mercredi 8 août 2018

Pologne : le retour des antisémites


La synagogue Nozik est bien plus qu'un symbole en Pologne. Après avoir été dévastée par les nazis en 1940, puis rendue après la guerre à la communauté juive de Varsovie par la mairie de la capitale au terme de deux procès, elle a dû subir de nouvelles attaques dans les années 1990, notamment un incendie criminel en 1997. Et voilà que depuis quelques mois ses responsables ont dû renforcer sa sécurité.......Analyse.......


"À l'accueil, les vieux schnocks qui oubliaient une fois sur deux de fouiller nos sacs ont été remplacés par les colosses d'entreprises privées", témoigne Konstanty ­Gebert, un intellectuel juif et éditorialiste à Gazeta Wyborca, journal d'opposition au gouvernement ­nationaliste et conservateur du parti Droit et Justice (PiS).
Les jours de ­shabbat, les voitures sont passées aux détecteurs de métaux. "De quoi entretenir une certaine paranoïa, même si aucune agression physique n'est à déplorer", ajoute Aleksandra Leliwa-Kopystynska, secrétaire générale de l'Association des enfants de l'Holocauste, qui aide certaines familles à redécouvrir leurs origines juives.

Une anxiété provoquée par la loi mémorielle

Des commentaires antijuifs de spectateurs à la télévision publique jusqu'à la libération de la parole antisémite sur les réseaux sociaux en passant par la publication de caricatures rendant les juifs responsables de la terreur stalinienne : Michael Schudrich, grand rabbin de Pologne, égrene ainsi "les provocations, les clichés et les stéréotypes les plus éculés" entendus ces dernières semaines.
"Pendant trente ans, vous n'entendiez pas une remarque antisémite en Pologne, sauf lors de quelques matches de football. Le plus inquiétant, c'est sans doute la vitesse à laquelle le tabou social s'est écroulé."
Une anxiété provoquée par la loi mémorielle votée le 1er février, permettant de punir de trois ans de prison "le fait d'attribuer à la nation ou à l'État polonais la responsabilité ou coresponsabilité des crimes nazis pendant la Shoah" et dont le paragraphe 55 interdit l'usage de l'expression "camps de la mort polonais". Même si le gouvernement, sous forte pression européenne et israélienne, a accepté le 27 juin d'exclure toute peine de prison pour ces délits, ils pourront être soumis à de fortes amendes. Mais dans les têtes, le mal est fait, et cette loi a déclenché une recrudescence de l'antisémitisme.

Mise en péril de trois décennies de "renaissance"

"Cette vague antisémite sonne la fin des illusions. Longtemps, nous avons été persuadés que l'antisémitisme était en déclin en Pologne, que notre judéité se vivrait enfin comme une chose banale, commente Konstanty Gebert. Aujourd'hui, nous savons que nos petits-enfants seront confrontés aux mêmes problèmes que nous."
Pour les juifs de Pologne, la plus grande inquiétude est sans aucun doute la mise en péril de trois décennies de "renaissance" d'une communauté estimée entre 10.000 et 15.000 membres – ils étaient 3,3 millions en 1939.
Un renouveau à la fois religieux et culturel initié dans l'intimité des cercles familiaux où l'on redécouvrait ses racines juives à la fin des années 1980. "Sous la domination soviétique, les familles qui avaient changé d'identité pendant la guerre ou caché des enfants juifs sont restées silencieuses, l'antisémitisme étant encore très virulent.
Ce n'est qu'après la transition démocratique qu'elles se sont senties, peu à peu, libres de partager leur histoire", se remémore ­Aleksandra Leliwa-­Kopystynska, qui n'a appris ses origines juives qu'en 1990. Et de s'interroger, médusée : "Imaginez donc que cette loi ait vu le jour en 1989 : les familles auraient-elles osé parler?
Le renouveau aurait-il pu avoir lieu sans transparence ni travail historique? Mon père a été assassiné en 1942 par un maître chanteur qui menaçait de dénoncer ma mère : puis-je désormais raconter mon histoire sans être traînée au tribunal?"

Nombreuses réactions de solidarité issues de la société civile

Le rabbin Schudrich le reconnaît, il a été surpris par le nombre de personnes lui demandant s'il était temps de plier bagage. Il se réjouit, en revanche, qu'aucun départ n'ait eu lieu depuis. "Il y a eu une poussée de fièvre, mais je crois que la sérénité est de retour."
Une lueur d'espoir rallumée au printemps par les nombreuses réactions de solidarité issues de la société civile, des ONG, de l'Église catholique et même les condamnations sans appel de l'antisémitisme par le président ­Andrzej ­Duda en visite au Centre culturel juif de Cracovie.
"Cela a pris peut-être un peu de temps, mais ce front commun a montré que la majorité des Polonais ne tolérait pas de tels actes", soutient l'homme de foi.
Un sursaut qui, trente ans après une autre grande période d'antisémitisme dans le pays, a rasséréné la communauté juive.
En mars 1968, le régime communiste avait mené une campagne antisémite en réaction à la guerre des Six-Jours d'Israël. Treize mille juifs avaient alors rallié l'État hébreu. "La brutalité des réactions tout comme le fait que le gouvernement ait initié le déferlement sans pouvoir le contrôler sont similaires", juge Konstanty Gebert, lui-même viré du lycée en 1968 à cause de ses "origines sionistes".
"Mais la grande différence, ajoute-t-il, est qu'à l'époque nous étions seuls et avions peur, et qu'aujourd'hui nous nous sentons soutenus."
Du côté des institutions juives, l'heure est à l'apaisement. Rappelant que "la montée de l'antisémitisme n'est pas propre à la Pologne", Michael Schudrich renvoie dos à dos les extrémistes des deux camps.
"J'ai entendu des choses scandaleuses et irresponsables côté polonais concernant les juifs, mais aussi du côté des juifs radicaux, en Israël, concernant les Polonais. La discussion doit désormais prendre le pas sur les débats hystériques."
Son prochain combat : obtenir l'abrogation de cette loi mémorielle tant contestée auprès du Tribunal constitutionnel. "Car, outre sa portée électoraliste pour flatter l'extrême droite nationaliste, elle vise avant tout à intimider les professeurs d'école afin qu'ils n'évoquent pas, ou plus du tout, par prudence, les épisodes troubles de l'histoire polonaise", souligne l'éditorialiste varsovien Konstanty Gebert.
Pawel Machcewicz, ex-directeur du musée de la Seconde Guerre mondiale de Gdansk, craint, lui, qu'une épée de Damoclès ne soit dressée au-dessus des musées et lieux culturels.
"Déjà les milieux nationalistes s'en sont pris sur Twitter à l'exposition temporaire du musée Polin traitant de mars 1968 et ont lancé une pétition pour que les collections permanentes du musée d'Auschwitz-Birkenau s'attachent davantage aux victimes 'polonaises' du conflit ! s'alarme ce sympathisant de Plateforme civique, l'opposition centriste.
Après vingt-cinq ans d'un travail formidable pour faire face à son passé, ce dont la Pologne devrait s'enorgueillir, cette loi et les débats provoqués sont un désastre moral, historique et politique."

Source Le Journal du dimanche
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