La Grèce met les bouchées doubles pour renforcer ses liens au sein du front antiturc. Après avoir rencontré ses homologues chypriote, émirati et israélien au sommet de Paphos vendredi et samedi derniers, le chef de la diplomatie grecque Nikos Dendias s’était rendu dimanche en Égypte avant de prendre hier la direction de l’Arabie saoudite.........Détails........
Différents dossiers ont été évoqués au cours de ces rencontres, à commencer par les intérêts sécuritaires et énergétiques des pays concernés en Méditerranée orientale, en Libye, et plus largement dans la région.
Ce ballet diplomatique intervient surtout à un moment où la Turquie, fustigée pour son aventurisme et isolée sur la scène régionale et internationale, s’emploie depuis le début de l’année à calmer le jeu avec ses voisins et au Moyen-Orient.
« Le moment choisi pour la réunion est en réponse à la perception selon laquelle les ouvertures de la Turquie ne sont pas sincères et que l’on ne peut pas faire confiance à Ankara », explique Cinzia Bianco, spécialiste du Golfe au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR).
La Turquie et ces différents pays sont en opposition sur plusieurs fronts. En Libye, les autorités turques appuient le gouvernement d’union nationale face à l’armée nationale libyenne dirigée par le maréchal Khalifa Haftar, soutenue par Riyad, Abou Dhabi, Le Caire et, dans une certaine mesure, la France, même si l’amorce d’une réconciliation nationale en début d’année a pu laisser entrevoir l’atténuation des tensions entre les parties.
L’intervention turque en Libye fin 2019, qui a permis de renverser le rapport de force sur le terrain, a également été accompagnée d’accords de coopération sécuritaire et, surtout, de la délimitation des frontières communes permettant à la Turquie d’étendre sa souveraineté en Méditerranée orientale.
En laissant la voie libre à Ankara pour effectuer de nouveaux forages gaziers dans des zones disputées par les pays riverains, l’accord de délimitation maritime avait suscité une levée de boucliers, notamment du côté d’Athènes, estimant qu’il violait le droit international maritime.
Ces considérations avaient encouragé la Grèce, Chypre et Israël à accélérer la signature d’un accord gazier aux accents géopolitiques pour contrer les velléités turques début 2020, tandis que l’escalade des tensions en Méditerranée orientale l’été dernier avaient fait craindre que le conflit ne dérape entre Ankara et Athènes.
Surveiller la Turquie
Si les tensions sont effectivement à la baisse, notamment suite à l’arrivée de l’équipe du président américain Joe Biden à la Maison-Blanche, les résultats des efforts turcs sur la scène diplomatique restent mitigés et peinent à rassurer les interlocuteurs d’Ankara pour le moment. Les différends avec Athènes ont été publiquement affichés jeudi dernier dans le sillage d’un accrochage verbal devant la presse entre Nikos Dendias et son homologue turc Mevlut Cavusoglu, à l’issue de leur rencontre dans la capitale turque pour trouver une issue aux multiples dossiers qui opposent les deux pays.
Le même jour, le chef de la diplomatie turc avait déclaré qu’une délégation nationale devrait se rendre en Égypte le mois prochain, un sujet sur lequel Le Caire est resté pour sa part discret alors que les deux pays ont rompu leurs relations en 2013 dans la foulée de l’arrivée au pouvoir de Abdel Fattah al-Sissi. En février 2020, l’Égypte avait annoncé l’établissement d’une alliance antiturque composée de la Grèce, Chypre, les EAU et la France dans le but de contrer les actions de la Turquie en Libye et en mer Méditerranée.
Les récentes rencontres entre Athènes et les pays en Méditerranée orientale et dans le Golfe interviennent suite à une rencontre à Ankara la semaine dernière entre le reïs turc Recep Tayyip Erdogan et le Premier ministre libyen Abdelhamid Dbeibah et au cours de laquelle ils ont réaffirmé leur attachement aux accords de 2019.
« La réunion du quatuor à Chypre est un signe de leur engagement continu en faveur d’un partenariat capable de surveiller la Turquie », fait remarquer Cinzia Bianco. Le week-end dernier a été marqué par la signature du plus grand accord d’achat d’équipements de défense entre Israël et la Grèce, renforçant leurs liens politiques et économiques tandis qu’ils ont lancé dimanche des exercices aériens conjoints.
En novembre, la Grèce et les EAU ont également signé un « partenariat stratégique ».
Au-delà du dossier libyen, Abou Dhabi, Riyad et Ankara entretiennent des divergences idéologiques profondes. Alors que la Turquie est proche de la ligne islamiste des Frères musulmans, les EAU et l’Arabie saoudite considèrent la confrérie comme une organisation terroriste et une menace pour la stabilité de la région.
« Les EAU restent plus hésitants que jamais vis-à-vis de la Turquie car leur opinion sur la politique régionale d’Ankara n’a pas changé », note Cinzia Bianco. « L’Arabie saoudite a un réel intérêt à explorer la possibilité de tourner la page avec la Turquie, mais le manque de confiance est toujours prédominant », ajoute-t-elle.
Interlocuteur stratégique
Si le ton a baissé entre Ankara et les pays du Golfe, notamment depuis la levée en janvier du blocus imposé par Riyad, Abou Dhabi, Manama et Le Caire à Doha, soutenu par la Turquie, le royaume saoudien entretient des liens de plus en plus étroits avec Athènes dans le but de contenir l’expansionnisme turc.
Accompagné du ministre grec de la Défense Nikolaos Panagiotopoulos hier à Riyad, Nikos Dendias a signé un mémorandum d’accord pour l’établissement de consultations sur des intérêts communs avec le Conseil de coopération du Golfe et a rencontré son homologue saoudien, Fayçal ben Farhan, et le ministre d’État saoudien aux Affaires étrangères, Adel al-Jubeir. Selon des officiels grecs cités par l’agence Reuters la semaine dernière, Athènes et Riyad devaient finaliser hier un accord pour le déploiement d’une batterie de défense aérienne Patriot en Arabie saoudite afin de protéger les infrastructures énergétiques du royaume, régulièrement visées par des missiles et des drones lancés par les rebelles houthis, appuyés par l’Iran, depuis le Yémen où Riyad mène une coalition pour soutenir les forces gouvernementales.
« C’est un nouveau pas dans la relation qui jusqu’à présent n’a jamais vraiment recouvré les intérêts stratégiques des deux côtés. Les choses ont changé depuis fin 2019 : la Grèce a considéré l’Arabie saoudite et les EAU comme des partenaires utiles pour contrebalancer la Turquie et vice versa », souligne Cinzia Bianco.
« Le royaume wahhabite voit également la Grèce comme un interlocuteur stratégique pour renforcer sa position au niveau de l’Union européenne, un élément d’autant plus important maintenant que Riyad a des relations plus difficiles avec son partenaire occidental clé, les États-Unis. »
Vous nous aimez, prouvez-le....