Les violences se poursuivent alors qu'un Palestinien a perpétré une attaque à la voiture bélier contre des soldats israéliens à l'entrée d'un camp de réfugiés en Judée-Samarie, vendredi 27 novembre. Le nombre de victimes devrait augmenter ce qui inquiète l'ensemble de la communauté internationale...
Selon le journal britannique The Guardian, des officiers de l'armée israélienne craignent une escalade des violences pouvant tourner en soulèvement généralisé. Dans quelle mesure est-ce une hypothèse probable ?
Michael Blum : Je tiens à préciser que je suis journaliste, je ne sais ce qu'il se passe au sein de l'Autorité palestinienne, ni ce que le Shin Beth ou l'armée peuvent savoir. De mon point de vue après un mois de violences, il n'y a pas de soulèvement populaire que l'on nomme "intifada". Ces agressions ne sont pas organisées. Malgré la répétition quotidienne de tentatives d'attaques à l'arme blanche – la plupart des attaques sont à l'arme blanche depuis le début du mois d'octobre - ne sont pas soutenues par la population palestinienne de manière concrète, organisée.
Je ne vois pas d'intifada. Néanmoins cela risque de continuer, de se multiplier notamment à cause de l'incitation à la violence dans les médias palestiniens. On a vu des enfants de 13 ans par exemple poignarder des Israéliens, et récemment deux jeunes filles de 15 ans, et être qualifiés de martyrs et de héros pour ce genre de crimes.
Je ne vois donc pas pourquoi cela s'arrêterait même si aucun réel soulèvement n'apparait au sein de la population. La coopération sécuritaire entre Israël et l'Autorité palestinienne fonctionne. Par ailleurs, quand des affrontements violents ont lieu près de Jérusalem ou à Hebron, quelques centaines de jeunes palestiniens sont impliqués et non des milliers. Rien n'est comparable avec la première intifada, celle des pierres, ou la seconde intifada, caractérisée par les attentats-suicides.
Le Hamas et le Djihad islamique ne semblent pas chercher à commettre des attentats comparables à la précédente intifada. Il y a eu quelques attentats à l'arme automatique commis par des cellules organisées comme le couple Henkin tué au début de cette vague de violences mais ce genre de crime n'est pas caractéristique de la période actuelle, il y en avait auparavant.
Revenant d'une visite à Jérusalem, le chef de la diplomatie américaine John Kerry a déclaré : "Nous sommes très préoccupés par la violence et le risque de voir la situation échapper à tout contrôle." Quelle lecture faire de ces propos ? Y a-t-il des enjeux politiques derrière cet alarmisme ?
Je ne crois pas qu'il y ait d'enjeux américains en ce moment dans le cadre du conflit israélo-palestinien. En effet, les Etats-Unis ont pris du recul sur ce sujet comme l'a dit Ben Rodhes, conseiller adjoint à la sécurité nationale, avant la rencontre entre Barack Obama et Benjamin Netanyahu et la récente visite de John Kerry.
Les déclarations de ce dernier sont surtout un moyen de pouvoir dire que les choses ont été remarquées alors que le regard de l'administration américaine est davantage tourné en direction de Daesh et de l'Iran plutôt que vers l'absence de processus de paix ou la poursuite d'attaques sporadiques de Palestiniens contre des Israéliens.
L'inquiétude manifestée par le chef de la diplomatie américaine est compréhensible. Les sociétés israéliennes et palestiniennes sentent que la situation leur échappe. Les attaques sont commises par des personnes détachées de toute organisation.
En cas de poursuite de ces actes, il est possible qu'Israël augmente les sanctions sécuritaires, ce qui pourrait entraîner davantage de tentatives d'attentats. Et si le Hamas ou une autre organisation palestinienne arrive à canaliser la colère de la rue palestinienne et organiser des attentats avec des véritables armes, la situation peut rapidement dégénérer.
Les mêmes sources estiment que la vague de violence n'est pas prête de faiblir. Comment l'expliquer ?
L'incitation à la violence est la principale cause de cette vague de violence d'après moi. Si la voix palestinienne officielle parle de paix, de négociation et d'état palestinien, leurs médias continuent de diffuser des mensonges contre l'Etat hébreu notamment la prétendue volonté d'Israël de construire un 3ème temple.
