lundi 19 avril 2021

Frontières maritimes : pourquoi la délégation libanaise conteste la ligne Hof

Les négociations sur la démarcation des frontières maritimes entre le Liban et Israël ont repris en octobre dernier mais se sont très vite engluées dans ce que les experts ont appelé la « guerre des cartes ». Ces dix dernières années, le Liban réclamait ses droits sur 860 km2 au sein de la zone contestée entre les deux pays. La ligne Hof, du nom du diplomate américain Frédéric Hof qui a joué les médiateurs entre les deux parties entre 2010 et 2012, attribuait au Liban 55% de la zone contre 45% pour Israël.........Décryptage........

Mais cette ligne est rejetée en 2020 par la délégation libanaise qui considère qu’elle ne respecte pas les normes du droit international. Un projet amendant le décret 6433/2011 est actuellement sur la table afin de permettre au Liban de revendiquer sa souveraineté sur 1 430 km2 supplémentaires en plus de la zone disputée. 
Le président Michel Aoun a refusé de signer cet amendement pour le moment, considérant que cela reviendrait à « mettre un terme aux négociations » avec Israël suspendues depuis fin 2020. 
Les dernières revendications libanaises débordent sur le gisement de gaz israélien Karish, ce qui pourrait effectivement mettre un terme aux négociations. Les Israéliens sont en position de force dans les discussions, exploitant déjà leurs deux grands champs gaziers, le Tamar et le Léviathan. 
Le Liban, qui est frappé par la pire crise économique de son histoire, mise beaucoup sur ses potentielles ressources gazières qui pourraient constituer, à terme, une importante rentrée d’argent même si ce scénario dépend pour l’instant de nombreuses contraintes et inconnues. 
Le Liban officiel attend avec impatience les résultats de l’exploration du bloc 9, dont 8 % se trouvent toutefois dans la zone contestée.

Retour sur la ligne Hof

Ce que l’on appelle la « ligne Hof » a été tracée d’un coup de compas par Raymond Milefsky, géographe américain travaillant dans l’équipe de l’ambassadeur Frédéric Hof, alors chargé par l’administration Obama de résoudre le conflit frontalier maritime qui oppose Israël au Liban. 
Si cette ligne représentait en 2012 une éventuelle option pour les deux équipes de négociateurs, elle semble symboliser aujourd’hui les demandes maximalistes des Israéliens tandis que le camp libanais a revu ses positions.
Pour comprendre l’origine de ce contentieux, il faut revenir à 2007 lorsque le Liban négocie avec Chypre un accord de délimitation de sa Zone économique exclusive (ZEE) en définissant six points géographiques du nord au sud du Liban (voir cartographie). 
Cet accord n’a cependant jamais été ratifié par le Parlement libanais. Puis en 2010, après la découverte d’importants gisements gaziers dans le bassin levantin, notamment le Tamar par l’entreprise texane Noble Energy, le Liban notifie les Nations unies de ses nouveaux points géographiques qui délimitent sa ZEE en prenant cette fois non pas le point 1 comme référence à sa frontière sud, mais le point 23. 
La même année, Israël signe un accord bilatéral de délimitation avec Chypre chevauchant la revendication libanaise, en délimitant le nord de sa ZEE au point 1 (celui que le Liban avait choisi comme sa limite de façon erronée dans l’accord non ratifié libano-chypriote de 2007).
En 2011, le Liban est en situation de litige territorial au niveau de sa frontière maritime sud avec Israël et la surenchère va bon train des deux côtés de la ligne bleue. 
Contrairement à Israël et aux États-Unis, le Liban est signataire de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS) dite aussi de « Montego Bay » (1982). 
Cette convention fixe les règles en vigueur afin de définir des ZEE et organise des mécanismes d’arbitrage, de médiations et crée le Tribunal international du droit de la mer afin de résoudre pacifiquement les disputes entre États. Elle souligne dans ses articles 74 et 83 que le « tracé final de la ligne doit aboutir à une solution équitable entre les parties ». 
Le principe de traçage de cette ligne repose sur une continuité de la frontière terrestre convenue entre deux pays voisins.
Pour le Liban et Israël, l’approximation de la position géographique de la frontière qui n’a jamais été fixée par un accord accentue la complexité de la délimitation de la frontière maritime. 
Cette ligne doit être tracée en suivant le principe d’équidistance, une ligne médiane entre les côtes des pays adjacents prenant en considération des facteurs d’ajustement ou de déplacement du tracé afin d’obtenir une solution équitable pour les parties. 
Le diplomate américain Frédéric Hof assure jusqu’à aujourd’hui (voir entretien avec L’OLJ) qu’il a agi de bonne foi pour trouver un compromis juste entre les deux acteurs. 
Si la ligne qu’il a tracée divise la zone contestée à l’avantage du Liban, la méthode utilisée a été largement décriée depuis par plusieurs experts libanais et internationaux.

