vendredi 3 mai 2013

Une économie en berne pour Jérusalem-est



Lorsqu’il travaillait à Dubaï dans le secteur du développement commercial, Nidal Ghaith gagnait beaucoup d’argent. Grand, élégant, armé d’un diplôme d’école de commerce décroché en Angleterre, il était bien parti pour mener l’existence dorée d’un expatrié… Mais non ! Il y a deux ans, il est revenu à Jérusalem avec sa femme et ses deux jeunes enfants et a monté la Al- Quds Holding Company, une entreprise privée qui vise à redynamiser l’économie de Jérusalem-est. « Jérusalem n’a plus de capacités industrielles aujourd’hui », déplore-t-il.

« Voilà pourquoi nous investissons dans d’autres secteurs comme l’immobilier, l’hôtellerie, le tourisme et l’éducation. » Il nous reçoit dans son bureau provisoire, situé dans un hôtel en travaux. Les technologies de l’information, nous explique-t-il, pourraient connaître une belle croissance. Des centaines d’informaticiens palestiniens sont actuellement au chômage ; la technologie israélienne pourrait les employer et faire ainsi redémarrer le secteur.
Malgré tous les efforts déployés, l’économie de Jérusalemest décline. Un rapport de l’association des Droits civiques en Israël a établi qu’en 2012, le taux de pauvreté était de 78 % parmi les 360 000 Palestiniens de Jérusalem-est (qui constituent 38 % de la population totale de Jérusalem). 40 % des hommes sont aujourd’hui au chômage.
Depuis 1999, 5 000 entreprises ont fermé ou sont parties s’implanter dans les territoires. La barrière de sécurité construite par Israël pour empêcher l’infiltration de terroristes suicides s’étend sur plus de 160 km autour de Jérusalem.
A Eizariya, juste derrière la limite officielle de Jérusalem, l’usine de cigarettes Jerusalem Cigarette Company se trouve à 200 mètres à peine derrière le mur de séparation. Selon son directeur adjoint Omar Alami, ce dernier a nettement compliqué la diffusion de la marchandise dans les magasins de Jérusalem. En outre, Jérusalem est s’est vue peu à peu éclipsée par Ramallah et Béthléhem, devenus les centres de la finance palestinienne.

Taxes pour tous ? 

Par ailleurs, poursuit Alami, il devient de plus en plus cher de se loger. La hausse des loyers est due à la pénurie croissante de logements : selon les estimations, il en manque 40 000 à Jérusalem, ce qui, estime Alami, résulte d’une politique délibérée des Israéliens.
« Comment voulez-vous construire des appartements pour les jeunes couples s’il n’y a pas de terrains ? », s’indigne-t-il.
« La terre est l’obstacle qui empêche les Palestiniens de bien vivre à Jérusalem-est. C’est une politique délibérée et une bombe à retardement. Un jour, ça va exploser ! » La municipalité de Jérusalem a manifestement repoussé plusieurs demandes de rencontre avec les autorités de la partie est. Tout en affirmant, dans un communiqué récent, que la situation est en train de s’améliorer : « La municipalité déploie actuellement des efforts considérables pour améliorer la qualité de vie des citoyens arabes de la capitale », a déclaré un porte-parole. « L’objectif est de combler le fossé qu’ont creusé des décennies de négligence ».
A en croire la municipalité, pas moins de 150 millions de dollars auraient été consacrés à la construction de routes et à la rénovation de voies délabrées dans la partie est de la ville. 85 millions de dollars supplémentaires auraient servi à construire de nouvelles classes dans les écoles.
Toutefois, les hommes d’affaires de Jérusalem-est fulminent : ils paient les mêmes taxes municipales que leurs homologues de Jérusalem-ouest et pourtant, les rues sont sales et creusées de nids-de-poule. Quant au ramassage des ordures, il est loin d’être régulier.
« Allez voir le site Trip Advisor sur Internet : les gens sont très contents du service et des chambres, mais ils se plaignent de la saleté aux abords de l’hôtel », soupire Ossama Salah, propriétaire du tout nouveau National Hotel. « On nous impose des taxes considérables, mais on ne nous donne pas grand-chose en retour. » 

« J’y suis né et c’est là que je veux vivre et mourir »

Les entreprises peinent par ailleurs à obtenir la licence d’exploitation nécessaire à leur activité. Pour cela, la police doit leur délivrer un « certificat de bonne conduite ». Or, beaucoup de Palestiniens ayant été arrêtés à un moment ou à un autre pour avoir lancé des pierres ou manifesté contre Israël, elles se voient refuser le certificat en question. Dès lors, environ 60 % des entreprises palestiniennes opérent illégalement à Jérusalem-est, ce qui les oblige à s’acquitter de lourdes amendes (chiffrées en milliers de dollars) lorsqu’elles se font prendre.
« La situation juridique à Jérusalem est très complexe », explique l’avocat Naer Rashid. « Les taxes municipales figurent parmi les plus élevées d’Israël : 300 dollars par mois, par exemple, pour une petite échoppe de 50 m2, ce qui est tout bonnement inabordable. Vous constaterez par vousmême que les magasins ferment tôt, pour la bonne raison que personne n’achète. » Si Israël a proposé la citoyenneté israélienne aux habitants de Jérusalem-est, ces derniers l’ont refusée dans leur grande majorité, tant pour des raisons politiques qu’économiques.
Politiques, car ils estiment qu’accepter reviendrait à reconnaître l’annexion de Jérusalem-est, dont ils rêvent de faire la future capitale de l’Etat palestinien. En outre, l’accès à certaines parties des territoires, dont Ramallah, est interdit aux citoyens israéliens, une limitation qui réduirait encore la zone d’activité.
Pourtant, malgré ces difficultés, beaucoup de chefs d’entreprise n’envisagent pas de quitter la ville. « J’adore Jérusalem, j’y suis né et c’est là que je veux vivre et mourir », affirme Nidal Gheith, d’Al-Quds Holding Company. « J’ai une passion pour ses rues, pour ses pierres. Ici, on a l’impression de toucher l’histoire du doigt en permanence ! »

Source JerusalemPost