dimanche 7 juillet 2019

Les mille endormis à Aix-en-Provence : l’éveil entre musique et politique


Le compositeur Adam Maor et l’écrivain metteur en scène Yonatan Levy font de la scène du Théâtre du Jeu de Paume, lieu de créations mondiales, une parabole politico-onirique. Manger et dormir, deux besoins humains fondamentaux transformés par la folie guerrière des hommes et dans le livret dense, imagé de cet opéra, en armes de grève et de guerre.......Détails........



Un premier ministre israélien décide d’endormir artificiellement mille détenus palestiniens, grévistes de la faim, ce qui provoque des insomnies chez les israéliens : « Tous les enfants sont mignons quand ils dorment, et tous les terroristes endormis sont des enfants. » 
Une espionne, l’assistante du dirigeant, est infiltrée dans le monde des rêves palestiniens, et, au cours d’un air final mémorable, redécouvre au bout du conte l'Humanité fondamentale.
Le propos vise l’universel, sur fond d’un insoluble conflit israélo-palestinien. Pourtant, le dramaturge et le compositeur ne font pas de leur première expérience et collaboration dans le genre de l’opéra une tribune explicite de leur engagement. 
Ils choisissent la stylisation extrême des traits musicaux, verbaux et scéniques pour construire une parabole ayant pour phrase finale : « il n’est d’autre patrie que l’espace entre une âme et une autre. »
Nuit et jour, sommeil et veille, réalité et fantastique, ou encore salle et scène se confondent, dans une conception visuelle baignée de références à la pop culture (Yonatan Levy, assisté d’Amir Farjoun) : images colorisées d’un film d’animation, provenant lui-même d’une bande-dessinée, à la fois vintage et futuriste. 
Les personnages sont dessinés à la ligne claire, parfois même fluorescente, par des costumes à la Courrèges (style des années 1960), impeccablement découpés. Chaque soliste a son total look de flanelle colorée : noir, blanc, bleu, orange métallique (Anouk Schiltz). 
L’effet de colorisation est également accentué par les jeux chromatiques de lumière d’Omer Shizaf. 
Le décor unique, outre la lune, consiste en un lourd bureau ministériel, derrière lequel rayonnent les structures, orange comme sur un chantier, d’un dortoir de lits superposés et de chaises longues (Julien Brun).
Les quatre chanteurs sont habités de l’intérieur par les mots, les sons et les visions de cet opéra de chambre, comme des automates s’animant avec la musique. Tous, sauf le Chef de la Sécurité, sont des anciens artistes de l’académie, et paraissent, comme la cheffe, être partie prenante du projet. L’écriture vocale de Maor emprunte au Moyen-Orient ses mélopées sinueuses, de même que l’art de la psalmodie et de la cantillation. 
Le texte hébraïque en est la matière sublimée, qui s’envole ainsi, depuis les pages d’un livre sacré, jusqu’aux oreilles de l’âme de chaque auditeur. Aussi, tout repose sur la diction, la pulsation, ainsi que sur une capacité à respecter à la lettre ce qui paraît être de l’ordre de l’improvisation.
Nourit, assistante du Ministre puis espionne des rêves, est l’impeccable soprano israélienne Gan-ya Ben-gur Akselrod. 
Sa ligne vocale est nette, découpée, son timbre lumineux et charnu, sa diction accentuée par des jeux de bouche ouverte ou fermée, alors que ses mélodies parcourent l’échelle sonore de manière continue, à l’aide de micro-intervalles (inférieurs au demi-ton).
Le Premier Ministre, le baryton polonais Tomasz Kumięga, endosse un costume d’homme de théâtre musical, instrument virtuose, engagé physiquement comme vocalement dans cette nouvelle aventure. 
Chaque intervention, nerveuse et impliquée, est exagérée avec justesse : cris et tremblements, voix étendue de tête et de gorge, unifiée par une projection puissante, un timbre au lyrisme chaud, capable de faire chanter de manière particulière chaque voyelle hébraïque.
Le Chef du Service Général de la Sécurité est l’impressionnante basse américaine David Salsbery Fry. Il se tient dans les souterrains de son registre afin d’y accomplir les plus basses besognes. 
Sa voix traitée par de l’électro-acoustique renforce le pouvoir de nuisance sonore et politique, à l’aisance lyrique constante. Son instrument résonne en profondeur et se métallise à la manière d’une guimbarde, afin de mieux hypnotiser sa proie.
Avec une interprétation caractérisée, le ténor français Benjamin Alunni accomplit son rôle de porte-voix, de « voix du monde », tour à tour Ministre de l’Agriculture, manifestant et cantor, capable d’ajuster la couleur du timbre et la qualité de l’expression à son office. 
Il s’accomplit en cantor, alors qu’il sonorise avec des gestes de scribe la lecture silencieuse du Ministre par une mélopée orientalisante.
La direction musicale d’Elena Schwarz, assistée d’Antonin Rey, est dans la lignée du quatuor vocal. 
Habitée de l’intérieur par les moindres inflexions rythmiques de la partition, elle se laisse traverser, comme une antenne, par l’énergie sonore qui émane de la scène comme de la micro-fosse du théâtre du Jeu de Paume. L’ensemble luxembourgeois de huit musiciens, United Instruments of Lucilin, créé en 1999 s’y tient, à un souffle du public. 
Spécialisé en musique contemporaine, féru d’expériences spectaculaires dans le domaine du théâtre musical, il semble être aux aguets de tout ce qui se passe sur scène, et pleinement à l’aise avec les mille exigences -d’éveil- que réclame la mise en place d’une partition aussi dense et chamarrée sur le plan sonore. Les sonorités étranges de l’accordéon et d’un autre clavier sont articulées aux cordes et aux vents, dont la clarinette basse, par la continuité de percussions subtilement diversifiées.
Enfin, la partie électroacoustique, partition à part entière et matière transformable entre des sons concrets ou à l’inverse inouïs a été réalisée dans les studios de l’IRCAM (laboratoire de création musicale). Elle atteint des confins sonores, sur le plan des timbres, des dynamiques et des textures plus ou moins lisses, grumelées ou râpeuses. 
L’ensemble ajoute à l’étrangeté stylisée de l’ambiance sonore et visuelle. L’esprit et les sens des spectateurs sont maintenus en éveil par ce conte des mille et une nuit d’un genre nouveau, dont l’expérience globale est décapante et tonifiante. 

Source Olyrix
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