lundi 29 décembre 2014

Pourquoi Israël voit venir une nouvelle guerre avec le Hezbollah...


Entretien avec Bruno Tertrais ( Voir photo ) : « La relation avec la France est excellente. Comme François Mitterrand en son temps, François Hollande est sincèrement préoccupé du sort d’Israël ». Maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique, vous rentrez d’Israël où vous disposez de nombreux contacts de haut niveau...Interview...


Quelles sont aujourd’hui les préoccupations qui s’y expriment ?
Ce qui m’a frappé avant tout, c’est l’insistance sur le danger croissant du Hezbollah, dans le contexte, fluide et mouvant, d’un environnement perçu comme menaçant à la fois au Nord, à l’Est et au Sud.
En revanche, le thème du processus de paix, au cœur de l’actualité diplomatique internationale, ne fait pas partie du débat politique quotidien d’Israël.
C’est plutôt un bruit de fond.
Et il y a, bien sûr, la campagne en vue des élections à la suite de l’éclatement de la coalition sur la question de la caractérisation d’Israël comme Etat-nation du peuple juif.
 

Pour les Israéliens, le Hezbollah libanais est donc au sommet de la hiérarchie des menaces ?
Oui, mais il l’est avec l’Iran. Si le Hezbollah n’est pas un simple instrument de l’Iran, il n’est rien sans lui. Israël est ainsi impliqué de manière indirecte dans le conflit syrien, parce qu’il y est en guerre contre le Hezbollah et l’Iran.
On a vu récemment ce raid israélien en territoire syrien qui visait probablement un transfert d’armes au Hezbollah. Une question divise les experts : l’engagement du Hezbollah dans la guerre syrienne, aux côtés de Bachar, l’a-t-il affaibli ou renforcé ?
L’importance des pertes humaines plaide pour un affaiblissement, mais des analyses plus fines indiquent au contraire un renforcement militaire, avec les acquis de l’expérience, par exemple la manœuvre interarmées. Il a, par ailleurs, reconstitué ses stocks de roquettes, avec un accroissement de leur nombre, de leur portée et de leur précision.
Le Hezbollah dispose de plusieurs dizaines de milliers d’engins. C’est la raison pour laquelle la plupart des Israéliens considèrent qu’il est la menace n° 1 et évoquent la perspective d’un nouveau conflit au Nord.
Le ton a changé depuis un an. On entend dire que la guerre approche.

Y croyez-vous ?
La question est de savoir si le Hezbollah peut se battre simultanément sur deux fronts, en Syrie et contre Israël ? Je ne le vois pas décider de lui-même une offensive majeure contre Israël.
Toutefois, il peut y avoir une erreur stratégique de sa part et un enchaînement non maîtrisé, ou un futur conflit lié à la crise iranienne. On peut aussi imaginer une opération préemptive israélienne.

Vous parlez du Hezbollah, mais, cet été, Israël était encore en guerre contre le Hamas à Gaza. Le mouvement islamiste palestinien est-il encore une menace ?
Il est très clairement affaibli. Et avec un taux d’interception de 80-90 %, le bouclier antimissile Iron Dome est un vrai succès.
Il est parvenu à protéger les civils et il n’est que la première couche d’un système de défense auquel s’ajoute Arrow et bientôt David’s Sling pour les engins de plus longue portée.
Reste la menace des tunnels pénétrant en territoire israélien. Et la crainte que le Hamas attise les braises en Judée-Samarie.

Israël est voisin de la Syrie. Quelle est sa politique par rapport à la guerre qui y sévit, vis-à-vis du régime de Bachar et du groupe Etat islamique (Daesh) ?
Pour Israël, Daesh représente à la fois une menace et une opportunité. Une menace à cause de l’influence que ce groupe pourrait avoir sur la population palestinienne, et de sa montée en puissance aux frontières du pays, dans le Sinaï et aux pieds du Golan.
Mais aussi une opportunité, car il est l’un des trois éléments à la base de l’alliance de facto entre Israël et les monarchies sunnites – ainsi que l’Egypte : les Frères musulmans, l’Iran et Daesh, trois menaces communes. J’étais récemment en Arabie saoudite et je suis frappé par la convergence des analyses stratégiques entre les deux pays.
Qui devrait être mise à profit pour le processus de paix… Quant au régime syrien, les Israéliens ne sont pas mécontents du maintien au pouvoir de Bachar al-Assad, interlocuteur bien connu qui permet l’exercice de la dissuasion.

