vendredi 1 juillet 2016

Paracha Korah : Korah et sa faction…






Au sujet de la rébellion fomentée par Kora’h, la michna enseigne : « Toute controverse menée pour la gloire du Ciel se maintiendra, et toute controverse qui n’est pas menée pour la gloire du Ciel ne perdurera pas. Quelle controverse est considérée comme étant pour la gloire du Ciel ? Celle qui opposa Hillel et Chamaï. Et quelle est celle qui n’est pas pour la gloire du Ciel ? Celle de Kora’h et de sa faction » (Maximes de Pères 5, 17)...






 Pourquoi, dans le premier cas, la michna cite les deux opposants – à savoir Hillel et Chamaï –, et dans le second, elle ne rapporte qu’une seule des deux parties impliquées : « Kora’h et sa faction » ? N’aurait-il pas été plus cohérent d’écrire : « La controverse qui opposa Kora’h et Moché » ? Selon rav Yossef Messas (dans son livre Na’halat Avot, cité par le Mayan Hachavoua), la réponse apparaîtra à travers l’histoire suivante.
Dans la ville de Livourne, en Italie, vivait à l’époque une importante communauté juive. Celle-ci était présidée par sept notables, les « Sept Anciens de la ville ». Lors d’une réunion, l’un des membres de cette congrégation soumit à ses confrères une proposition : « Les Mikvaot [bassins rituels] de notre ville sont déjà très anciens, et certains d’entre eux menacent même de s’écrouler. Depuis leur construction, notre communauté s’est considérablement développée, et ils ne sont désormais plus en état de répondre aux besoins de notre ville. Or, nous connaissons tous l’importance de la pureté familiale au sein du peuple juif, et nous ne pouvons rester indifférents à cette situation. C’est pourquoi je propose que nous entreprenions dès à présent la construction d’un nouveau mikvé, plus vaste et plus moderne ! »
Cette suggestion fit aussitôt l’unanimité parmi les autres notables. Lorsque la question de savoir où construire le nouveau bâtiment fut soulevée, l’intervenant reprit la parole : « J’ai également déjà songé à cela, et j’ai trouvé un terrain vacant en plein centre ville. Le propriétaire, que j’ai déjà contacté, est prêt à le vendre et il en demande tant. » A cette annonce, deux autres notables se rallièrent aussitôt à cette proposition.
Mais avant que les autres ne réagissent, le président de la communauté prit la parole et déclara : « Ce prix est bien trop élevé, et nous ne pouvons imposer une telle dépense à la communauté ! Ce terrain coûte cher parce qu’il est situé en pleine ville et à mon sens, un mikvé doit au contraire être établi dans un lieu plus discret. Je suggère donc que nous nous mettions en quête d’un terrain plus excentré, et nous y gagnerons doublement : non seulement son prix sera moins élevé, mais en plus, le mikvé sera situé dans un lieu qui convient mieux à ses fonctions… Or, maintenant que j’y pense, je sais que tout prêt des murailles de la ville, il y a un terrain vacant, et je suis prêt à contacter personnellement le propriétaire pour lui faire une proposition de prix. »
Aussitôt, l’initiateur du projet réagit avec passion, invoquant qu’il n’était pas décent de laisser des femmes se rendre seules, tard dans la nuit, jusque dans les bas-fonds de la ville. On procéda alors à un vote, et trois voix se rallièrent au premier intervenant, laissant le président avec une minorité de seulement deux voix. Mais celui-ci n’était pas du genre à se résigner si vite. Il alla trouver les plus riches personnages de la ville, et leur expliqua que si on laissait les caisses de la ville se vider, c’est finalement sur eux que retomberait la charge de combler le manque… De son côté, la partie adverse ne fut pas non plus en reste : s’adressant au plus grand nombre, l’initiateur du projet démonta tous les arguments de son opposant. « Le président veut rendre le mikvé moins accessible, expliqua-t-il. Pendant que les riches pourront s’y rendre en coche, nous autres, gens du peuple, devront parcourir cette distance à pied, dans les rues sombres et cahoteuses de la ville. »
