mercredi 1 mai 2013

L'avenir de la coopération militaire égypto-américaine



La première visite qu’a effectuée au Caire, le 24 avril, le nouveau secrétaire américain à la défense, Chuck Hagel, avait un objectif bien clair : réaffirmer la continuité de l’aide militaire des Etats-Unis et s’assurer de la poursuite de la coopération entre les institutions militaires des deux pays. But atteint : le ministre égyptien de la Défense, Abdel-Fattah Al-Sissi, a souligné à l’occasion que l’Egypte tenait, elle aussi, à élargir et à renforcer sa coopération militaire avec les Etats-Unis. Hagel était aussi clair sur les attentes américaines de son partenaire égyptien : le respect du traité de paix avec Israël, le maintien de la sécurité à la frontière avec l’Etat hébreu, la lutte contre les mouvements djihadistes dans le Sinaï, limitrophe d’Israël, et le contre-terrorisme.

La coopération militaire et les relations de défense sont l’ossature de l’« alliance » nouée entre l’Egypte et les Etats-Unis depuis la signature des accords de Camp David en 1978 et la conséquente conclusion du traité de paix égypto-israélien en 1979. Depuis, l’Egypte a bénéficié d’une aide militaire et économique qui est allée crescendo, faisant d’elle le deuxième récipiendaire, après Israël, de l’aide américaine extérieure. L’Egypte se trouve cependant aujourd’hui à la cinquième place, précédée par Israël, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Iraq. L’armée égyptienne reçoit 1,3 milliard de dollars d’assistance américaine annuelle depuis 1987. Alors que l’aide économique a commencé à baisser à partir de 1999 d’une moyenne de 815 millions de dollars en 1988 à 250 millions en 2012, l’assistance militaire, elle, s’est maintenue à son niveau.
Ce qui démontre l’intérêt que portent les Etats-Unis à poursuivre leur partenariat stratégique avec l’armée égyptienne. Le Congrès américain a également gelé, mi-2012, 450 millions de dollars d’aide économique pour protester contre la politique du nouveau pouvoir dominé par les Frères musulmans, sans toutefois toucher à l’assistance militaire. Au contraire, le Pentagone a respecté la date de remise de la première livraison de 20 chasseurs F16, commandés en 2009.
Ainsi, les premiers quatre avions ont été livrés à l’armée de l’air égyptienne comme prévu, fin janvier 2013, en attendant la remise des 16 restants d’ici la fin de l’année.
L’aide militaire finance les achats d’armements de l’armée égyptienne auprès des sociétés américaines. Elle assure l’octroi supplémentaire de matériel militaire, en excédent des besoins de l’armée américaine, d’une valeur de plusieurs centaines de millions de dollars chaque année.
L’aide couvre ainsi quelque 80 % des besoins égyptiens en armes, ainsi que la formation des militaires égyptiens sur les équipements américains. Autre composante de l’aide : la tenue de manoeuvres conjointes intitulées Bright Star, qui ont commencé en 1994, et auxquelles participent des pays régionaux et des membres de l’Alliance atlantique.
Les Américains qualifient l’Egypte d’« allié majeur non-membre de l’Otan ». Ces exercices militaires assurent à l’armée américaine un entraînement dans les conditions désertiques spécifiques du Moyen-Orient, utile en cas d’intervention militaire. En contrepartie de leur assistance militaire, les Etats-Unis bénéficient de précieuses facilités de survol du territoire égyptien et surtout de passage rapide des bâtiments de guerre dans le Canal de Suez. Une moyenne de dix navires militaires américains traversent tous les mois le Canal, permettant de gagner un temps précieux en cas de besoin vers la région du Golfe et l’Afghanistan.
L’aide militaire assure aux Etats-Unis une influence politique majeure en Egypte. L’intérêt principal de Washington à cet égard est le maintien de la paix entre le plus important pays arabe et Israël. Pour les Etats-Unis, il serait impossible que l’Egypte tourne ses armes « américaines » contre Israël.
L’usage de ces armes, notamment les plus sophistiquées comme les chasseurs F16, est largement tributaire de la maintenance et des pièces détachées fournies par les firmes américaines. La sécurité d’Israël dépend également du maintien de la trêve entre le Hamas, maître de la bande de Gaza, et Tel-Aviv, de la lutte contre les groupes salafistes-djihadistes qui pullulent dans le Sinaï depuis le soulèvement populaire du 25 janvier et du contrôle de la frontière avec Israël.
Sur ce registre, les Etats-Unis et Israël semblent satisfaits, à en croire les déclarations de leurs commandants militaires. Le chef d’état-major de l’armée israélienne, Benny Gantz, a souligné le 17 avril que la coopération sécuritaire s’est améliorée avec l’Egypte depuis l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir. Et ce, malgré la rhétorique plus hostile à Israël tenue par le nouveau pouvoir égyptien. Le Caire avait ainsi averti Tel-Aviv à l’avance de l’attaque aux roquettes, qui a eu lieu à Eilat (sud), le même jour, sans faire de victimes. Même constat chez les responsables américains.
Ils notent que la coopération sécuritaire se poursuit sans accroc, après le changement de régime en Egypte, aussi bien avec Washington qu’avec Tel-Aviv, bien que les rapports politiques soient gelés avec ce dernier. Les Etats-Unis avaient déjà couvert de louanges le président islamiste Mohamad Morsi en novembre dernier pour sa médiation entre le Hamas et Israël, qui s’est soldée par la conclusion d’une trêve, dont l’Egypte est la garante.
Cette convergence d’intérêts entre Le Caire et Washington n’empêche pas l’existence de désaccords. Des documents du Département d’Etat américain, révélés par WikiLeaks, ont montré le refus de l’armée égyptienne sous l’ancien ministre de la Défense, Mohamad Tantawi, d’accéder aux demandes des Etats-Unis de mettre davantage l’accent sur les nouvelles menaces telles que la lutte contre le terrorisme, la piraterie et la sécurité des frontières. Washington s’est plaint que l’armée égyptienne — sans doute encore aujourd’hui — s’entraîne et s’arme de façon traditionnelle comme si son ennemi reste toujours Israël.
L’administration de Barack Obama l’a compris : l’Egypte est trop importante pour la laisser tomber, malgré les incertitudes nées de l’accession au pouvoir d’un régime islamiste et les turbulences de la période de transition.
Même son de cloche chez la majorité des parlementaires du Congrès, en dépit de voix dissonantes qui prônent l’imposition de conditions sur l’attribution de l’aide à l’Egypte. L’une des figures de proue de l’opposition républicaine au Congrès, le sénateur influent et ancien candidat à la présidentielle de 2008, John McCain, de retour à Washington après une visite au Caire en janvier dernier, a réclamé le déboursement sans délai de l’aide américaine à l’Egypte. « Les Israéliens sont en faveur de la poursuite de l’aide à l’Egypte », a-t-il ajouté.
La coopération militaire égypto-américaine a donc de beaux jours devant elle, car chacune des deux parties a besoin de l’autre : l’Egypte, pour les armes avancées et la formation des militaires. Et les Etats-Unis, pour la sécurité d’Israël et la position stratégique dans le Moyen-Orient que leur procure l’alliance militaire avec un pays aussi centrale que l’Egypte.