mercredi 22 mai 2013


 
La société israélienne Cattle Sense accroît de 40% le taux de reproduction du bétail.
Imaginez que vous êtes un éleveur et que vous avez des milliers de têtes de bétail qui paissent sur votre propriété. Votre première préoccupation est l’état de santé de vos bêtes.

Vous souhaiteriez donc savoir en temps réel si vos animaux ne sont pas malades et se nourrissent correctement, ou savoir si les petits se développent bien pour pouvoir survivre au prochain hiver par exemple. Votre seule solution possible jusqu’à maintenant est de parcourir votre propriété de long en large pour vérifier que toutes les bêtes sont en bonne santé. Si vous avez quelques dizaines de têtes dans un enclos de quelques milliers de mètres carrés, ce n’est pas un problème. Mais si vous êtes un éleveur australien, argentin ou américain avec plusieurs milliers de têtes sur un terrain de la taille d’un département français, la tâche se complique sérieusement.
Nous verrons dans cet article comment les mathématiques et l’ingéniosité d’un entrepreneur israélien peuvent apporter une solution efficace et peu chère aux éleveurs tout en apportant également une solution au problème mondial de l’alimentation.
L’idée exposée ici est venue à l’entrepreneur israélien Ilan Arbel quand son attention fut attirée par une information peu connue du grand public : entre 1991 et 2001 le nombre de têtes de bétail abattu dans le monde est resté relativement constant, entre 93 et 94 millions par an, alors que la population mondiale n’a cessé d’augmenter. Cet état de fait impliquant nécessairement une augmentation du prix de la viande sur les marchés. Ilan Arbel, ayant à l’origine une formation en mathématiques se dit qu’il y avait certainement là une opportunité à saisir et se mit à réfléchir à ce problème. En creusant un peu, il s’aperçut que le rendement des éleveurs de bétail était très faible parce que de nombreux veaux ne survivent pas à la première année et n’atteignent pas l’âge adulte. La principale raison de cet état de fait étant que les gros éleveurs avec de grandes exploitations ne peuvent pas surveiller en permanence leurs bêtes et ne sont donc pas en mesure de détecter rapidement quand des animaux sont malades (prenant ainsi le risque de contaminer le reste du troupeau). Cela se traduit globalement par un taux de survie après la première année des veaux de l’ordre de 50% seulement.
Ilan Arbel s’est alors entouré d’autres scientifiques (mathématiciens, informaticiens, vétérinaires, biologistes, etc) pour fonder une nouvelle compagnie, dont l’objectif est d’apporter une solution aux éleveurs. Il fait notamment appel à l’informaticienne le Dr Elena Entilis qui sera chargée de développer le cœur de l’algorithme. Après quelques années de recherche, la solution est maintenant prête et sera commercialisée dans les prochains mois.

