Herbert von Karajan, le prestigieux chef d’orchestre du Philharmonique de Berlin vedette star de Deutsche Grammophon a tenté de dissimuler son passé nazi. Oliver Rathkolb historien autrichien, éclaire d’un jour nouveau cet épisode de la vie de Karajan et présente des documents demeurés jusque là inconnus.........Détails & Vidéo........
Certes on savait qu’il avait pris sa carte au parti nazi, qu’il s’était «acoquiné» avec ces derniers comme bien d’autres d’ailleurs, sans qu’on sache réellement à quelle date.
Par ailleurs il avait dirigé en 1939 Les Maîtres chanteurs devant Hitler à l’occasion d’une soirée de gala donnée à Berlin en l’honneur du régent Paul de Yougoslavie. ( Le concert ne plut d’ailleurs pas au Fürher. Hitler aurait alors traité Karajan de « freluquet autrichien », il considéra cela comme un affront personnel et lui en voulut).
Herbert von Karajan dirige le Berliner Philharmoniker (1940)
On connaissait la rivalité farouche qui l’opposait à son grand ainé Furtwängler qui le détestait et qui l’appelait« le petit K». On avait connaissance du soutien que lui avait apporté Goebbels chef de la propagande et à ce titre en charge des arts, Goering lui préférait Furtwangler.
Karajan à la demande d’Hitler, fit le tour des capitales occupées par les nazis ( Amsterdam, Copenhague, Bucarest). À Paris en 1941 à l’opéra il dirigea Tristan et Isolde, avec la soprano française Germaine Lubin dans le rôle d’Isolde.
Cependant jamais durant sa carrière qui le hissa au pinacle de la renommée mondiale, (il fut avant l’heure une star faisant la une des journaux papier glacé, et sa vie mondaine très médiatisée constituait après la musique le deuxième volet de sa personnalité) n’admit-il de reconnaître ses (comment dire?) fautes… Bien au contraire il dépêchait alors immédiatement ses avocats pour faire taire toutes critiques.
Or le passé nazi de Karajan lui a valu de nombreuses manifestations hostiles lors de sa première tournée aux USA en 1955, à Carnegie Hall à New York en particulier.Ultérieurement, Karajan fut, finalement, admis à diriger en URSS à partir des années 60.
Mais jamais en Israël (le premier concert du Berliner Philharmoniker à Tel-Aviv date de 1990. Toscanini, Ormandy et d’autres grands chefs ont refusé de rencontrer Karajan. Quant à Arthur Rubinstein, il a boycotté l’Allemagne jusqu’à la fin de ses jours, en 1982 !
De sa vie personnelle il fit état pour se défendre présentant ainsi son premier mariage avec Anita Guterman (dont le grand père était juif), comme élément en faveur de son innocence.
Au lendemain de la guerre il utilisa ce même argument pour se défendre contre les Russes qui lui avaient interdit de diriger. Bref sa renommée était entachée par des zones d’ombre.
Comment Herbert, vous étiez nazi, nazi ?
Il fallut en 1945 deux ans pour conduire son procès en dénazification, avant de tourner la page. Légalement.
Car Karajan n’a jamais exprimé de regret, n’a jamais rien dit sur la Shoah, et des musiciens tels qu’Isaac Stern ou Itzhak Perlman ont toujours refusé de le côtoyer. Ce silence sur 10 années noires, qui sont au cœur de sa carrière, pèse plus encore que les années elles-mêmes.
Les documents présentés par le professeur Oliver Rathkolb à Vienne sont rien moins que troublants et découvrent du chef d’orchestre une personnalité plutôt glauque et nauséabonde que celui-ci résolument occulta.
L’on pouvait jusqu’à ce jour penser que l’attitude de Karajan envers le nazisme relevait plus du carriérisme que de la conviction.
Les nouveaux documents présentés balaient cette interprétation. Voici ce qu’on y apprend:
Karajan a adhéré au Parti nazi (NSDAP) dès le 8 avril 1933 ( Rappelons que Hitler arrive au pouvoir en janvier 1933) avec la carte numéro 1.607.525, alors que le mouvement hitlérien devait être plus tard interdit en Autriche et le restera jusqu’à l’annexion (Anschluss) en 1938.
