Le conflit libyen s’identifie de plus en plus à ce synopsis d’une guerre sans nom, avec d’autres acteurs cette fois-ci, qui s’apprêtent à investir l’arène.
Alors que la Turquie et le gouvernement libyen, GNA, reconnu par la communauté internationale, installé à Tripoli, discutent de l'utilisation par les forces turques de deux bases militaires, la base navale de Misrata et la base aérienne d'Al Watiya, récemment reconquise par les forces du GNA, du côté du Caire, les esprits s’échauffent.
Le président Abdel Fattah al Sissi a ordonné samedi à son armée d'être prête à effectuer toute mission à l'intérieur ou à l'extérieur du pays. L’état d’alerte maximale intervient dans un climat de tension sans précédent. Les succès de la stratégie turque en Libye ont galvanisé les Turcs.
L’hubris de la victoire se ressent dans les déclarations triomphalistes d’Erdogan qui, à maintes reprises, a fait savoir que la Turquie resterait en Libye jusqu'à ce que ses droits en Méditerranée soient restitués et que le gouvernement légitime libyen soit en sécurité.
Il n’en fallait pas plus pour Abdel Fattah al Sissi qui a averti les forces fidèles au Gouvernement d'entente nationale (GNA), de ne pas franchir la ligne de front actuelle avec l'armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar, basée à l'est. Le Président égyptien a visité samedi une base aérienne près de la frontière occidentale de l'Égypte, longue de 1.200 kilomètres avec la Libye, où la télévision d'État l'a montré en train de superviser le décollage des avions de chasse et des hélicoptères et inspecter des centaines de chars et de véhicules blindés. Plus tôt ce mois-ci, et face à la déroute subie par les troupes de l’homme fort de Benghazi,
Le Caire a appelé à un cessez-le-feu en Libye dans le cadre d'une initiative qui a également proposé l'élection d'un conseil de direction pour le pays. Un plan rejeté par la Turquie qui le considère comme une tentative de sauver Khalifa Haftar.
Samedi, Abdel Fattah al Sissi a déclaré que l'Égypte ne voulait pas intervenir en Libye et était généralement favorable à une solution politique, mais a ajouté que «la situation était désormais différente».
«Si certaines personnes pensent qu'elles peuvent franchir la ligne de front de Syrte-Jufra, (principal verrou vers les villes de l’Est), c'est une ligne rouge pour nous», a-t-il déclaré devant un auditoire qui comprenait des chefs de tribus libyens.
«Si le peuple libyen passait par vous et nous demandait d'intervenir, cela signifierait au monde que l'Égypte et la Libye sont un seul pays, un seul intérêt», a-t-il ajouté. La nervosité égyptienne s’explique aussi par la menace que représente la nouvelle carte politique en cours d’élaboration dans l’est de la Méditerranée.
A l’origine de ces tensions, la découverte de gisements de gaz qui attise les disputes entre plusieurs Etats, dont la Grèce et la Turquie, en conflit depuis des décennies pour le partage des ressources, des eaux, du plateau continental, de l’espace aérien.
Le président Erdogan a remis de d’huile sur le feu en signant, le 27 novembre, un accord maritime contesté avec Faïez Sarraj, chef du gouvernement libyen, qui donne à la Turquie l’accès à des zones économiques revendiquées par la Grèce et par Chypre.
«Avec cet accord, nous avons poussé au maximum le territoire sur lequel nous avons autorité.
Nous pourrons ainsi mener des activités d’exploration conjointes», a déclaré M. Erdogan lors d’un entretien le 9 décembre dernier.
Il s’est dit prêt à dépêcher de nouveaux navires de forage en Méditerranée orientale, en mer Noire, et aussi dans les eaux internationales. Autant de déclarations irritantes pour la Grèce, Chypre, Israël et l’Egypte, qui s’opposent aux visées turques.
Liés entre eux par des grands projets énergétiques, ces Etats dénoncent la mainmise d’Ankara sur une zone prometteuse, craignant que l’accord ne vienne compliquer le projet de construction du gazoduc EastMed (Israël, Chypre, Grèce, Italie), destiné à acheminer le gaz méditerranéen vers l’Europe.
Avec l’ordre du président égyptien à son armée et la probable installation des troupes turques dans les deux bases en Libye, la guerre par procuration entre Ankara et le Caire évoluera-t-elle vers un affrontement direct ? Ironie de l’histoire, le futur de la Libye ne tient finalement qu’à un verrou… Syrte.
Source El Moudjahid
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