En quoi consiste cette solution ?
Afin de comprendre la complexité de la solution, il convient d’abord de décomposer le problème :
1. Récolter des données objectives en temps réel liées au quotidien des animaux.
2. Transmettre ces données de façon efficace à un ordinateur quelle que soit la localisation des animaux dans la propriété.
3. Définir un algorithme permettant d’analyser les données et fournir un diagnostique sur l’état de santé des animaux.
4. Transmettre les résultats au propriétaire par l’intermédiaire d’une interface graphique simple sur un ordinateur portable, un smartphone ou une tablette tactile.
Pour résoudre le premier problème, la solution consiste à équiper les animaux d’un collier doté de capteurs : gyroscope, accéléromètre et GPS. Le gyroscope et l’accéléromètre permettent de détecter les mouvements de tête des animaux et le GPS permet de décrire les déplacements physiques : localisation, vitesse de déplacements, etc. Pour alimenter ces capteurs, on équipe les colliers de petits panneaux solaires. En hiver, des petites batteries peuvent équiper les colliers pour pallier au manque de soleil.
Est-il nécessaire d’équiper toutes les vaches du troupeau ? Non, il suffit qu’une partie du troupeau soit équipé pour obtenir des informations fiables sur l’ensemble du troupeau. Il s’agit du même mode de fonctionnement que les instituts de sondage : il suffit d’avoir un pourcentage significatif d’animaux équipés.
Une fois ces données acquises, comment les transmettre à l’ordinateur central sachant que le système doit pouvoir marcher en dehors de tout réseau téléphonique classique ? Tout d’abord, il n’est pas nécessaire que chaque bête soit connectée à l’ordinateur central. Il suffit qu’elles transmettent les données à une vache « relais » qui, elle, sera équipée pour transmettre les données du troupeau. Les vaches entre elles sont reliées à l’aide d’un réseau wifi étendu. La vache relais est équipée pour recevoir les données et les retransmettre à l’aide d’un dispositif téléphonique par satellite (de type Iridium).
Une fois les données transmises à l’ordinateur, comment sont-elles analysées pour donner des informations sur l’état de santé du troupeau ? C’est ici qu’interviennent les mathématiques. Il s’agit essentiellement de méthodes développées pour l’analyse de signaux dont nous avons déjà parlé dans l’article sur Yonina Eldar. Un signal peut contenir de l’information temporelle (s’il s’agit de données qui évoluent au cours du temps comme ici) et fréquentielle (les variations des valeurs du signal par unité de temps).
L’analyse de Fourier permet de décrire un système par ses caractéristiques fréquentielles plutôt que temporelles. Cependant, lorsque nous utilisons ce type d’analyse, nous perdons toute l’information temporelle du signal : en gros, nous savons que telle ou telle fréquence est présente dans le signal, mais nous ne savons pas où dans le signal. Dans les années 80s, l’analyse temps-fréquence a été développée pour répondre à ce problème. Il s’agit d’une représentation mathématique de l’information où figurent en même temps le contenu fréquentiel et le contenu temporel, de la même façon qu’une partition de musique indique la hauteur des notes au cours du temps. Ce type de méthode a permis de réaliser de grand progrès dans l’analyse, le débruitage (élimination du bruit ambiant lors d’une conversation téléphonique par exemple) et la compression des signaux. A titre d’exemple, ces méthodes sont à la base des formats d’image jpeg, jpeg2000, vidéo MPEG4 ou musicaux MP3. De nombreuses variantes ont été développées, et une grande famille se retrouve sous l’appellation de «décomposition en ondelettes». Les ondelettes peuvent être vues comme étant des briques de base, bien localisées en temps et en fréquence, avec lesquelles on construit et décompose des signaux.
Dans le cas du système développé par CattleSense, les données (en fonction du temps) du gyroscope et de l’accéléromètre sont décomposées en « paquets d’ondelettes» (variante des ondelettes classiques) de façon à être débruitées et analysées. Cette technique permet d’extraire des caractéristiques liées à l’activité quotidienne des animaux. On peut ainsi détecter lorsque l’animal mange, marche ou se repose. A l’aide d’un autre algorithme mathématique communément appelé « réseau neuronal », on entraine l’ordinateur à reconnaître ces caractéristiques physiologiques dans les données débruitées initialement transmises par les vaches. Les données sont traitées en temps réel et les anciennes données sont effacées au fur et à mesure que de nouvelles données arrivent
Pendant une première phase d’apprentissage du système, les animaux ont été équipés de caméra, et les vétérinaires ont analysé le comportement des animaux. Par exemple, si une vache allaite son petit, elle sera beaucoup plus calme, et cette caractéristique se retrouvera dans les données acquises par les capteurs de mouvement.
Après une longue période d’apprentissage, d’analyse et d’ajustement de différents paramètres, le système développé par CattleSence est maintenant capable de détecter non seulement si l’animal mange, marche ou se repose mais également s’il est malade, si la vache est en chaleur, si elle a été fécondée par un taureau, si elle nourrit son petit, etc. Quasiment tous les aspects quotidiens des animaux sont ainsi surveillés en temps réel.
Une fois toute cette analyse réalisée, le système CattleSense fournit à l’éleveur une cartographie de son exploitation où les animaux équipés du collier sont représentés à l’aide de différentes couleurs. Cette carte, mise à jour régulièrement, peut également être paramétrée par l’éleveur pour y ajouter toutes les informations qu’il juge utile (nature du terrain, présence d’eau, de barrières, etc). L’éleveur peut recevoir ces informations sur son ordinateur ou son smartphone lorsqu’il est en déplacement
Les premiers tests montrent que le système CattleSense permet d’augmenter le taux de survie des veaux après la première année (de 50% à l’heure actuelle) à 80% ! C’est une augmentation considérable qui permettra aux éleveurs d’améliorer leur rendement de façon significative. Après adaptations et apprentissages adéquats, on peut imaginer que le système pourra également fonctionner pour d’autres types d’élevage.
La société CattleSense a pu voir le jour grâce à l’investissement initial de le Dr Miriam Kudisz Ovnat, son actuelle présidente. La société est à la recherche de partenaires en France pour commercialiser le système auprès des agriculteurs français et européens
 
Source SiliconWadi