Des médias palestiniens ont même laissé entendre qu'Israël était derrière les attentats de Paris du 13 novembre dernier. Dans les esprits faibles, cette haine antisémite peut amener des individus à sortir avec un couteau pour s'en prendre à des Juifs.
Une autre raison est d'ordre économique. En effet, la reprise des négociations si elle devait arriver un jour, même si le sujet n'est pas d'actualité, amènerait forcément à isoler la société palestinienne de celle israélienne – le but des négociations étant de créer un état d'une manière ou d'une autre. La population palestinienne aujourd'hui côtoie plus que jamais la société israélienne, y compris en Judée-Samarie. Or, cette situation ne plait pas aux dirigeants palestiniens. Si tout va bien, si la coopération économique fonctionne, comment justifier un état ?
De plus en plus de voix en Israël et chez les Palestiniens parlent d'un état binational, de droits civils donnés aux Palestiniens… Que cela ait lieu ou non, pour les dirigeants palestiniens, toute tentative de se tourner vers un état binational met fin à un rêve auquel ils ne peuvent renoncer. La plupart des attentats commis ces deux dernières semaines se sont déroulés dans la région de Judée-Samarie ou juifs et palestiniens se côtoient le plus à travers des commerces mixtes par exemple, le Goush Etzion.
Et l'immense majorité des auteurs des attentats ces dernières semaines viennent de Hebron, la ville la plus radicale. Dans les autres villes, mis à part des affrontements sporadiques avec l'armée, le calme est là. On ne peut donc affirmer aujourd'hui que la société palestinienne se révolte.
Cette vague de violence est-elle aujourd'hui spontanée ou observe-t-on une quelconque organisation d'ordre religieux, politique… ?
Je crois que l'Autorité palestinienne salue ces héros mais je ne crois pas qu'elle organise dans les faits ces agressions. Si le Hamas tente de commettre des attentats en Judée-Samarie à travers notamment une forte propagande, ce n'est pas uniquement contre Israël mais beaucoup contre l'Autorité palestinienne afin de prendre le pouvoir ensuite en Judée-Samarie.
La première intifada était menée par des Palestiniens laïcs qui voulaient se révolter contre l'occupation.
Il s'agit là d'une situation différente.
Les récents attentats qui ont eu lieu dans une dizaine de villes israéliennes ont été commis par des djihadistes pour frapper Israël comme symbole, celui d'une puissance étrangère à leurs yeux sur une terre musulmane.
Le point commun des 2 premières intifadas était l'absence d'espoir, de solution durable pour les Palestiniens. L'armée israélienne a récemment proposé des mesures pour apaiser les tensions, comme la délivrance de permis de travail pour les Palestiniens, la libération des prisonniers et la fourniture d'armes supplémentaires pour les forces de sécurité palestiniennes – mesures rejetées par le gouvernement de Netanyahu. Quelle sortie de crise dans ce contexte ?
Plusieurs options existent. D'abord Israël doit renforcer la sécurité sur les routes, aux barrages et dans les villes. Il s'agit d'une urgence afin d'éviter que d'autres innocents meurent.
A long terme pour sortir de la crise - et on peut reprocher au gouvernement israélien de ne pas avoir traité cette question - à mon sens, même si cela est une idée peu populaire, il faut donner plus de droits aux Palestiniens avant d'arriver à une solution future quel qu'elle soit.
Donner davantage de permis de travail est une manière de vaincre le terrorisme sur le plan économique. Il s'agit donc de donner aux Palestiniens des options de vies meilleures, de leur offrir plus de chances de s'intégrer à la société israélienne, des permis de travail, la possibilité de circuler plus librement, de gagner leur vie plus décemment.
N'oublions pas que le niveau de vie des Palestiniens de Judée-Samarie est 4 fois plus élevé que celui des habitants de Gaza, et celui des arabes israéliens est bien plus important que celui des Palestiniens de Judée-Samarie ! C'est le même peuple. Quand on aura fait tomber les murs, cela sera plus facile pour tout le monde.
Propos recueillis par Rachel Binhas
Source Atlantico