Janina Hescheles-Altman a écrit “A travers les yeux d’une fille de 12 ans” en 1943, quelques semaines après s’être évadée du camp de Janowska, à Lvov. Il sort aujourd’hui en France. Rencontre avec son auteure, fidèle à l’enfant qu’elle était.......
Janina rassemble, selon ses proches, toutes les caractéristiques du mensch. Un être intègre et d’une « bonté impitoyable » loué dans la tradition yiddish. A 86 ans, sa fragilité est palpable, accentuée par la maladie de Parkinson. Mais son corps et son âme recèlent une fermeté inaltérable qu’on découvre au fil des trois heures d’entretien.
C’est elle qui dicte le tempo. Faisant fi des questions que nous lui avions envoyées, elle suit sa propre chronologie.
De son enfance heureuse à Lvov en Pologne (aujourd’hui en Ukraine), elle ne dit rien. La berceuse qu’elle entonne en polonais en est la seule réminiscence. Le reste est oublié.
Elle démarre son histoire, là où, elle estime que tout a commencé : « C’était en 1941. Mon père venait de rentrer à la maison après avoir été emprisonné par les Soviétiques qui ont occupé la ville avant les Allemands. »
Une narration identique à celle de son livre A travers les yeux d’une fille de 12 ans. Ce texte rédigé en septembre 1943, publié en Pologne en 1946, est désormais disponible en français.
« J’ai eu connaissance de ce témoignage quand je préparais mon anthologie L’Enfant et le génocide, raconte Catherine Coquio, directrice de la collection Littérature, Histoire et Politique chez Classiques Garnier, et professeure de littérature à l’université Paris-VII. Il est exceptionnel à la fois par son contenu, et par ses conditions de rédaction. »
Des “soirées littéraires” au camp de Janowska
Tout commence en 1943 par la rencontre entre Janina et le poète polonais Michel Borwicz (1911-1987) dans le camp de travail et d’extermination de Janowksa, situé dans les faubourgs de Lvov.
Lui y anime des « soirées littéraires », un moyen, à ses yeux, de « garder sa dignité face à la mort ». Elle déclame des poésies derrière le baraquement des femmes.
« Une alliance avec la littérature » se noue entre eux, dira plus tard Michel Borwicz. Le poète organise l’évasion de Janina et son accueil par un réseau de résistants polonais qui la cachent à Cracovie. Il invite la fillette à décrire son expérience.
En cinq jours, elle noircit trois cahiers. « Sans brouillon, ni rature ». Son récit coule en un seul jet sur les lignes, « comme une lave qui sort d’un volcan ».
A l’opposé du journal d’Anne Frank, hanté par le pressentiment de la « catastrophe » à venir, les « mémoires » de Janina l’embrassent dans sa globalité.
La mort de son père dans les pogroms de juin 1941, la vie dans le ghetto qui s’organise à partir de l’automne 1941 et ses infructueuses tentatives de trouver un refuge, le suicide de sa mère sous ses yeux en mai 1943...
Orpheline, sans abri, Janina se résigne à entrer dans le camp de Janowska. Chaque épisode est relaté, sans épanchement.
Denses, précises à l’extrême, courtes, ses phrases sont d’une clarté « quasi scientifique », exemptes de toute sensiblerie, mais emplies d’information. Ainsi, sa description de Janowksa est précieuse, tant ce camp diffère de l’univers concentrationnaire de Treblinka et de Belzec.
Elle n’a jamais voulu endosser la figure du porte-parole
Elle raconte le travail quotidien dans les ateliers, l’administration scindée en deux, la vie dans les baraquements, la liquidation des détenus à Piaski ou leur départ vers Belzec.
« On retrouve la même minutie que chez Primo Levi », remarque Livia Parnes, du Mémorial de la Shoah. D’ailleurs, ce dernier était chimiste et Janina le deviendra en Israël où elle émigre en 1950.
Un compte rendu précieux qui, pour l’historienne Judith Lyon-Caen, montre « combien le groupe formé autour de Michel Borwicz saisissait l’importance de collecter des témoignages à chaud ».
Acte de résistance dans l’urgence de la guerre qui gronde, parfaitement compris par l’auteur malgré ses 12 ans. « Une telle maturité est troublante », souligne Catherine Coquio.
« Michel Borwicz m’avait attribué le rôle d’écrire. Je devais m’appliquer », explique Janina. Elle n’a jamais voulu endosser la figure du porte-parole. « Beaucoup d’enfants ont vécu la même chose que moi », insiste-t-elle. La transmission ce n’est pas son affaire.
Elle tient plutôt à s’appuyer sur les souvenirs douloureux pour parler d’aujourd’hui.
« Notre passé tragique ne nous donne pas le droit, en Israël, de confisquer des terres, de détruire des maisons, d’arracher des champs d’oliviers », écrit-elle dans l’épilogue de A travers les yeux d’une fille de 12 ans.
Par fidélité à la petite fille qu’elle était, elle lutte contre « l’injustice ». « Car les Polonais qui m’ont sauvé l’ont fait au risque de leurs vies. Cela m’oblige envers les opprimés. »
Dix ans de travail sur les résistants de la Rose blanche
« Janina montre la lumière dans les moments les plus obscurs », remarque son éditeur israélien David Gottesman. Ce regard nuancé, elle l’a appliqué à l’Allemagne.
Au départ à contre-coeur, puisque ses deux fils se souviennent du temps où elle leur interdisait les jouets made in Germany. Mais sa découverte de la Rose blanche, un mouvement de résistance antinazi rassemblant de jeunes scientifiques à Munich l’a bouleversée.
Au point d’y consacrer dix années de recherches et de publier, en 2007, un livre sur le sujet.
On y décèle une ode à la jeunesse, capable de faire bouger les lignes. Mais aussi un message à son pays.
« Entre 1933 et 1939, des milliers d’Allemand ont été déportés. La population allemande avait peur. J’observe une peur similaire en Israël, celle d’aider les Arabes, les gens de gauche », dit-elle.
A lire
A travers les yeux d’une fille de 12 ans, Classiques Garnier.
L’enfant et le génocide. Témoignages sur l'enfance pendant la Shoah, Catherine Coquio et Aurélia Kalisky, Bouquins Robert Laffont, novembre 2007
A voir
Le Carnet de Janina, un film de Isabelle Vayron de La Moureyre, disponible en DVD.
Source Telerama
Suivez-nous sur FaceBook ici: