dimanche 14 juin 2020

Les États-Unis infligent des sanctions à la Cour pénale internationale



Le 11 juin 2020, le président Donald Trump a émis un décret présidentiel permettant de geler les avoirs des responsables de la CPI et de leur interdire, ainsi qu’à leurs familles, d’entrer aux États-Unis. Cela pourrait éventuellement cibler d’autres personnes qui apporteraient leur concours aux enquêtes de la CPI........Détails........


L’administration Trump avait menacé à plusieurs reprises de bloquer les enquêtes de la CPI en Afghanistan et en Palestine qui pourraient se pencher sur les agissements de ressortissants américains et israéliens. 
Les États-Unis avaient déjà annulé en 2019 le visa de la Procureure de la CPI, en représailles contre ce qui se présentait alors comme une enquête potentielle en Afghanistan. 
Le 15 mai, le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo avait averti que si la CPI « maintenait sa position actuelle » – c’est-à-dire poursuivait son enquête sur la Palestine –, elle « en subirait les conséquences ». 
Les sanctions pourront être infligées « au cas par cas », en fonction des enquêtes de la CPI portant sur du personnel des États-Unis ou de leurs alliés.
« Les gels d’avoirs et les interdictions d’entrée devraient viser ceux qui violent les droits humains, et non ceux qui tentent de traduire ces criminels en justice », a déclaré Richard Dicker, directeur du programme Justice internationale à Human Rights Watch.
« En ciblant la CPI, l’administration Trump continue son attaque contre la primauté du droit dans le monde, ce qui signifie que les États-Unis sont du côté de ceux qui commettent et couvrent de graves abus, pas de ceux qui les poursuivent en justice. »
La CPI est le tribunal international permanent qui fut créé pour juger les individus accusés de génocide, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et du crime d’agression. 
C’est suite aux horreurs des génocides du milieu des années 1990 au Rwanda et en ex-Yougoslavie que la communauté internationale avait créé la CPI, afin d’empêcher que les auteurs de ces crimes graves, notamment des hauts responsables, échappent à la justice. 
La Cour a ouvert des enquêtes dans douze pays. La reddition, le 9 juin, d’Ali Kosheib, ex-chef de la tristement célèbre milice Janjawid qui est accusé d’implication dans des viols, des agressions et des meurtres de civils au Darfour et qui avait passé 13 ans en fuite, réaffirme haut et fort le rôle de la Cour, a déclaré Human Rights Watch.
La CPI a ouvert une enquête sur les crimes graves commis lors du conflit en Afghanistan. 
Cette enquête portera vraisemblablement sur les graves abus commis par les talibans, ainsi que par les forces du gouvernement afghan. Les forces gouvernementales afghanes sont responsables d’exécutions sommaires, de disparitions forcées et d’une torture systématique. 
De leur côté, les talibans ont commis de nombreux attentats, dont des attentats-suicide, visant des civils, notamment des juges, des parlementaires, des chefs communautaires et des journalistes. 
L’enquête de la CPI pourrait aussi examiner de graves abus commis par des membres de l’armée américaine et de l’agence centrale de renseignement (Central Intelligence Agency, CIA).
La CPI est un tribunal de dernier recours, qui n’intervient que si les autorités nationales ne procèdent pas à d’authentiques poursuites judiciaires dans leur pays. 
Les États-Unis ont effectué des enquêtes limitées sur les allégations d’abus commis par le personnel américain en Afghanistan. 
Mais les hauts responsables civils et militaires dont la responsabilité pourrait être engagée pour avoir autorisé ces abus, ou ne pas les avoir sanctionnés, n’ont pas dû rendre des comptes devant les tribunaux américains. Le fait que les abus commis par les forces américaines soient restés impunis a laissé des séquelles dévastatrices en Afghanistan. 
De plus des forces de frappe afghanes soutenues par la CIA continuent à y commettre de graves abus, dont certains peuvent être qualifiés de crimes de guerre. 
Leur présence, aux côtés des forces afghanes accusées de tuer des civils lors de raids nocturnes, de faire disparaître des détenus et d’attaquer des centres de santé, démontre bien les répercussions à long terme de l’impunité des crimes graves.
Les responsables de la CPI examinent un certain nombre de questions cruciales. En décembre, la Procureure de la CPI a clos une enquête préliminaire sur la situation en Palestine, déterminant que tous les critères exigés étaient réunis pour procéder à une enquête officielle sur les crimes graves présumés commis par les Israéliens et les Palestiniens. 
Parmi ces crimes, on compte l’établissement de colonies israéliennes en Judée Samarie– puisque le droit international humanitaire interdit le transfert de civils dans un territoire occupé (sauf que la Judée Samarie est un territoire disputé et non occupé !!!) – ainsi que les crimes de guerre présumés de l’armée israélienne et des groupes armés palestiniens lors des hostilités de 2014 à Gaza. 
En même temps, le bureau de la Procureure a demandé aux juges de la Cour de se prononcer pour confirmer la portée de son mandat – une procédure encore en cours. 
Human Rights Watch avait plusieurs fois appelé la Procureure de la CPI à ouvrir une enquête sur la situation en Palestine.
Les autorités en Afghanistan avaient demandé à la Procureure de différer son enquête, arguant qu’elles pouvaient procéder elles-mêmes à des poursuites nationales crédibles. 
Mais étant donné que Kaboul a plusieurs fois échoué à faire en sorte que les responsables des graves abus rendent des comptes, il serait désormais très difficile aux autorités afghanes de démontrer qu’elles sont en train de mener des enquêtes et des poursuites crédibles, a déclaré Human Rights Watch.
« Il est tristement ironique qu’au moment même où les États-Unis cherchent à favoriser un accord de paix en Afghanistan, ils ripostent contre ceux qui demandent justice pour les crimes atroces ayant eu lieu pendant ce conflit », a commenté Richard Dicker. 
« Que ce soit en Afghanistan ou en Palestine, la CPI pourrait jouer un rôle précieux pour atténuer l’impunité qui alimente de nouveaux abus depuis des décennies. »
Les États-Unis, qui ne sont pas un État membre au Statut de Rome régissant la Cour, s’opposent à la compétence de la CPI pour juger des ressortissants de pays non membres en l’absence de saisine de la Cour par le Conseil de sécurité des Nations Unies. 
L’Afghanistan, par contre, est un pays membre de la CPI, ce qui donne autorité à la Cour pour enquêter sur les crimes commis sur le territoire afghan – quelle que soit la nationalité de leurs auteurs – et pour les juger. Cette autorité de la Cour n’a rien d’inhabituel. 
Les ressortissants américains commettant un crime dans un pays étranger sont déjà soumis à la compétence des tribunaux de ce pays.  
Le 2 janvier 2015, les autorités palestiniennes ont adressé au secrétariat des Nations Unies un exemplaire de l’instrument d’adhésion de la Palestine à la CPI. Le traité de la CPI est officiellement entré en vigueur le 1er avril 2015 pour la Palestine, ce qui rend la Cour compétente pour juger les crimes graves violant le droit international, y compris les crimes de guerre et crimes contre l’humanité, commis sur ou à partir du territoire palestinien. Israël, lui non plus, n’est pas un pays membre de la CPI. 
Les 123 pays membres de la CPI ont confirmé à plusieurs reprises qu’ils ne « se laisseraient pas impressionner par les menaces contre la Cour, ses responsables et ses collaborateurs » et qu’ils « resteraient unis pour lutter contre l’impunité ». Il est essentiel que les pays membres s’expriment haut et fort pour faire clairement comprendre que leur soutien à la Cour reste inébranlable et qu’ils œuvreront ensemble à résister aux tentatives des États-Unis d’entraver la justice, a déclaré Human Rights Watch.
« La CPI a certes ses limites, mais elle incarne l’espoir que ceux qui commettent des crimes graves soient obligés de rendre des comptes », a conclu Richard Dicker. « Face aux efforts éhontés des États-Unis pour entraver la justice, il faut que les pays membres de la Cour se dressent pour la défendre. »

Source Human Right Watch
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