N’ayant pas payé ses cotisations, une nouvelle carte d’adhérent (numéro 3.430.914) lui a ensuite été délivrée, rétroactivement au 1er mai 1933. Ce type de carte d’adhérent rétroactive était accordée par le Parti nazi à des personnalités de prestige.
Ces éléments figurent noir sur blanc dans un fichier de cartes d’adhérents du NSDAP, avec une photo du jeune Herbert von Karajan et une confirmation écrite de son adhésion par le chef d’orchestre, datée du 26 novembre 1936.
Devant une Commission de dénazification des Alliés en 1945-1946, Herbert von Karajan avait certes admis avoir adhéré au NSDAP, tout en affirmant l’avoir fait non par conviction, mais par souci de sa carrière.
Certes à cette époque les nazis contrôlaient totalement la vie culturelle en Allemagne, avec comme maître d’oeuvre le chef de la propagande nazie, Joseph Goebbels.
La culture était une compétence du ministère de la propagande, détail qui ne pouvait échapper à personne.
Et « le petit K » devint une pièce du dispositif.
Ces choix n’étaient pas obligés. L’ hydre nazi apparut au grand jour dès 1933. Dès cette date débutent les premières arrestations, le développement ad vomitum de l’antisémitisme, de la haine anti juive, ouverture des premiers camps, autodafés de milliers de livres jugés subversifs, artistes bannis, condamnés, artistes et intellectuels contraints de fuir.
A-t-on jamais par ailleurs entendu ce grand chef défendre des démocrates pourchassés ou des artistes juifs menacés.
Or, durant sa jeunesse, Herbert von Karajan avait déjà manifesté ses sympathies pour l’extrême-droite nationaliste et xénophobe. Ainsi apprend-on, lycéen, il était adhérent d’une association ultra-nationaliste, la Corporation pan-germaniste Rugia. Dans des lettres de l’époque, il ne faisait pas mystère de son antisémitisme, dénonçant par exemple, « l’enjuivement du Volksoper à Vienne« .
Herbert von Karajan, Wilhelm Furtwängler, Richard Strauss
Quand Hitler arrive au pouvoir en 1933, Karajan a 25 ans, il a les dents longues et baigne intellectuellement dans ce milieu nationaliste, antisémite, raciste et xénophobe qui porte Hitler au pouvoir.
Les mythes de la suprématie allemande et de l’aryen le séduisent, il barbote dedans et c’est au coeur de ce bourbier idéologique fétide et nauséeux qu’il cherche à trouver le pouvoir en musique. Son rival n’est autre que Wilhelm Furtwängler, alors âgé de 47 ans.
Wilhemm Furtwängler
Les relations entre les deux hommes sont sans chaleur, le plus jeune envie avec convoitise le rayonnement et l’aura de l’aîné. Wilhelm Furtwängler est alors un chef célébré et au sommet de son génie, une quasi institution et fait figure de proue du génie allemand.
Bien sûr Hitler et les nazis voudront le circonvenir et tentèrent de mille manières de l’attirer dans leurs rets.
Les nazis avaient plus besoin de Furtwängler et de son image que le Furtwängler n’avait besoin d’eux.
Furtwängler ne cédera pas. Goëring l’installera dans des charges honorifiques symboliques du monde de la musique, perverse manoeuvre qui avait pour double but de faire oublier à l’opinion publique qu’il avait refusé d’adhérer au nazisme et d’utiliser son image pour la propagande du régime. Après guerre on lui reprochera d’avoir donné l’impression de cautionner le pouvoir en place.
Rétif à l’embrigadement
Le grand chef voudra maintenir sans souillure la réputation de la musique allemande dont il était le plus prestigieux représentant. Pas davantage ne répondra-t-il à l’antisémitisme alors de mode en Allemagne.
Il ne dépassera pas le champ de l’art, et n’intervint pas dans celui plus terrible du champ politique.