Revenons-en au processus de paix avec les Palestiniens, même si vous dites qu’il n’est pas un élément central du débat politique. Israël réagit pourtant assez mal aux demandes de reconnaissance de l’Etat palestinien, que le Parlement français a, par exemple, exprimé. Qu’en est-il ?
On peut y ajouter le projet de résolution européenne aux Nations Unies. Ces manœuvres agacent et irritent les Israéliens. Ils le vivent comme une forme d’abandon de la part de l’Europe, où ils voient aussi une résurgence de l’antisémitisme.
Je ne pense pas que l’accroissement de la pression diplomatique soit une clé du processus de paix ; elle peut vite devenir contre-productive.
Les intellectuels israéliens qui ont lancé un appel pour la reconnaissance de l’Etat palestinien ne représentent pas grand-chose.
Le centre et une grande partie de la gauche n’y sont pas favorables, même si le processus de paix reste un marqueur gauche/droite.

Pensez-vous qu’une nouvelle Intifada soit possible ?
Il y a le risque de troubles en Judée-Samarie, surtout si le Hamas les attisait, mais pas d’Intifada au sens d’un soulèvement d’une population désespérée. Le risque, ce sont plus des attentats comme à Jérusalem-Est en ce moment…

Beaucoup d’observateurs estiment que la solution des deux Etats s’éloigne. Qu’en pensez-vous ?
Je ne crois pas à cette thèse, qui fait le jeu des extrêmes. La séparation est délicate, mais encore faisable.
Aujourd’hui, même Netanyahou la soutient publiquement alors qu’elle n’était défendue que par la gauche il y a trente ans. Je vois deux faux problèmes : le tracé des frontières et la sécurité.
Ce sont des difficultés que des négociateurs de bonne volonté peuvent résoudre en quelques jours. En revanche, il y a deux vrais problèmes, le statut de Jérusalem-Est et le droit au retour des Palestiniens, qui renvoient au récit historique entretenu par chacune des deux parties.
D’où l’importance du débat sur la nature de l’Etat d’Israël sur lequel vient de se briser la coalition…
Oui, même s’il s’agit plus d’une manœuvre politique qu’une interrogation centrale de la société civile.
C’est un peu comme lorsque Nicolas Sarkozy a créé un ministère de l’Identité nationale… La formule soutenue par la droite, l’Etat-nation du peuple juif, rompt avec l’équilibre de celle d’aujourd’hui, Etat juif et démocratique, qui est d’une merveilleuse ambiguïté créatrice.

Comment jugez-vous la relation entre Israël et les Etats-Unis ?
En apparence, elle est distendue, voire conflictuelle, notamment sur l’Iran ou le processus de paix.
Mais dans le même temps, jamais la coopération en matière de renseignement n’a été aussi bonne. Les Israéliens râlent et ne font pas confiance à Obama, mais ne semblent pas inquiets.
Une question reste ouverte : le gouvernement israélien va-t-il faire pression, dès le mois de janvier, sur le Congrès américain pour l’adoption de nouvelles sanctions à l’égard de l’Iran ?
Cela mettrait de l’huile sur le feu et ne faciliterait pas la négociation...

Et avec la Russie ?
Il y a eu, depuis plusieurs années, un vrai rapprochement, du fait de l’importance de la communauté russe en Israël et de la politique de Poutine, soucieux d’entretenir l’héritage culturel russe dans le pays.
Moscou n’a pas livré de missiles sol-air S-300 à l’Iran, par exemple. Et Israël reste passif sur la crise ukrainienne, ce que les Français n’ont d’ailleurs pas manqué de lui reprocher.

Et avec la France, justement ?
La relation est excellente. Comme François Mitterrand en son temps, François Hollande est sincèrement préoccupé du sort de ce pays.
De son côté, Israël apprécie énormément la fermeté française sur le dossier nucléaire iranien.
Certes, les Israéliens sont agacés par la volonté de la France de relancer le processus de paix, car ils considèrent que celui-ci ne peut pas venir d’en haut, et les idées de date butoir ou de conférence internationale leur déplaisent profondément.
Mais cet engagement de Paris montre qu’on ne peut pas parler d’un tournant pro-israélien de la politique française qui aurait été initié par Nicolas Sarkozy et poursuivi par François Hollande.
Source L'opinion