dimanche 20 janvier 2019

Un ancien officier de l'armée israélienne protège des journalistes durant les manifestations des gilets jaunes.....


"Attention, ils tirent au flash-ball. Attention, ils chargent, faites gaffe." Nous sommes le 12 janvier place de l’Etoile, à Paris, et Jacques* talonne une équipe de journalistes originaires des Pays-Bas. Comme la majorité des reporters qui couvrent les rassemblements des "gilets jaunes", ils bénéficient d’une protection rapprochée. Jacques en a vu d’autres. Cet ancien officier de l'armée israélienne a travaillé 18 ans pour la sécurité de l'ambassade d'Israël dans le monde entier......Détails........



Et il a assuré la protection de journalistes de la BBC ou de CNN lors des intifadas à Gaza. "Là, ça tirait à balles réelles." 
Le "bodyguard" confie toutefois être surpris de la violence observée lors des récentes manifestations en France : "J'ai beaucoup de mal à comprendre que ça puisse aller si loin."
Ce n'est pas la première fois que les rédactions font appel à des agents de protection rapprochée (APR) pour assurer la sécurité de leurs journalistes. 
Cette pratique est fréquente lors des célébrations de la Saint-Sylvestre et elle s'est accélérée avec les manifestations contre la loi Travail en 2016 ou encore l'évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en avril 2018. Mais avec la multiplication des agressions de journalistes depuis le début du mouvement des "gilets jaunes", l'expérience s'est généralisée.

Un agent de protection par journaliste

A France Télévisions, le dispositif est monté en puissance : ce n'est plus un agent mais deux qui accompagnent un binôme de journalistes. Idem à BFMTV, qui affecte un agent par personne envoyée sur le terrain, leur nombre pouvant aller jusqu'à trois. 
"Le domaine de la protection n'est plus réservé aux stars", souligne Eric*, 28 ans, près de dix ans d'expérience dans le secteur.
Pour la seule journée du samedi 12 janvier, plusieurs reporters ont été violemment pris à partie et parfois frappés. A Toulon, deux journalistes vidéo de l'AFP ont été menacés alors qu'ils filmaient des échauffourées, avant de trouver refuge dans un restaurant. 
A Marseille, une journaliste vidéo de France 3 et deux photographes ont été insultés et empêchés de travailler. A Toulouse, une journaliste de La Dépêche du Midi, insultée et menacée de viol par des "gilets jaunes" encagoulés, a porté plainte. 
A Pau, un journaliste pigiste a lui reçu un coup de pied à la jambe.
Les agents de protection sont eux aussi pris pour cible. A Paris, l'un d'entre eux, qui accompagnait un vidéaste de l'AFP, a reçu des coups de matraque de la part des forces de l'ordre. 
A Rouen, un agent qui accompagnait une équipe de LCI a été roué de coups alors qu'il était à terre et a eu le nez fracturé.

La "chasse" aux reporters de BFMTV

Ces professionnels tentent pourtant de se fondre dans le décor et de se faire le plus discret possible, quitte à être confondus avec l'équipe de journalistes qu'ils accompagnent. 
"On porte parfois le matériel et les gens nous prennent pour des techniciens", souligne Nasser*, 48 ans, agent de protection pour les journalistes de France Télévisions. 
La mission s’avère plus délicate lorsqu’ils protègent des reporters de BFMTV, particulièrement visés par certains manifestants.
Cette source, qui préfère rester anonyme, précise que la chaîne a quasiment abandonné les directs face caméra pendant les manifestations pour ne pas exposer ses journalistes.
Malgré l'anonymisation des bonnettes sur les micros et la disparition des logos sur le matériel, des "gilets jaunes" cherchent systématiquement à savoir à quel média appartient l'équipe de télévision qu'ils rencontrent, comme en témoignent tous les agents interrogés par franceinfo. 
"On fait de la désinformation et on leur répond que c'est un média étranger", sourit Olivier*, 41 ans, dont 22 ans de sécurité privée au compteur. Il a participé à quatre journées de mobilisation pour des journalistes de franceinfo, BFMTV et TF1 et confirme qu’il est désormais impossible pour les journalistes de la chaîne d'information en continu d'avancer à visage découvert.

