deborah, arrivées d’Israël. On entre on sort. On s’embrasse. On s’engeule. Tout le monde fait un peu semblant. On parle un peu trop fort de tout et de rien et même de Sarkozy. Mais tout autour de Suzy, il n’y a que des yeux rougis de larmes qui se rencontrent. Serge Hajdenberg ce soir n’est pas là. Mais sa voix habite les lieux comme les convives.........Détails........
Je commence par la fin d’une histoire que je ne sais pas par quel bout prendre. Elle peut se lire de gauche à droite, mais on va pas parler politique ou de droite à gauche comme dans la tradition juive ; tradition vis à vis de laquelle il se sentait aussi libre que lié.
Je vais saisir cette vie par ce que nous en avons entendu un peu à la manière d’un conte de mon enfance qui est surtout celui des juifs de France.
Il était une voix, Serge Hajdenberg.
Une voix pour nous.
Une voix de titi parisien. Une voix chaude. Une voix qui enveloppe et qui porte. Qui nous porte. Qui éraille. Qui éreinte. Une voix qui s’énerve. Une voix qui gronde. Et qui a beaucoup grondé le vendredi à 7h15. Une voix de radio. La radio. Sa radio. Radio J.
Comme s’il était inconcevable que sur la fréquence 94,8 de la bande FM se soit greffé d’autres stations et même qu’il existât d’autres fréquences et d’autres stations sur cette même bande.
Interrogé un jour dans la presse sur ce qui pouvait apparaître comme une hérésie radiophonique, il avait su se montrer magnanime : « je suis tout à fait disposé à ce qu’il n’y est plus qu’une seule station, à condition que les trois autres arrêtent... »
Dans les familles de militants communistes on a grandi a l’odeur des merguez à la fête de l’Huma. Avec quelques autres de ma génération, ce furent les stands fallafels la fête de radio qui ont embaumé nos premiers pas...
Mais la radio, c’est déjà sa deuxième vie militante, car Serge a milité toute sa vie. D’ailleurs son premier militantisme fut de rester en vie auprès de ses parents, lui qui est né juif à Paris en 1941.
Serge fait ses classes aux jeunes de la Lica dans le sillage de Serge et Beate Klarsfeld. Il est de l’équipée qui va rappeler au chancelier Kiesinger et à quelques autres leur passé nazi. Mais la Lica de Pierre Bloch est trop polissée ou trop compassée.
Les frères Hajdenberg s’autonomisent avec leur bande. C’est l’heure du Renouveau Juif. Avec ces deux là, Henri et Serge, autour de ces deux là, va s’inventer la conscience des juifs de France qui sera aussi la mauvaise conscience de la France des années Giscard. Ces jeunes gens apprennent l’agit prop’ pour briser le silence autour de la Shoah, dénoncer l’asservissement de la diplomatie Française aux pétromonarchies du Golfe ou se solidariser avec les communautés juives opprimées dans le monde.
Une résolution de l’ONU assimile-t-elle outrageusement le sionisme au racisme ? Qu’à cela ne tienne, les frères Hajdenberg organisent à répétion le plus grand rassemblement populaire des juifs de France : les 12 heures pour Israel.
Il y a donc eu en France une organisation capable de mobiliser une foule juive de 100.000 personnes, ce que l’on avait jamais vu avant et que l’on ne verra jamais plus après.
Une force politique est née de cette ferveur. Serge Hajdenberg va la doter d’un émetteur.
Il invente une radio libre et juive au moment ou s’invente la radio libre en France. Radio J a émis avant d’en avoir le droit et même avant NRJ.
De sa bande de copains qui le suivent partout, certains sont dentiste, commerçant, foureur, comptable. Il en fera des intervieweurs, des techniciens et des animateurs aguerris. Ma mère en est bien sûr. Et même mon père un peu plus loin, ce qui est savoureux.
Serge s’impose à Radio J et impose Radio J comme la voix des juifs de France. Pas un homme ou ne femme politiique en France n’échappe au rendez vous hebdomadaire du dimanche, repris ensuite dans toute la presse. Aucune autre radio juive au monde ne peut se vanter d’un tel succès.
De judaisme au quotidien aux éditos du matin, des éditions spéciales élections israliennes aux directs depuis Tel-Aviv, Serge Hajdenberg devient la voix la plus connue des juifs de France.
Comme dans toutes les histoires de familles, il y a parfois des dissonnances. La radio avait sa ligne, et moi au fur et à mesure des années dans la communauté et au delà, j’ai esquissé la mienne qui n’était pas exactement alignée.
Mais Serge qui m’a toujours considéré et tenu pour un fils de la maison, savait me convoquer à une heure matinale pour me passer un savon et dans le même temps me donner un droit de réponse pour que je puisse m’exprimer.
Un souvenir précis me revient.
Invité au micro de radio J comme tout nouveau président de l’Uejf, au début des années 2000, je parle d’un phénomène aussi inquiétant qu’ignoré : la résurgence des actes antisémites dans les quartiers populaires.
Le standard de la radio saute. De partout, les témoignages affluent, sur les enfants qui ont peur d’aller à la synagogue, les mezouzas arrachées aux portes, les tags injurieux.
Sorti du studio, je retrouve mon équipe : nous devions dénoncer par la publication d’un livre le divorce d’avec ceux que nous tenions pour des potes : les « antifeujs » étaient nés.
Serge et sa radio vont être les plus prompts et les plus fervents à dénoncer la France qui glisse vers le néo antisémitisme et parallèlement l’obsession de l’antisionisme qui contamine la gauche.
Pour autant et il faut le souligner, il ne sera jamais tendre avec l’extrême droite qu’il refusa toujours d’accueillir à Radio J.
Toute sa vie, il était entendu qu’il prendrait sa retraite en Israel et qu’il y monterait pour ses vieux jours. Serge l’enfant caché a continué à jouer à cache cache.
De fait, il vivait beaucoup en Israel mais surtout à Paris et s’il etait retraité, il n’etait certainement pas retiré. Finalement, Serge a tenu parole. Et pour sa vraie retraite, il s’envole entouré des siens vers sa terre promise et désormais éternelle. Qu’il y repose en paix.
Source DesInfos
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