Les critiques contre la ligne Hof

La « ligne Hof » est accusée de ne pas respecter le droit international mais au contraire de faire le jeu d’Israël au détriment du Liban. 
« La revendication israélienne n’avait aucun fondement juridique, elle était juste un moyen de s’accaparer un peu plus d’espace au détriment de la ZEE libanaise », souligne Daniel Meier, spécialiste des questions de frontières au Proche-Orient et auteur de l’ouvrage Shaping Lebanon’s Borderlands : Armed Resistance and International Intervention in South Lebanon.
La ligne Hof suit une logique d’équidistance à partir d’un point situé à trois miles au large du point B1 à Ras Naqoura et ne trouve pas son origine sur le rivage, comme cela devrait être le cas dans l’éventualité d’une côte rocheuse. Le droit international permet à une ligne d’être tracée au large de la frontière terrestre si cette dernière est matérialisée par une barrière naturelle mouvante et donc difficile à délimiter, comme l’embouchure d’un fleuve. 
Ce qui n’est évidemment pas le cas à Ras Naqoura. « Ce n’est pas tant le point de départ de la courbe qui importe que son inclinaison qui peut faire varier sensiblement les ZEE », dit Daniel Meier.
Frederic Hof se targue du fait que sa proposition avait reçu l’aval des négociateurs libanais et avait été contestée par les Israéliens. 
Mais pour Laury Haytayan, spécialiste en hydrocarbure et géopolitique au Proche-Orient, l’équipe libanaise n’avait pas les connaissances nécessaires afin de pouvoir contre-argumenter la médiation américaine. 
Elle précise que cette ligne a été malgré tout déboutée par le gouvernement libanais en août 2012. 
En effet, des ministres auraient eu des informations comme quoi un nouveau tracé ne prenant pas en compte les îles Takhilit situées au nord de Haïfa donnerait une superficie supplémentaire de 1 800 km2 au Liban. 
À ce titre, Laury Haytayan explique que la frontière qui sépare le Liban de la Syrie est clairement définie dans la région de Ras Naqoura puisqu’elle respecte les cartes de l’occupant anglais datant de 1923.

Les rochers Takhilit

Au large de Haïfa se trouvent quelques îlots de roc, non habités et non habitables, dont le plus large ferait moins de 25 m de longueur, recouvert de part et d’autre par les vagues en cas de tempête. 
Ces rochers ont eu un impact significatif sur le tracé de la ligne Hof. Le droit international définit clairement l’incidence des îles sur la ZEE d’un pays avec son voisin selon trois méthodes d’ajustement. Ces îles devraient avoir soit un effet total d’inclinaison, soit un semi-effet sur le traçage de la courbe équidistante, soit un effet nul.
La Cour internationale de justice apprécie l’impact de ces îles en fonction de leur végétation, population et superficie. Il n’y a cependant aucune jurisprudence qui justifierait un effet total de ces rochers sur le traçage de la délimitation entre les ZEE israélienne et libanaise. 
Or, la ligne Hof a été tracée en donnant aux îles un effet de 100 % sur toute la longueur. Si le diplomate américain met en avant le fait qu’il a utilisé la même méthode pour des rochers libanais non habités, aucun n’a un impact ne serait-ce que comparable à celui des îles Tekhilit. 
Ces dernières font perdre au Liban 1 800 km2 de territoire maritime.

Le rapport fantôme

En 2011, un rapport réalisé par le United Kingdom Hydrographic Office est remis à la délégation libanaise en charge des négociations qui vient donner une toute autre interprétation à la ligne séparant les ZEE. 
Sous la direction d’un conseiller ayant travaillé à la Cour internationale de justice, ce document recommande de ne pas prendre en compte la présence des rochers Takhilit puisqu’étant de taille minuscule et inhabités avec jurisprudence à l’appui. Pour Daniel Meier, la réapparition de ce rapport en 2020 a constitué un coup de théâtre. 
« On est en droit de se demander qui avait eu accès à ce rapport et pourquoi il est resté caché durant tant d’années. Quelles sont les pressions politiques qui ont fait que les Libanais n’ont pas eu vent des conclusions du United Kingdom Hydrographic Office ? »

Source L'Orient le jour
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