Certes il n’avait pas en restant en Allemagne la liberté d’expression nécessaire pour cela.
Wilhemm Furtwängler maintiendra ses contacts avec ses amis musiciens juifs, (Yehudi Menuhin notamment).
Lors d’un concert à Berlin il exigera avant de commencer à diriger que le drapeau nazi à croix gammé soit retiré.
Il refusera toujours de faire le salut nazi.
Il croyait à la transcendance de l’art et de la musique et aux valeurs de l’humanisme. Il refusera d’adhérer au parti nazi. En 1943 il écrivait : «Le message que Beethoven a donné à l’humanité me semble plus que jamais nécessaire aujourd’hui».
Quelques années après la guerre il fit la déclaration suivante au Chicago Tribune : «C’eût été plus facile d’émigrer, mais il fallait que subsistât un centre d’intégrité pour tous les Allemands bons et honnêtes qui étaient contraints à rester derrière. J’ai alors ressenti pour moi que faire de la bonne musique s’opposait avec force à l’esprit de Buchenwald et d’Auschwitz et plus fort que les mots ne pourraient le dire».
Cela sera d’ailleurs corroboré par le Premier violon du Philharmonique de Berlin, Richard Wolff ( dont la femme de confession juive, fut sauvée grâce à la protection de Furtwängler).
Furtwängler était de façon épidermique et intense attaché à son orchestre. (Si l’on peut sourire en lisant ces propos, on en mesure la fragilité face à un pouvoir totalitaire, tyrannique et barbare).
Le passé doit toujours éclairer le présent et il serait particulièrement intéressant de le relire à la lumière de certains événements majeurs qui bouleversent aujourd’hui le concert des nations et dépassent les cadres du cartésianisme occidental!
Les proximités historiques ne sont pas si éloignées que cela!
En 1933 Klauss Mann, le fils de son Commandeur de père Thomas Mann, avait eu le courage de fuir l’Allemagne son pays, pour combattre par la plume le nazisme, puis de prendre la nationalité américaine et combattre au sein de l’US Army contre l’Allemagne. Ils furent hélas bien peu trop peu nombreux à avoir eu cette force magnanime!
Quand un intellectuel n’ a pas peur d’affronter les sarcasmes pitoyables de la société grégaire, se dresse seul face à la violence assassine, l’obscurantisme et aux ténèbres de la pensée, alors chapeau bas !
Richard Strauss en recherche hasardeuse de reconnaissance
R. Strauss et J. Goebbels (date non identifiée)
Le cas de Richard Strauss est contigu à celui de Furtwängler. L’auteur du Chevalier à la Rose en 1933 a 69 ans. Sa notoriété l’auréole de gloire et il apparait comme le père tutélaire de la musique allemande.
Immense compositeur né à Munich, c’est un homme emblématique d’une culture européenne intense et protéiforme dont l’Allemagne est le berceau.
Il connait le succès dès 1905 avec toute une suite d’opéras sublimes qui assureront sa gloire: Salomé (1905), Elektra (1909) et Der Rosenkavalier (Le Chevalier à la Rose) (1911).
C’est un artiste dans l’âme, il ne vit que pour la musique, et tout au long des années alors qu’il connait la gloire et les honneurs il oeuvre pour protéger la vie sociale et économique de ses autres collègues musiciens certes moins connus. Son jugement politique peu familier du débat des enceintes parlementaires ou des journaux ne s’intéresse qu’à l’art.
Il semble un temps attiré par le Troisième Reich.
Le plus grand compositeur allemand de son temps, il est nommé premier président de la Reichsmusikkammer (RMK) le 15 novembre 1933. Il pensait alors tel un Candide, qu’il pourrait utiliser sa fonction pour développer une politique musicale de grande envergure.
Mais il prend conscience très rapidement de sa naïveté et s’oppose alors à un certain Havemann, un musicien opportuniste qui transitera du gauchisme au nazisme et à l’antisémitisme ( phénomène réactif dont seuls les simples d’esprit pourraient s’étonner et hélas toujours d’actualité), ainsi qu’à Karajan «le petit K »aux dents longues.