"Je suis ses yeux"

Pour assurer la sécurité de leurs "clients", ces silhouettes agiles les "marquent à la culotte", notamment le caméraman. "Je le prends par les hanches et je le guide", explique Nasser*.
"Il a l'œil dans l'objectif et ne voit pas ce qu'il se passe autour de lui. Je suis ses yeux", complète Jacques*.
Je tiens le caméraman par son sac à dos ou sa capuche. Lorsque je tire un peu plus fort, ça veut dire 'on recule'.
Les deux agents soulignent l'importance du "dialogue" avec l'équipe et le respect des consignes expliquées au préalable.
Car la première mission des APR est l’observation, pour anticiper le danger. "Les journalistes sont pris entre deux feux, les 'gilets jaunes' d'un côté, les forces de l'ordre de l'autre", relève Jacques*. 
Selon l'ancien militaire, la situation devient dangereuse lorsque policiers ou gendarmes confinent les manifestants. "C'est une cocotte-minute et des projectiles en tout genre commencent à voler. Trottinettes, mobilier urbain, boules de pétanque, tubes d'échafaudage en guise de javelots, pavés, boulons…" 
Une configuration qui rappelle de mauvais souvenirs à Nasser*. "Lors d'une journée de mobilisation, le journaliste était de dos en train de filmer, il ne se rendait pas compte que les pavés volaient à 30 cm au-dessus de sa tête", confirme celui qui fait "stopper des directs". Les tirs de lanceur de balles de défense restent ce que les agents de protection redoutent le plus. "J'ai plus peur de la police que de tout le reste", souffle Olivier*.
Les agents doivent aussi éviter les attroupements de manifestants autour de leurs journalistes, qui risquent de dégénérer. 
C'est ce qui est arrivé à Eric*, qui sécurisait une équipe de journalistes de France Télévisions à Bourges samedi 12 janvier. "On s'est retrouvés coincés dans une rue au milieu d'un groupe de casseurs. 
Les reporters sont devenus des cibles", raconte l'agent âgé de 28 ans. Les insultes ont fusé, suivies par des jets de bouteilles et de pierres. "Ça atterrissait sur mon dos", explique Eric*, qui protégeait le caméraman. L'arrivée de trois voitures de police a détourné l'attention et l'équipe a pu filer.

Des agents en mode "low profile"

"Dans ces situations, il faut rester humble et calme", précise l'agent. Pas besoin d'être une armoire à glace, au contraire. "Un agent mastoc qui fait 2 mètres, ça ne sert à rien, ça aggrave même la situation", estime Nasser*. 
A l’inverse de leurs collègues de la sécurité privée postés à l'entrée de bâtiments, et dont la carrure peut être dissuasive, les agents de protection doivent évoluer en mode "low profile" (profil bas), pour éviter d'attirer l'attention. 
Dans une profession encore très masculine, "les profils féminins sont recherchés pour leur discrétion", indique Valérie, une agent de 48 ans qui travaille notamment pour BFMTV.
"Le fait d'être une femme attire moins l’attention, confirme Sophie*, une ancienne sportive de haut niveau qui a assuré la sécurité de journalistes du service public à Paris, Marseille et Toulon. Moi je ne suis jamais repérée, à part quand je suis reconnue pour mon ancienne profession, ce qui inspire plutôt le respect."
Si la tension monte et que des invectives sont lancées à l'adresse des journalistes, le dialogue est toujours privilégié. "Notre parole, c'est notre meilleure arme. 
Même si la discussion est houleuse", assure Sophie*. "Il faut toujours garder son sang-froid et expliquer", abonde Jacques*, qui engage souvent la conversation avec des "gilets jaunes".
Si le dialogue reste impossible, les forces de l'ordre sont une solution de repli pour les équipes. Quand l'environnement devient trop hostile, elles se faufilent derrière un cordon de CRS ou de gendarmes mobiles. La carte et le badge professionnels des agents servent alors de sésame. 
"On l'exhibe et ils nous font une ouverture. Idem pour les commerces, on frappe au carreau et ils nous ouvrent", explique Nasser*.
Ce genre d'"extraction" est fréquent. "Dès que je vois que ça commence à chauffer, je fais une évacuation", signale Olivier*. "Lorsque je sens que ça arrive à l'affrontement violent, on bat en retraite avec mes clients, il n'y a pas de honte à partir, reprend Nasser*.Le clash, il arrive quand c'est trop tard."
C'est ce qui s'est produit à Rouen le 12 janvier, où l'un des deux agents de protection d'une équipe de journalistes de LCI a failli se faire lyncher, avant d'être extrait par "deux manifestants", selon Hugo Blais, le journaliste reporter d'images qui était avec lui. 
Selon certains témoignages rapportés par la presse locale, l'usage par l'agent en question d'une matraque télescopique aurait aggravé la situation, les manifestants le prenant pour un policier en civil. "Il n'y a pas eu d'élément déclencheur pour l'agression, conteste Hugo Blais. Il a sorti sa matraque quand il s'est fait submerger, c'était de la pure auto-défense."