La communauté juive de Livourne ne tarda pas à se partager en deux camps, et la polémique prit des proportions démesurées. Les parties adverses commencèrent à user de menaces et de moyens pour le moins douteux, guère dignes de leur rang. Tant et si bien que le bruit de la controverse arriva jusqu’aux oreilles du gouverneur. Celui-fit fit convoquer le rav de Livourne, et lui demanda quelle était son point de vue sur la question. Le rav, sachant que les parties impliquées campaient fermement sur leurs positions, répondit qu’il jugeait préférable de rester à l’écart de cette polémique. Mais cette réponse ne satisfit guère le gouverneur : il somma le rav de rétablir la paix dans sa communauté dans les plus brefs délais.
Bon gré mal gré, le rav alla trouver le président pour entendre ses arguments, et celui-ci ne mâcha pas ses mots : « L’argent de la communauté est un argent sacré, que l’on n’a pas le droit de dépenser comme on le souhaite. De plus, les règles de tsinout ne tolèrent pas qu’on fasse établir un mikvé en plein centre ville… » Après l’avoir entendu, le rav se rendit chez son antagoniste, qui déclara solennellement qu’il ne comptait pas renoncer au confort minimal revenant à ses concitoyens. Voyant qu’il n’obtiendrait rien d’eux, le rav décida alors de se rendre chez le propriétaire du premier terrain, pour le questionner sur ses exigences de vente.
Celui-ci, en toute naïveté, lui fit le récit suivant : « En vérité, ce terrain a déjà une longue histoire derrière lui. Je suis moi-même débiteur d’une importante somme d’argent à Untel, un Juif de la ville. Comme je ne parvenais pas à m’acquitter de ma dette, j’ai hypothéqué ce terrain à mon débiteur, et celui-ci cherche depuis lors à la vendre à prix fort. Comme il est lui-même un ami proche de l’un des notables de la ville, il lui a suggéré que la communauté rachète le terrain à prix fort pour y faire construire un bâtiment communautaire… » Evidemment, le notable en question n’était autre que l’instigateur du projet de construction.
Inspiré par cette découverte, le rav continua ses investigations. Il se rendit dans les bureaux gouvernementaux, et y découvrit le nom et l’adresse du propriétaire du second terrain. Celui-ci s’avéra être un Juif ayant émigré en France depuis quelque temps. Le rav envoya sur-le-champ une lettre à l’homme en question, dans laquelle il lui demandait si son terrain était à vendre. Ce dernier, comme on s’y attend, répondit que le terrain n’était pas à vendre, car il était hypothéqué… au président de la communauté. Fort de ces découvertes, le rav retourna chez le gouverneur de la ville, qui fit aussitôt démettre les notables de leurs fonctions.
Voilà qui explique pourquoi la polémique de notre paracha est bien celle de « Kora’h et de sa faction » : lorsqu’une controverse n’est pas menée pour la gloire du Ciel, elle est mue uniquement par des intérêts personnels. Kora’h briguait le poste de Cohen Gadol, Datan, Aviram et On ben Pélet se réclamait de la tribu de Réouven, le fils aîné de Yaacov, et les deux cent cinquante chefs de l’assemblée étaient tous des premiers-nés, qui protestaient contre leur éviction au profit des Léviimes, suite à la faute du veau d’or. Et si ce mouvement de rébellion l’avait emporté, on aurait assisté, à n’en pas douter, à une guerre intestine opposant « Kora’h à sa faction »…
Contrairement à Hillel et Chamaï, dont les controverses reposaient sur des arguments objectifs, chez Kora’h, seuls les intérêts personnels induisirent sa démarche et celles de ses acolytes. C’est pourquoi la michna établit que dans ces circonstances, les seuls opposants de cette polémique furent ceux qui étaient mus par des ambitions de gloire personnelles, et nullement Moché notre maître. 


Par Yonathan Bendennnoune


Source Chiourim