Richard Strauss voulait développer une politique en faveur de l’éducation musicale et du droit d’auteurs des compositeurs.
Il refusera de participer au processus d’aryanisation de la musique allemande qui avait entre autres buts de supprimer toutes références aux compositeurs allemands d’origine juive.
Il avait de sa personne une idée très narcissique se considérant comme l’héritier de Bach, de Mozart, Beethoven et Wagner et aimait voir ceux qui possédaient l’autorité politique lui donner l’illusion de sa suprématie. C’est là où le bât blesse!
Le rire sarcastique de Till l’espiègle
Après la mort en 1929 de son librettiste Hugo von Homannsthal (lui même d’origine juive), il demanda à l’écrivain juif autrichien Stefan Zweig de travailler pour lui ( les deux adjectifs de qualification pouvant au choix être substantivés et dans n’importe quel ordre ternaire!). De cette collaboration naîtra Die schweigsame Frau (La Femme silencieuse).
Stephan Zweig conscient de l’antisémitisme virulent au pouvoir en Allemagne demandera à Strauss, pour ne pas compromettre la carrière du compositeur, de retirer son nom de l’affiche.
Cependant Richard Strauss refusera et maintiendra le nom de Zweig. La première de l’oeuvre sera donnée à Dresde en 1935 avec Karl Böhm à la direction d’orchestre.
C’est alors que le 17 juin 1935, la Gestapo intercepte une lettre de Richard Strauss destiné à Stéphan Zweig.
Le compositeur décrit sa charge de président de la Reichsmusikkammer comme étant purement un rôle de composition. On le contraint de démissionner et l’opéra ne sera plus rejoué. Plus tard, il composera un hymne olympique pour les Jeux d’Été, mais son aura est déjà sur son déclin.
Après guerre, dans les enquêtes pour dénazification qui seront conduites on lui reprochera un manifeste qu’il avait signé en 1933 contre Thomas Mann et d’avoir remplacé au pied levé le chef d’orchestre Bruno Walter ( également d’origine juive) interdit de concert.
Il fut entièrement blanchi de toute collaboration
Au plan de sa personne et de sa vie privée, sa belle-fille Alice était juive, donc selon les critères nazis ses petits-enfants l’étaient aussi. Durant la Nuit de Cristal (Kristallnacht) il réussit à les protéger par ses interventions auprès de personnes amies.
Ensemble ils déménagèrent à Vienne en 1942 où ils bénéficièrent un temps de la protection du Gauleiter Baldur von Schirach.
Vers la fin de la guerre, alors que le compositeur s’était absenté, les nazis arrêtèrent Alice qui fut incarcérée pendant plusieurs jours. C’est avec de grandes difficultés que R. Strauss réussit à la faire relâcher.
Il put l’emmener ainsi que les enfants à Garmisch où ils demeurèrent en résidence forcée gardés par les nazis jusqu’à la fin de la guerre. Pendant ce temps la famille proche d’Alice fut déportée au camp de Theresienstadt.
Les lettres que Richard Strauss envoya pour demander leur libération demeurèrent sans effet. Il se rendit en voiture en personne au camp mais on refusa de le recevoir à son grand désarroi. Tous moururent ou furent assassinés à Theresienstadt ou dans d’autres camps.
Richard Strauss est mort le 8 septembre 1949.
Notons aussi parmi les artistes compromis par leurs accointances avec les nazis les noms de K. Orff, Böhm, Knapperbusch, peut-être Jochum, Gieseking, la jeune Elisabeth Schwarzkopf.
Si d’évidence le nazisme et ses miasmes contaminèrent des artistes en Allemagne ou en Autriche, la peste brune toucha aussi hélas des artistes dans d’autres pays. En France dans le monde de la musique, le pianiste Alfred Cortot crut jouer une partition de grand talent dans une collaboration crapoteuse avec Vichy.
Le compositeur Florent Schmitt, né en Lorraine, afficha ouvertement ses convictions nazis, n’en déplaise à ses admirateurs messins d’aujourd’hui!
Vous nous aimez, prouvez-le....