Les armes intermédiaires interdites 

Selon Olivier*, qui a toujours une matraque télescopique avec lui "au cas où", le port de ce type d'arme intermédiaire est "toléré". Mais il est illégal, à moins d'avoir été formé à son emploi et d'avoir une autorisation temporaire du ministère de l'Intérieur, le temps de la mission, comme le prévoit le décret n°2017-1844 du 29 décembre 2017. 
"Ce décret n'est pas appliqué car les formations au maniement de ces armes n'ont pas encore été mises en place par les autorités, le gouvernement a fait les choses à l’envers", constate Régis-Albert Blanchard, président de la Fédération française de la protection rapprochée (FFPR). 
Selon lui, "99% des agents qui interviennent dans les manifestations des 'gilets jaunes' n'ont donc pas de moyens de force intermédiaires. Il reste toutefois sceptique sur l'utilité de l'usage de ces armes de catégorie D (matraque, tonfas, lacrymogènes), plaidant plutôt pour une vraie protection rapprochée, qui "commence à partir de trois agents pour une personne".
A l'exception d’Olivier*, qui milite pour une meilleure protection des agents, via la possibilité d'être armé, la majorité des professionnels interrogés par franceinfo se rangent à l'avis du patron de la fédération. "Il y a des parades pour s'équiper, on peut transformer un journal en matraque par exemple", illustre Sophie*. 
"Si je me fais lyncher au sol et qu’ils trouvent une arme, ils vont me taper avec", souligne de son côté Nasser*. 

"Les 'gilets jaunes' ont besoin des journalistes"

L'équipement des agents de protection se limite donc aux protections d'usage, casque, lunettes et masque. Certains portent parfois des gilets pare-balles légers et des protège-tibias. Ils sont aussi équipés d'une trousse de secours avec le nécessaire pour apporter les premiers soins si des journalistes ou collègues sont gazés ou blessés. 
"Lors des premières manifestations, certains de nos agents se sont vus confisquer par les forces de l'ordre leur matériel de protection. Ils se sont pris des gaz lacrymogènes. 
Comment voulez-vous qu'ils protègent nos journalistes après ?", déplore-t-on à BFMTV. Des conditions difficiles pour ces agents payés "entre 180 et 250 euros pour une douzaine d'heures", selon Régis-Albert Blanchard, et dont la majorité est en CDD.
Sophie* reconnaît qu’en cinq ans d’expérience, les manifestations des "gilets jaunes" sont "ce qu'elle a fait de plus 'intense' physiquement". Mais elle se dit prête à retourner sur le terrain chaque week-end. 
"Si je commence à avoir peur, je ne vais pas faire mon travail correctement", observe pour sa part Jacques*. Il en profite pour faire passer un petit message aux manifestants : 
"Les 'gilets jaunes' ont besoin des journalistes. Sans eux, ils n'iront pas loin. Et on est là pour faire en sorte que les médias puissent faire leur travail correctement."

*Pour des raisons de sécurité, tous les prénoms ont été modifiés.

Source France TV Info
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